De l’autorité

A l’occasion des rencontres Technologos

https://technologos.fr/indexR.php?fic=text/rencontres_2024.txt

Ces rencontres, consacrées à « la part de la technique dans la montée de l’autoritarisme », ont lieu à Paris les 20 et 21 septembre (voir sur ce site l’article en date du 13 septembre)

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Débat sur le despotisme de « la technique »

L’association Technologos, qui réfléchit et débat sur « le rôle déterminant de la technique dans nos sociétés », nous invite à plancher lors de ses rencontres sur « La technique dans la montée de l’autoritarisme » le vendredi 20 septembre à 10h30 à Paris.

Nous avons maintes fois répété que nous n’avions pas, quant à nous, de querelle avec « la technique » (tekhné, « l’art », « le savoir-faire »), mais avec la technologie. Non pas « l’étude

des techniques » (au sens premier du terme), mais la technologie au sens moderne, produit de la science et du capital, avec l’essor vertical du machinisme industriel (Bigelow, 1829).

Que celui-ci, avec son organisation totale et implacable, soit intrinsèquement autoritaire, nul ne l’a mieux montré, ni en si peu de mots, que Friedrich Engels, dans son article De l’autorité

(octobre 1872), exhumé par nos soins en 2015 (« Ludd contre Lénine », in De la technocratie).

L’extension de l’organisation scientifique du travail (OST. Taylor, Stakhanov) à l’ensemble de la société elle-même, au moyen de la machinerie cybernétique, tel qu’on l’a vu depuis un quart

de siècle (rets électroniques, smartphones, mégadonnées, QR codes, etc.), ne peut donc qu’entraîner l’extension et l’intensification de l’autoritarisme à l’ensemble de la société. Une

mutation que nous désignons comme l’avènement d’une société-machine, voire du règne machinal.

Comme le dit Engels, vous qui entrez ici, oubliez toute autonomie. La société-machine peut être « pilotée » par une technocratie « de gauche », ou par une technocratie « de droite » (elles-mêmes pilotées par les algorithmes et « l’intelligence artificielle ») ; mais on y cherchera en vain une quelconque « dialectique ». La société-machine est intrinsèquement hétéronome – et

autoritaire – ou plutôt, totalitaire.

Notre propos, lors de ces rencontres, portera sur « La technocratie, classe puissante à l’ère technologique ». En prélude à des échanges qui seront forcément trop courts, voici notre préface sur le sujet. Nous remettons également en circulation l’article extra-lucide de Friedrich Engels dont, ni lui, ni les héritiers du « socialisme scientifique », n’ont à ce jour tiré autre chose qu’une justification cynique de l’ordre industriel, de leur domination dans cet ordre, et de leurs pulsions autoritaires.

https://www.piecesetmaindoeuvre.com

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Nous republions l’article d’Engels, exhumé en 2015 dans « Ludd contre Lénine ».

Un an après la Commune, à l’automne 1872, Friedrich Engels, l’alter ego de Marx, exécute les « antiautoritaires » – c’est-à-dire les anarchistes et libertaires de l’époque – dans un article aussi bref que brillant. Si nous le republions un siècle et demi après sa parution dans l’Almanaco Republicano, ce n’est pas que nous, les anti-industrialistes, nous rendions à la rationalité technicienne de Engels, mais parce que celui-ci a l’avantage sur ses adversaires de poser le débat en termes clairs et corrects, et de mettre en lumière leurs contradictions.
En fin dialecticien, il distingue en effet deux types d’autorité – rationnelle ou irrationnelle – s’exerçant dans deux cadres différents : la sphère économique et la sphère politique. Partant, il n’a aucun mal à montrer que même « les plus furieux antiautoritaires » obéissent à l’autorité, c’est-à-dire l’imposent, dès qu’il s’agit d’action organisée – quitte à se payer de mots en dissimulant l’autorité sous un faux nom (« mission », « coordination », « fédération », « association », etc.).
« Or, l’organisation est-elle possible sans autorité ? »
Certainement pas dans le domaine politique qui est également celui des rapports de force, où les parties antagonistes imposent leur autorité par la violence, l’insurrection, la révolution, la répression, etc.
Et encore moins dans le domaine économique où les producteurs sont soumis « à un véritable despotisme indépendant de toute organisation sociale », que l’on soit en régime capitaliste ou collectiviste. La Machine commande. Engels le prouve par l’exemple – la filature, les chemins de fer, le navire (l’avion dira Marcuse un siècle plus tard). « Vouloir abolir l’autorité dans la grande industrie, c’est vouloir abolir l’industrie elle-même, c’est détruire la filature à vapeur pour retourner à la quenouille. »
Précisément. L’organisation scientifique du monde, le monde-machine qui ne se limite plus à la production (usines 4.0, raffineries, centrales, porte-containers automatisés) mais qui absorbe l’ensemble des activités sociales et personnelles (Internet, télétravail, smart city, e-commerce, e-administration, loisirs) sous l’autorité de la Machine à gouverner est plus totalitaire que ne le furent jamais les machines politiques du passé.
Anarchistes et libertaires, encore un effort pour être vraiment antiautoritaires. Détruisons la Machine ; désertons la politique ; ou cessez les faux-semblants.

https://www.piecesetmaindoeuvre.com/

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A propos du livre de Marius Blouin intitulé De la technocratie (la classe puissante à l’ère technologique). Editions Service compris, 500p., 25€.

Jamais la classe technocratique, ses représentants et ses partis, de la gauche à la droite, n’avaient été si dénoncés qu’aujourd’hui. Jamais, non plus, n’avaient-ils parus si visiblement comme les agents et dirigeants, despotiques et destructeurs, de la Machinerie générale ; acharnés au remplacement des vivants dans un monde vivant par des machins dans un monde-machine.
Nous devons donc – nous, simples humains – connaître notre ennemi comme nous-mêmes, afin de le combattre, à défaut de le vaincre. C’est à quoi ce livre entend contribuer.

Divers noms ont été mis à l’essai depuis 200 ans pour désigner la classe puissante à l’ère technologique ; bureaucratie, intelligentsia, « capitalistes du savoir », spécialistes, experts, directeurs, managers, organisateurs, « bourgeois salariés », « petits-bourgeois intellectuels », ITC (ingénieurs, techniciens, cadres), « technostructure », « couches » ou « classes moyennes », etc.
Celui de « Technocratie », forgé en 1919 par William Henry Smyth, s’est imposé comme le seul juste. Les textes ici réunis balisent la formation et l’ascension de cette classe, longtemps masquée par le duel entre prolétariat industriel et finance capitaliste.
A l’échelle historique, la rationalité de la puissance l’emporte sur toute autre. Loin de se réduire à une caste de ronds-de-cuir au service de l’Etat et du Capital, acharnés à réglementer la fabrication de nos fromages, la technocratie se définit comme la classe de la puissance et de la volonté de puissance, afin d’agir sur le monde matériel ; et d’accroître sans cesse cette puissance en mobilisant les moyens propres à l’ère technologique.

Marius Blouin publie ses enquêtes depuis l’an 2000 à l’enseigne de Pièces et main d’œuvre. Non pas en spécialiste de la technologie, mais en généraliste de la politique, à l’époque où la technologie est devenue la poursuite de la politique par d’autres moyens.