La malnutrition augmente de 300 % à Gaza

Bezalel Smotrich, ministre israélien des finances, déclare que Gaza « devrait mourir de faim »

Bezalel Smotrich a déclaré qu’il pourrait être « justifié » d’affamer 2 millions de civils à Gaza.

Le nombre d’enfants mal nourris dans le nord de la bande de Gaza a augmenté de 300% entre mai et juillet, a annoncé l’ONU lundi.

Cette annonce a été faite lors d’une conférence de presse donnée par le porte-parole adjoint du secrétaire général, Farhan Haq.

Lors de cette réunion, Haq a déclaré que la crise humanitaire à Gaza s’aggravait et qu’il y avait « une augmentation des niveaux de malnutrition chez les enfants dans le nord de la bande de Gaza ».

Les partenaires de l’ONU « ont noté une augmentation de [plus de] 300 % en juillet – où plus de 650 cas de malnutrition aiguë ont été diagnostiqués – par rapport au mois de mai où 145 cas avaient été détectés » a-t-il déclaré.

Il a ajouté que cette situation était due aux « difficultés d’accès, aux pénuries de fournitures essentielles, à la disponibilité limitée de produits frais et de viande, à l’insuffisance des services d’eau et d’assainissement et à la propagation des maladies ».

En juillet, la polio a été découverte dans des échantillons d’eaux usées de Gaza, les infrastructures d’approvisionnement en eau et d’assainissement ayant été gravement endommagées par les frappes aériennes israéliennes à Gaza.

Haq a également déclaré que seuls 8 % des 50 000 enfants auxquels les partenaires souhaitent apporter des fournitures essentielles sont atteints en raison des problèmes liés à l’aide.

Cette annonce intervient alors que le ministre israélien des finances d’extrême droite, Bezalel Smotrich, a déclaré que le pays devrait affamer les deux millions d’habitants de Gaza.

Lors d’une conférence organisée à Yad Binyamin par le média israélien Israel Hayom, M. Smotrich a déclaré qu’Israël autorisait l’entrée de l’aide dans la bande de Gaza parce qu’il n’avait pas le choix.

« Nous ne pouvons pas, dans la réalité mondiale actuelle, gérer une guerre. Personne ne nous laissera faire mourir de faim 2 millions de civils, même si cela peut être justifié et moral, jusqu’à ce que nos otages nous soient rendus ».

Tout en affirmant qu’il fallait apporter de l’aide à Gaza pour prolonger la guerre, Smotrich a condamné un accord qui, selon lui, laisserait la plupart des captifs israéliens à Gaza.

Les Nations Unies et les organisations humanitaires ont déjà reproché à Israël d’entraver l’entrée de l’aide à Gaza et d’exacerber la crise humanitaire dans l’enclave.

Fikr Shalltoot, directeur de Medical Aid for Palestinians (MAP) à Gaza, a déclaré à New Arab que les habitants de Gaza étaient « épuisés et affamés » et que des patients mouraient de blessures soignables et de malnutrition.

« Cette famine est provoquée par l’homme et résulte directement du fait que l’armée israélienne refuse l’entrée d’une aide suffisante et attaque les soins et les infrastructures de santé à Gaza », a déclaré Fikr Shalltoot, ajoutant que si Israël assumait la responsabilité de l’aide et permettait à l’aide d’entrer en toute sécurité dans l’enclave, la famine serait immédiatement éradiquée.

« Nous demandons au gouvernement britannique et à la communauté internationale de faire ce qui est vraiment juste et moral et d’insister pour que l’aide soit autorisée à entrer dans Gaza à grande échelle. Ils doivent tenir Israël pour responsable de l’utilisation de la famine comme arme de guerre. Israël doit cesser d’affamer Gaza. »

La guerre d’Israël contre Gaza a fait 39 653 morts et 91 535 blessés. Haq a ajouté qu’au moins 63 % des structures de Gaza avaient été endommagées par la guerre.

AFPS

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En 1907 déjà, le spectre d’un génocide en Palestine

Le débat sur la pertinence du paradigme colonial pour la compréhension de l’histoire du sionisme et, par conséquent, de l’État d’Israël est ancien. Si la question a été soulevée depuis longtemps par les Palestinien·nes, elle était déjà discutée dès les origines du mouvement sioniste comme en témoigne une série de lettres de 1907.

Un texte qui est souvent cité dans le débat sur la pertinence du prisme colonial pour comprendre le sionisme est l’article programmatique « Mur de fer » de Zeev Jabotinsky dont la parution, en 1923, marque la fondation du courant dit révisionniste. La thèse principale est que le sionisme doit assumer des pratiques violentes à l’égard de la population arabe de Palestine. Jabotinsky tire la nécessité de la violence du fait qu’il s’agit d’un projet colonial cherchant à établir une souveraineté juive en Palestine au détriment de la population autochtone. Celle-ci, poursuit-il, ne peut que s’opposer largement à ce projet, à l’instar de toute population autochtone. Ce texte s’inscrit en faux contre les organes officiels du mouvement, qui cherchaient à nier ou à masquer cette dimension coloniale et violente.

Ce n’était pas la première fois que la question était discutée au sein du mouvement. Seize ans plus tôt, en 1907, une lettre est publiée dans l’hebdomadaire hébreu Ha-Olam (« Le Monde »), le journal officiel de l’Organisation sioniste mondiale (OSM), qui montre que le potentiel violent du sionisme était déjà débattu à l’époque. C’est trois ans après la mort de Teodor Herzl en 1904, dix ans après le premier Congrès sioniste à Bâle, et presque trente ans après le début de l’immigration sioniste en Palestine (la « première alya », de 1881 à 1903) et la fondation des premières colonies agricoles juives de Petah Tikva et Guey Oni. C’est la période qui suit le rejet du « plan Ouganda » par le mouvement sioniste et la réaffirmation du focus sur la Palestine.

La deuxième génération de colons

C’est aussi la deuxième génération du mouvement sioniste, façonnée par les pogroms de l’Empire russe, ainsi que par les réactions internationales et les manifestations de soutien aux juif·ives. Leur sionisme se construit en dialogue avec d’autres courants politiques, notamment socialistes et révolutionnaires, qui attirent les jeunes juif·ives. Cette nouvelle génération assume la rupture avec la religion, dont le discours et les pratiques sont désormais considérés comme obsolètes, notamment parce qu’ils prolongent l’état d’exil, tandis que les sionistes cherchent plus ouvertement à établir la souveraineté nationale. Ce sionisme de la « deuxième alya » (1903-1914) présente une composante plus militante que la « première alya » et plus ouverte à la violence, comme l’indique, entre autres, la fondation de l’organisation Ha-Shomer, « le gardien » en hébreu.

Le projet colonial évolue et se précise. En 1908 est fondée à Londres la société Palestine Land Development Company (PLDC), dont le nom hébreu Hakhsharat Ha-Yishouv signifie littéralement « la préparation du peuplement ». Elle est dirigée par Arthur Ruppin, un sociologue formé en Allemagne, qui introduit les principes de l’organisation moderne du travail et de la méthode statistique. Comme l’a montré le chercheur israélien Etan Bloom, Ruppin inscrit le souci démographique, c’est-à-dire le besoin du mouvement sioniste d’établir une majorité juive en Palestine, dans un dispositif raciste, inspiré de l’eugénisme allemand de l’époque. Cela se reflète non seulement vis-à-vis des Arabes palestinien·nes, mais aussi à l’égard des juif·ives immigré·es du Yémen dans les années 1920 que l’on fait venir pour servir de main-d’œuvre bon marché. L’objectif déclaré de la société dirigée par Rupin est d’aider les nouvelles et nouveaux immigrant·es juif·ives, provenant notamment d’Europe orientale, à s’établir comme paysan·nes en Palestine. La société achète des terres et y établit des fermes. Par ailleurs, à cette même époque, on envisage d’autres formes de peuplement que la colonisation rurale, avec la planification d’Ahuzat Bayit, officiellement fondé en 1909 et devenu le premier quartier de Tel-Aviv.Haut du formulaire

Pendant cette période, la dépossession des Arabes palestinien·nes se fait par des moyens économiques considérés comme licites. On achète les terres à leurs propriétaires souvent absents, les grands propriétaires fonciers résidant au Liban ou en Syrie, et l’on force les paysan·nes arabes à partir, parfois avec une indemnisation financière.

C’est aussi l’époque des idéaux sionistes de la « garde hébraïque » et du « travail hébreu ». On parle de conquête du travail : les jeunes juif·ives arrivant d’Europe orientale entrent en compétition avec les travailleur·ses palestinien·nes employé·es dans les colonies agricoles. C’est également la période où l’hébreu moderne est conceptualisé et mis au service du mouvement national, devenant ainsi sa langue officielle. La renaissance linguistique, visant à moderniser la langue de la Bible et de la littérature rabbinique selon les critères philologiques et grammaticaux européens de l’époque, s’inscrit dans le cadre de la renaissance nationale.

À un ami marxiste

L’année 1907 correspond aussi à la première parution du journal Ha-Olam. Le rédacteur en chef est Nahum Sokolow, l’héritier de Herzl comme secrétaire général de l’OSM. C’est dans la rubrique littéraire qu’apparaît, dans quatre numéros consécutifs du printemps 1907, une série de 26 lettres. Le titre de la série est « Un paquet de lettres d’un jeune ouvrier à l’esprit perturbé ». Sous le titre on trouve la mention suivante entre parenthèses : « écrit par un ouvrier de la terre d’Israël ». L’auteur, qui demeure anonyme, s’adresse à un ami d’enfance nommé David, un intellectuel marxiste urbain resté en Europe.

Cette série peut se lire comme l’esquisse d’un roman d’apprentissage sioniste. Les lettres suivent l’évolution spirituelle et corporelle de leur auteur, un jeune immigré de la « deuxième alya », depuis le moment de son arrivée et le grand sentiment de vide qu’il éprouve, jusqu’à la découverte de son « nouveau moi » : un paysan-guerrier qui transforme « la charrue en épée, et la pelle en lance ». Ainsi, il décrit l’aboutissement de sa transformation dans la lettre qui conclut la série :

Tu pourrais me trouver près de l’enclume, martelant et transformant la charrue en épée, et la pelle en lance […] À ce moment-là, tu pourrais me contempler de loin, depuis les hauteurs des montagnes, [je serai] debout, appuyé sur la crosse de mon fusil, attendant, guettant… Souviens-toi — je suis un paysan ! … Et toi, sois laboureur en apparence, et que dans tes veines coule le sang des zélés !

Les lettres précédentes décrivent la vie de l’auteur en Palestine, ses voyages dans les colonies et ses rêves de souveraineté juive. À un moment donné, il se promène avec des amis au sommet du mont Thabor, en Galilée, d’où il contemple la vallée fertile de Jezreel, qui à ce stade n’appartient pas encore aux organisations sionistes. Le jeune ouvrier voit clairement que la vallée est habitée et cultivée, et se lamente sur le fait qu’elle ne soit pas aux mains des sionistes (qui ont tenté de l’acquérir depuis la fin du XIXe siècle). Il raconte :

La vallée s’étendait devant nous comme un tapis de soie aux couleurs multiples, avec de nombreux champs magnifiques. Chaque petit champ, cultivé par des mains agiles, brillait au loin comme un bouquet de fleurs… En haut de la montagne, contemplant ce paysage sublime, une douleur s’est éveillée en moi… Une nostalgie terrible. J’aurais voulu engloutir toute la vallée, l’embrasser et l’offrir en cadeau à notre peuple aussi merveilleux qu’elle… La vallée de Jezreel ! Vois-tu à quel point elle nous est proche… Et pourquoi n’est-elle pas entre nos mains ? Pourquoi vois-je au loin ces images sombres, les troupeaux des Bédouins ? Et pourtant, personne d’autre que nous n’a de droit sur elle !

La guerre d’extermination contre les Hereros et les Namas

C’est dans la lettre qui suit celle-là, datée de juin 1907, que se trouve un passage très intrigant. Il y est question du génocide des Hereros et des Namas, commis par les forces allemandes sur le territoire de l’actuelle Namibie entre 1904 et 1908. Le mot génocide n’y apparaît pas, mais la violence coloniale allemande est évoquée dans le cadre d’une discussion sur le rapport du mouvement sioniste aux Arabes de Palestine. Dès cette époque donc, bien avant les massacres et les expulsions de la Nakba, le potentiel génocidaire du mouvement sioniste a été discuté publiquement dans Ha-Olam le journal officiel du mouvement et aussitôt signalé comme un sujet qu’il vaut mieux éviter.

La lettre relate une dispute entre le jeune ouvrier et un colon, monsieur G., « un type très intéressant, avec des cheveux longs, [qui] revendique l’humanisme et aime bien parler de l’humanité qui fraie des chemins ». La dispute porte sur les Arabes : selon le jeune ouvrier, G. se soucie trop de leur bien-être. Lui relativise leur souffrance par rapport à l’importance du projet sioniste : construire un foyer pour accueillir des millions de Juif·ives persécuté·es. G. lui fait alors la remarque suivante :

Oui — il m’a répondu — on connaît cette excuse, les belles phrases. Mais le meurtre restera un meurtre même s’il est idéaliste. Et quelle différence entre nous et les Allemands qui combattent maintenant contre les Noirs en Afrique ? Là-bas aussi tu peux les entendre se vanter que [les Noirs] sont tués sur l’autel de la Haskalah (Lumières juives).

Cela enrage le jeune ouvrier. Il se lance alors dans une diatribe, à la fin de laquelle il crache au visage de son hôte et quitte sa maison :

Juif ! — je lui ai dit en tremblant — Entends-tu ce qui sort de ta bouche ? La guerre en Afrique et le retour à Sion ! Le peuple allemand ! Tu sais pourquoi il vient à cette guerre […] ? Par une satiété jusqu’au vomissement, par saturation, par cupidité, par le désir de dominer et de gouverner, d’exterminer des peuples. Mais nous, même si on supposait qu’un peu d’injustice a été faite à des particuliers, connais-tu l’origine de cette injustice ? […] As-tu vu les sous-sols obscurs […] moisis et pourris, où habitent des milliers de familles ?! C’est eux que tu appelles bourreaux et oppresseurs ! […] Et qu’est-ce que tu veux ? Que si nous rencontrons des obstacles sur notre chemin nous nous arrêtions sans les enlever ? […] Moi-même je ne sens aucun défaut dans mon humanité en participant à cette guerre. Ainsi le lion écrase les arbustes épineux quand il s’enfuit de ses persécuteurs ! Et pourquoi, monsieur, cet excès d’humanisme, cette oisiveté ? Est-ce que tu veux fonder une association des amants des Arabes ? C’est très idéaliste !

Un débat sur les mots plutôt que sur la réalité

En novembre 2023, Didier Fassin publie un article intitulé « Le spectre d’un génocide à Gaza » dans le média AOC, qui évoque le génocide des Herero et des Namas. L’objectif derrière l’évocation, mise en avant également par d’autres intellectuel·les comme la penseuse et militante canadienne Naomi Klein, était de sonner l’alarme : les ressemblances structurelles entre les deux situations indiquent que l’offensive israélienne à Gaza pourrait s’inscrire dans une dynamique génocidaire, dépassant ainsi l’argument du droit d’Israël à l’autodéfense. En France, la juxtaposition des deux situations a été sévèrement critiquée et jugée non pertinente par plusieurs intellectuel·les4. En particulier, la critique d’Eva Illouz, parue dans la revue K le 15 novembre 20235, nous rappelle que pour certain·es, le débat porte moins sur les faits que sur la manière de les aborder. Ainsi, elle écrit que « dans la période tourmentée que nous vivons, choisir les mots justes est un devoir moral et intellectuel ». Ce même souci semble être exprimé dans une interview publiée dans Le Monde le 19 avril 2024 sous le titre « La gauche ne sait plus parler de ce qui se passe au Proche-Orient ». Comme si le débat sur les mots était plus urgent que le débat sur la réalité. Comme si, puisque nous vivons une « période tourmentée », l’analyse critique devait s’adapter au conformisme ambiant. Or c’est précisément le propre de la pensée critique que de s’exprimer dans tout contexte et de bousculer les zones de confort.

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