L’uniforme scolaire

Deux articles de B. Girard

Un gadget politique

Comment, dans un pays où il n’a jamais fait partie des habitudes, l’uniforme scolaire peut-il faire l’objet d’une « expérimentation » sans susciter l’expression massive d’une réelle incrédulité ? Lorsque la déraison côtoie à ce point la politique, il doit bien y avoir une raison.

Comment, dans un pays où il n’a jamais fait partie des habitudes, l’uniforme scolaire peut-il faire l’objet d’une « expérimentation », présentée comme scientifique sans susciter l’expression massive d’une réelle incrédulité, à défaut d’une franche hilarité ? Comment les journaux, les télés, les radios peuvent-ils faire leur une sur un gadget qui concerne quelques dizaines d’établissements … sur 60 000 ?  Ce sujet, complètement étranger à l’école, né des fantasmes de quelques politiciens, est à l’origine d’une bulle médiatique complètement irrationnelle. Mais lorsque la déraison côtoie à ce point la politique, il doit bien y avoir une raison…

Dans l’accession de l’uniforme scolaire au rang des incontournables de la rentrée, rien ne tient la route.

L’uniforme pour rendre moins visibles les inégalités sociales ? Dans un environnement éducatif qui, plus qu’ailleurs, fait découler la réussite ou l’échec des élèves de leur milieu social, où la ségrégation sociale et souvent ethnique régit le choix des établissements, il est effectivement plus facile de mettre les élèves en uniforme que de travailler à rendre plus juste un système scolaire historiquement fondé sur la différenciation école du peuple/école des élites et qui l’est pour une bonne part resté en dépit de la massification de l’enseignement secondaire. Une massification qui n’a jamais été une démocratisation. Un peu comme en Grande-Bretagne où les enfants des riches en uniforme de riche fréquentent les écoles de riches et les enfants des pauvres en uniforme de pauvre les écoles de pauvres…Il ne devrait échapper à personne qu’en France, la revendication de l’uniforme est portée par un gouvernement favorable aux classes de niveaux en collège, un dispositif dont nul n’ignore la dimension socialement (et ethniquement) discriminatoire ; mais avec l’uniforme, ça se voit moins… Dans un pays où, par ailleurs,3 millions d’enfants (un enfant sur cinq) vivent sous le seuil de pauvreté, où plusieurs milliers d’enfants dorment chaque soir dans la rue, l’uniforme scolaire n’est même pas une rustine sur la pauvreté, juste une arnaque, d’une logique très voisine de celle du SNU qui prétend promouvoir la mixité sociale par un séjour de deux semaines en uniforme…

L’uniforme comme remède au harcèlement scolaire ? À condition d’ignorer les travaux et les recherches accumulés sur un sujet qui mérite mieux que les annonces et les postures d’un ministre en campagne de promotion pour sa petite carrière. À condition également de fermer les yeux sur la réalité du harcèlement dans les pays où l’uniforme non seulement ne l’empêche pas mais peut-être même l’aggrave, comme c’est le cas au Japon avec le suicide chaque année de plusieurs centaines d’élèves (500 en 2021) … qui tous portent l’uniforme.

L’uniforme contre le communautarisme ? À condition de considérer la robe portée par quelques jeunes filles comme une menace pour la république…A condition également de faire de la laïcité, historiquement symbole de tolérance et de liberté, un outil de surveillance et de coercition. On peine à comprendre par quel détournement la loi fondatrice de 1905 (« la République assure la liberté de conscience… » article 1) autoriserait une administration à régenter les tenues vestimentaires de la société civile.

L’uniforme comme en Outre-mer ? Régulièrement mise en avant pour justifier le principe de l’uniforme scolaire, le cas très spécifique de l’Outre-mer – notamment aux Antilles où l’uniforme scolaire est le reflet de « stéréotypes de genre qui animent les communauté éducatives » – apparaît plutôt comme un contrexemple. Car, outre que l’uniforme n’y a pas force de loi, ne résultant que du choix propre à chaque établissement et non d’une exigence administrative, les effets bénéfiques n’apparaissent ni dans les résultats scolaires, les académies d’Outre-mer comptant parmi les plus mal classées par exemple pour les résultats du bac, ni dans le climat d’établissement comme on peut le constater notamment en Guyane où le niveau de violence atteint des proportions qui affolent les personnels.

Et c’est précisément cette obsession des politiques autour de la tenue vestimentaire des élèves (on ne compte plus les propositions de loi parlementaires sur le sujet depuis une vingtaine d’années) qui, en dépit de la futilité objective du sujet, le fait passer de l’anecdotique au symbolique, à l’idéologique. Car à la différence de la Grande-Bretagne où la tenue vestimentaire des élèves résulte d’un choix propre à chaque établissement, en France, le sujet est porté, imposé, par les politiques, ce qui change la donne : quelle est alors la nature réelle d’un régime politique qui prétend s’immiscer dans un domaine qui, relève traditionnellement de la sphère privée ? Un régime dans lequel un chef d’état (ou son épouse) et un ministre de l’Éducation nationale réduit au rôle de porte-voix du président s’arrogent, sans aucune considération pour les intéressés, un droit de regard sur l’intimité de plus de 12 millions d’élèves et de leur famille, un abus de pouvoir qui, à ma connaissance, ne se retrouve dans aucune démocratie ? Mais aussi un régime où le président peut, sans aucun débat public, faire de l’éducation son domaine « réservé » ?

Autant d’interrogations qui renvoient également à l’accroissement sans fin du champ d’intervention d’un état éducateur aux prérogatives toujours plus extravagantes (école obligatoire, SNU etc) et toujours plus brutales puisqu’il s’agit, le plus souvent, de surveiller et de punir. Vu sous cet angle, l’uniforme scolaire n’est pas seulement anecdotique.

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L’uniforme scolaire : pas un simple détail de la rentrée…

Une rentrée en uniforme aux accents de l’hymne national : dans le contexte politique actuel, avec l’extrême droite aux portes du pouvoir, ce n’est pas un détail mais un symbole.

Une rentrée en uniforme aux accents de l’hymne national : ce qui était considéré comme inconcevable ou tout simplement ridicule il y a encore quelques années a pris corps – celui des élèves, plus précisément – non en Corée du nord mais en France, à Denain dans une école élémentaire de la ville.

Une seule école, quelques dizaines dans toute la France (sur un total d’environ 60 000 établissements) à s’être pliées au caprice du gouvernement : un détail, une bagatelle, une broutille ? Mais quand ces établissements attirent en masse des médias dont la curiosité malsaine sur ce sujet tient du voyeurisme, quand l’actualité éducative de la rentrée se trouve à ce point phagocytée par une histoire de fringues, quand, en outre, le sang impur qui abreuve les sillons fait office de chant de rentrée (et d’accueil pour les élèves de CP aux dires de la directrice !) d’enfants en uniforme, il ne s’agit plus alors d’un détail, d’une bagatelle, d’une broutille mais d’un symbole.

Mais de quoi est-ce le symbole ?

Sans chercher à revenir une nouvelle fois sur la signification que peut revêtir aux yeux des enfants un hymne sacralisant la nation, sur l’adhésion forcée à une communauté qui exclut par principe les différences et entretient l’intolérance, sur la grossière mystification de l’uniforme considéré comme symbole d’égalité ou comme facteur d’intégration au groupe, il est incontestable que la médiatisation de la rentrée à l’école Michelet de Denain et dans quelques autres établissements, n’est neutre ni dans son origine ni dans ses effets potentiels.

Porté par la droite et l’extrême droite (que par ailleurs rien ne différencie en matière éducative) qui ont depuis vingt ans multiplié les propositions de loi sur le sujet, le thème de l’uniforme, relayé avec une complaisance jamais démentie par des médias racoleurs, est le vecteur d’un projet éducatif dominé par des préoccupations d’obéissance et de conformisme. Ses défenseurs se nomment Le Pen, Zemmour, Ciotti, Attal, Macron et toute une famille politique qui n’a jamais manifesté pour la jeunesse d’autre souci que sa mise au pas.

A l’opposé de la Grande-Bretagne où l’uniforme, tradition ancienne, résulte du libre choix des établissements, en France, il ne s’est imposé que par la décision arbitraire du seul chef de l’Etat, relayée par son gouvernement et par une administration, l’Éducation nationale, qui a décidément la fâcheuse tendance à confondre le service public d’éducation et le service du prince.

Ce faisant, en autorisant l’« expérimentation » de ce qu’on peut considérer comme un marqueur politique de la droite et de l’extrême-droite, la directrice de l’école Michelet de Denain, les autres établissements partants, l’administration, contribuent à banaliser ce qui n’a jamais existé, à légitimer toujours davantage un projet éducatif et donc politique qui n’est ni neutre ni innocent : sélection précoce des élèves sous de multiples formes (évaluations répétées, examens de passage, abaissement de l’âge de l’apprentissage), fin de la liberté pédagogique (il est vrai mise à mal depuis de longues années), surveillance tatillonne des élèves soumis à un ordre moral considéré comme intouchable (laïcité etc).

L’uniforme, c’est la partie la plus voyante, la vêture si l’on peut dire d’un programme de contrôle renforcé de l’appareil éducatif, des élèves comme des personnels.

La directrice de l’école de Denain peut bien s’extasier devant la tenue de ses élèves – « ils sont beaux ! » (alors que, soit dit au passage, on ne pouvait pas faire plus moche ni plus inadapté à des enfants) –, il faut un singulier aveuglement ou une réelle complaisance pour ne pas voir la véritable dimension idéologique de l’uniforme scolaire.

Dans le contexte politique qui voit un chef de gouvernement adoubé par l’extrême-droite, les 90 établissements qui ont accepté le principe de l’uniforme, alors qu’ils n’y étaient pas obligés, sont comme les alliés objectifs d’un programme éducatif brutal – celui de l’extrême droite – dont on ne voit pas aujourd’hui qui pourrait s’y opposer.

Banalisation de l’uniforme scolaire par les médias, banalisation de l’extrême droite dans l’opinion publique : même s’il ne s’agit évidemment pas du seul élément à prendre en compte, la coïncidence entre l’introduction de l’uniforme dans un système éducatif où il n’a jamais existé et la nomination d’un Premier ministre sous la coupe de l’extrême droite n’est pas qu’une simple coïncidence. Elle dit quelque chose du moment présent… et de l’école comme terreau favorable à l’extrême droite.

Une question qui mériterait de la communauté éducative (si elle existe) une autre réponse qu’une simple réprobation toute platonique. Et dont l’écho, cette semaine était d’ailleurs singulièrement assourdi.

Mise à jour (07/09/2024)

Je n’ai certes plus l’âge des lycéen.nes mais que les jeunes de Châteaurenard aient pu se soumettre aussi facilement à cette pitrerie glorifiée par le président de la région PACA laisse songeur. Tout comme l’absence de contestation des profs, des organisations lycéennes dites représentatives ou des parents. Par pudeur, on n’ajoutera rien sur le fait que le proviseur du lycée d’Ormesson à Châteaurenard est un syndicaliste du SNPDEN UNSA…L’école, terreau favorable à l’extrême-droite ? On y est : « L’extrême-droite, une menace pour l’école ? Certes mais bien plus qu’une menace hypothétique ou future, il est plus exact de dire que, dans ses pratiques, comme, d’une certaine façon, dans ses principes, l’école dite de la république anticipe largement les fantasmes éducatifs de l’extrême-droite. »

B. Girard : « Au lieu de se surveiller, l’éducateur surveille les enfants et c’est leurs fautes qu’il enregistre et non les siennes. » (J. Korczak) ; abonné de Mediapart

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Info glané sur politis

« 194000 euros, c’est le montant déboursé par la municipalité (de droite) de Limoges pour équiper en uniforme 200 élèves d’une des 60 écoles de la ville. Soit près de 1000 euros par élève. Une somme qui fait polémique »