Israël-Palestine

Seconde partie

Il existe des colonisations « réussies » : celles où les colons envahissent le pays avec une supériorité militaire invincible : la population autochtone est complètement vaincue, parfois exterminée, et en plus victime de germes microbiens envers lesquels ils n’ont aucune immunité :

– le nord de l’Asie envahie par les Russes : invasion discrète : il leur a suffi de franchir l’Oural à l’époque où des portugais et des espagnols franchissaient l’océan Atlantique puis d’autres océans…

– les Amériques, complètement colonisées, au départ y vivaient, en 1500, 100 millions des 400 millions des humains du monde, donc presque le quart des humains ont failli être exterminés…

– l’Australie = succès colonial, grâce au génocide

– la moitié de la Papouasie-Nouvelle Guinée, occupée par l’Indonésie dès que les Hollandais sont partis, colons à la place des colons, au détriment des Papous, partie nommée « Irian Jaya…

– la Nouvelle-Zélande, où les blancs n’ont aucune intention de partir pour laisser la place aux autochtones Maori, même chose pour la Nouvelle-Calédonie…

– beaucoup d’îles du Pacifique où ce sont les colons qui gardent le pouvoir: Hawaï, par exemple…

Au nom du droit de conquête ou droit du plus fort (quel droit bizarre : priorité à la violence !), j’ai calculé que 50% de la surface des continents du monde sont actuellement sous le joug colonial des gens partis d’Europe : ces européens sont toujours là et n’ont aucune intention de repartir dans leur pays d’origine…

Quelques exceptions :

Le départ des anglais de leur Empire des Indes ;

Le départ des français d’Algérie ;

Le départ des anglais et des français de leurs colonies en Afrique noire…

Seul cas spécial : le maintien des colons en Afrique du Sud, avec une tentative toujours difficile de coexistence avec les peuples africains qui étaient là avant les européens…

La SDN (ancien nom de l’ONU après la guerre de 14-18) avait donné aux britanniques la responsabilité de la Palestine en 1923 sous le nom de « mandat ».

Les colons juifs vont multiplier les attentats contre la présence anglaise : par exemple destruction de l’hôtel King David à Jérusalem où les anglais logeaient leur administration : 91 morts ! Menahem Begin avait organisé cet attentat !

Puis le 17 septembre 1948, attentat par mitraillage du véhicule officiel transportant le médiateur nommé par l’ONU, à Jérusalem : le suédois comte Folke Bernadotte. Il est tué sur le coup. Les coupables : le commando juif du LEHI ou « groupe Stern », dont le fondateur, Avraham Stern, avait été tué par la police anglaise le 12 février 1942.

Responsable de cet attentat : Yitzhak Shamir, lequel deviendra Premier Ministre d’Israël en 1983 !

A savoir sur la fameuse « Déclaration Balfour » de novembre 1917:

C’est Haïm Weizman, vice-président de la Fédération sioniste du Royaume-Uni, qui contacte l’ancien Premier ministre conservateur Arthur Balfour.

Celui-ci est un protestant proche des milieux millénaristes ; donc il pense lui aussi qu’il faut favoriser l ‘accomplissement des prophéties bibliques en incitant les Juifs à s’installer en « Terre Sainte ».

Le Premier ministre Lloyd George met en contact Weizman avec son ministre Herbert Samuel, premier de l’histoire britannique à être un juif pratiquant, et en plus un partisan du sionisme…Dès janvier 1915 ce dernier fait circuler au sein du gouvernement un mémorandum où il prône l’annexion par Londres de la Palestine qu’il serait bon ensuite de l’offrir aux sionistes pour y créer un État juif indépendant. But : s’assurer par ce biais le soutien de la diaspora juive dans le monde entier, et surtout celle présente aux U.S.A….

Calcul de l’Angleterre : inciter les U.S.A., grâce au lobby juif,  à sortir de leur neutralité et à s’engager dans la guerre de 14-18 pour soutenir la lutte franco-britannique contre le Reich allemand.

Le stratagème réussira ! en avril 1917 les U.S.A. entrent en guerre !

Le président des U.S.A. Woodrow Wilson est un protestant imprégné de doctrine millénariste et restaurationniste ; comprendre : « en faveur de la restauration du peuple juif sur la terre d’Israël » ; c’est pourquoi il privilégie parmi ses interlocuteurs juifs les partisans du sionisme, soit 15 000 des 3 millions de Juifs américains : Wilson nomme en 1916 à la Cour Suprême le président de la Fédération sioniste des U.S.A. : Louis Brandeis.

Brandeis charge le leader du protestantisme millénariste, le révérend Blackstone, de rédiger une lettre ouverte au Président Wilson.

Succès de cette démarche : deux prédécesseurs républicains du président Wilson : William Taft et Théodore Roosevelt approuvent cette lettre de Blackstone, Roosevelt précisant :

« aucune paix n’a de valeur sans que les Juifs reçoivent le contrôle de la Palestine ».

Brandeis est en relation régulière avec Weizman, devenu président de la Fédération sioniste de Grande Bretagne, pays gouverné par Lloyd George, Premier Ministre, avec, depuis 1916, Balfour au ministère des affaires étrangères !

Blackstone est le principal diffuseur aux U.S.A. des idées du prédicateur protestant Darby, traducteur de la Bible en anglais en 1867, une traduction qui incorpore les thèses « dispensationalistes » où il est écrit que la Sixième dispensation n’émergera qu’avec le retour du peuple juif sur la terre d’Israël, laquelle va du Nil à l’Euphrate.

En 1878 ces thèses sont élevées au rang de « fondamentaux » lors de la conférence de Niagara sur la Bible, conférence annuelle de commentaire des Écritures qui fait autorité chez les fondamentalistes de tous les États-Unis.

Cette même année 1878, Blackstone publie : « Jésus arrive », pamphlet distribué gratuitement et massivement pour vulgariser l’eschatologie de Darby aux États-Unis….

Blackstone visite la Palestine en 1888. Il en revient enthousiasmé par les résultats des premières colonies juives appelées depuis 1881 « première alya », ou « montée ».

Les rabbins juifs des U.S.A. sont beaucoup plus réticents, de même les rabbins de Berlin et de Vienne en Europe qui s’opposeront aux théories de Théodore Herzl en faveur de la création d’un État pour les Juifs en Palestine !

Blackstone passe outre et envoie une lettre ouverte en 1891 au président des U.S.A. Benjamin Harrison, lettre dans laquelle il somme le président

« d’organiser au plus tôt une conférence internationale sur la condition des Israélites et leurs revendications sur la Palestine comme leur ancien foyer ». Il y précise explicitement qu’il s’agit de « rendre la Palestine aux Juifs » ; de même qu’au Congrès de Berlin en 1878 il a été question d’attribuer « la Bulgarie aux Bulgares et la Serbie aux Serbes ».

Cette lettre de Blackstone de 1891 est cosignée par 413 chrétiens, ce qui montre que Blackstone a réussi à mobiliser au-delà de la seule mouvance évangélique : on y trouve parmi les 413 le futur président McKinley, le président de la Chambre des représentants, le président de la Cour suprême, les maires de New-York et de Philadelphie, des industriels comme J.P. Morgan, McCormick ou John Rockfeller.

Toujours en 1891, succès des conférences de John Stoddart en faveur de la colonisation par des vrais civilisés de la Palestine qui « n’abrite que 600 000 personnes mais, avec une mise en culture digne de ce nom, elle pourrait en accueillir facilement deux à trois millions » ; Stoddart se réfère aux effets bénéfiques pour le développement économique de la colonisation de l’Égypte par la Grande Bretagne depuis 1882…

Succès de la lettre au président des U.S.A. de 1916 de Blackstone, comme déjà sa lettre de 1891 !

Paradoxe : nombre des personnes célèbres qui soutiennent la colonisation juive en Palestine sont aussi connues pour leur antisémitisme, leurs mesures pour freiner l’arrivée des juifs en Grande Bretagne ou aux États-Unis. Parmi ces personnes : lord Balfour !

Calcul cynique : dévier les migrations de Juifs vers la Palestine plutôt que …chez nous !

C’est l’idée d’Arthur Balfour et du ministre des Colonies Joseph Chamberlain : ces deux dirigeants conservateurs établissent en 1902 un plan d’implantation juive dans le nord-est de la péninsule du Sinaï, autour de l’oasis d’El-Arich.

Comme en avril 1917 les U.S.A. n’ont déclaré la guerre qu’à l’Allemagne, et non à l’Empire ottoman ; Brandeis encourage Balfour à rédiger une déclaration publique de soutien au projet sioniste de façon à obtenir la sympathie de la « grande masse de l’opinion chrétienne » présente aux U.S.A.. Balfour est d’accord…

Les discussions commencent en juillet 1917 avec les sionistes afin d’élaborer les termes de la déclaration que signera Balfour.

Paradoxalement, au sein du cabinet de Lloyd George, le seul opposant à ce projet de déclaration sera le seul ministre juif : Edwin Samuel Montagu qui voit dans cette idée un projet antisémite…

Mais 7 des 10 ministres, dont Balfour, ont des convictions évangéliques…

Montagu fini par céder à condition que figure la phrase garantissant « les droits et le statut politiques dont les Juifs disposent dans tout autre pays » que la Palestine.

Finalement le texte de la « Déclaration Balfour » sera rédigé le 2 novembre 1917 et publié le 9 novembre 1917 dans le Times.

Il s’agit d’un courrier adressé par Lord Balfour à Walter Rothschild, à charge pour ce dernier de le transmettre à la Fédération sioniste de Grande Bretagne et d’Irlande du Nord.

On y lit que :

« Le gouvernement de Sa Majesté envisage favorablement l’établissement en Palestine d’un foyer national pour le peuple juif »

avec cette précaution dont ne cesseront de se moquer Ben Gourion et tous les colons juifs depuis la Première alya »montée » (1881-1902) et les suivantes :

« étant clairement entendu que rien ne sera fait qui puisse porter atteinte soit aux droits civiques et religieux des collectivités non juives existant en Palestine,

soit aux droits et au statut politiques dont les Juifs disposent dans tout autre pays. »

Bien que la population palestinienne représente 90% de la population, cette lettre ne prend pas la peine de les nommer précisément : on ne désigne pas les Arabes musulmans et chrétiens. Et cette clause de précaution évite en outre toute mention des droits politiques qui leur seraient accordés, alors que cela est précisé pour les Juifs dans les autres pays.

Texte donc très déséquilibré !

Balfour avouera en février 1919 que la Palestine étant un pays ni peuplé, ni habité, on ne pouvait y appliquer le principe de l’autodétermination, point de vue déjà exprimé par Nahum Sokolow, le représentant du mouvement sioniste qui sera reçu par le Pape Benoît XV le 4 mai 1917….Le Pape préférait donner satisfaction au négociateur catholique anglais Sykes plutôt qu’à la République française laïque et donc peu capable de défendre les intérêts de la « Terre Sainte »…

Cette Déclaration évoque l’instauration en Palestine d’un « foyer national » et non d’un État.

Il s’agit donc d’une simple déclaration de sympathie qui ne correspondait à aucun concept en droit international et qui se trouvait par conséquent dépourvue de toute valeur juridique.

Cinq mois avant cette « Déclaration Balfour », le 4 juin 1917, le secrétaire général du ministère français des Affaires étrangères, Jules Cambon, apposera sa signature au nom de la République, sur un document par lequel la France marquait officiellement son accord au projet de création d’un foyer national juif en Palestine « Afin de prêter assistance à la renaissance de la nationalité juive dans ce pays dont le peuple d’Israël a été exilé voici de si nombreux siècles déjà. »

La Déclaration Balfour ne donne aucune précision sur les limites du territoire sur lequel le futur foyer national devait voir le jour. Churchill en 1922 précisera que ce foyer national juif ne devait aucunement recouvrir l’intégralité du territoire palestinien, au moment où il accorda au roi hachémite Abdallah la Transjordanie.

Le président des U.S.A. Wilson envoya en Palestine une mission d’enquête, la mission King-Crane, laquelle rédigea un rapport très critique sur une éventuelle fondation d’un État Juif, car un tel État violerait gravement les droits civiques et religieux des communautés non juives existantes en Palestine, puisque les sionistes envisageaient la dépossession quasi complète des habitants non juifs par la mise en œuvre de diverses formes d’acquisition…

La Déclaration Balfour est intervenue après le succès entre mars et octobre 1917 de la campagne militaire anglaise menée par le général Allenby contre les troupes turques : victoire de Beer- Sheba …

Je suis pour la restitution de la Palestine aux Palestiniens et la fin du projet colonial conçu par les Juifs pendant tout le XIXe siècle, malgré l’opposition des juifs religieux aux théories sionistes estimées alors contraires à l’interprétation de la Torah et du Talmud : seul Dieu peut décider ou non de l’installation en Israël, et c’est le retour du Messie qui sera l’élément déclencheur.

J’ai lu attentivement le livre paru au Canada en 2004 (270 pages) : Yakov M. Rabkin : « Au nom de la Torah. Une histoire de l’opposition juive au sionisme »

Et de Pierre Stambul, réédition de fin 2022 chez les anarchistes des éditions « Acratie »:

« Le Sionisme en question » ; petit livre de 68 pages…Pierre Stambul est un militant français de l’U.J.F.P.= Union Juive Française pour la Paix, créée en 1994 et qui se déclare depuis 2019 « association juive antisioniste »

Dans une Palestine indépendante, je suis pour l’internationalisation des « Lieux Saints » revendiqués par plusieurs religions : les Juifs, les Chrétiens et leurs diverses obédiences (catholiques, protestants, orthodoxes) et les Musulmans.

De même que pour gérer la vie religieuse de 1 milliard 300 millions de catholiques, l’Église dispose en Italie de 44 hectares, sous le nom de « Vatican »,

 dans les mêmes proportions on pourrait estimer à 4,3 hectares la surface réservée à Jérusalem pour la gestion de la religion juive, religion qui a 13 millions de disciples dans le monde…

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Biblio

Pour les dessous protestants de la « déclaration Balfour », je conseille vivement les pages 31 à 89 du livre de 430 pages paru en février 2024 :

Jean-Pierre Filiu : « Comment la Palestine fut perdue et pourquoi Israël n’a pas gagné. Histoire d’un conflit(XIXe-XXIe siècle) ; éditions du Seuil

Nathan Weinstock : « 1891-1907: le mouvement sioniste découvre l’existence des Arabes de Palestine » ; éd. H. Champion, 2016

Nathan Weinstock : « La Déclaration Balfour, cent ans après » ; éd. Le Bord de l’eau, 2017

Philippe Prévost: « La France et la déclaration Balfour » ; éd. Erik Bonnier 2018

Henry Laurens : « La question de Palestine » ; Fayard, 5 tomes, 4000 pages

Alain Gresh : »Israël-Palestine. Vérités sur un conflit » ; Poche, Fayard, mai 2024

Norman G. Finkelstein : »L’industrie de l’Holocauste: réflexions sur l’exploitation de la souffrance des Juifs » ; éd. La Fabrique 2009

Ilan Pappé : »Le nettoyage ethnique de la Palestine  » ; La Fabrique, réédition 2024

Collectif : »Antisionisme : une histoire juive » ; Syllepse 2023

Antoine Fleyfel : »Les Dieux criminels » ; Cerf, 2017

Dominique Vidal : »Antisionisme = Antisémitisme ? Libertalia, 2018

Tous les livres de Shlomo Sand sur les prétendues justifications bibliques du dit « retour »

Romolo Gobbi : »Un grand peuple élu : messianisme et antieuropéanisme aux États-Unis » ; Parangon 2006

Martin Dumont : »Mélanges sur la question millénariste de l’Antiquité à nos jours » ; Honoré Champion, 2018

André Gagné : »Ces évangéliques derrière Trump » ; Labor et Fides 2020

André Pichot : »Aux origines des théories raciales de la Bible à Darwin » ; Flammarion, 2008, 520 pages= très documenté sur le « peuple anglais comme « peuple élu » = British israêlism, et la démonstration par les sociologues juifs en 1900 de la supériorité de la race juive grâce à l’obéissance à la Torah, supériorité démontrée par une nouvelle science : l’eugénisme = les pages 370 à 398, surtout  !

Tom Segev : »Le septième million » ; éditions liana Levi, 2010

Charles Enderlin : « Au nom du Temple, Israël et l’irrésistible ascension du messianisme juif : 1967-2013 » ; Seuil, 2013

Charles Enderlin : »Israël: l’agonie d’une démocratie » ; Poche Libelle, Seuil, septembre 2023

Hors -Série Le Monde, été 2024= 40 cartes pour comprendre le conflit Israël-Palestine…

J’abrège ! j’ai deux fois plus de livres à ce sujet dans ma bibliothèque…

Thierry Sallantin