Les EPR de Gravelines sous la menace de la montée des eaux

On est en plein délire !

Le site nucléaire d’EDF dans le Nord, où doivent être construits deux réacteurs EPR2, est trop vulnérable à la hausse du niveau de la mer dans le contexte du dérèglement climatique, selon une étude de Greenpeace. L’industriel assure s’appuyer sur les rapports du Giec.

C’est la plus grosse centrale nucléaire de France et elle se trouve au bord d’une plage, sur un polder, une étendue de terre située au-dessous du niveau de la mer. À Gravelines (Nord), les six bâtiments réacteurs font face à la mer. Ils pourraient bientôt être rejoints par deux EPR2 puisque c’est là qu’EDF a choisi de construire une paire de sa nouvelle génération d’équipements atomiques. Un débat public vient de démarrer au sujet de ce projet d’au moins 16 milliards d’euros.

Dans ce contexte, l’ONG Greenpeace a réalisé une carte de la montée des eaux indiquant jusqu’où elles pourraient monter si le scénario le plus pessimiste des scientifiques du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) se réalisait. On y voit les réacteurs disparaître sous les flots en 2100, et encore plus en 2120. Car selon le scénario SSP5-8.5 des scientifiques du climat, qui prévoient des processus d’instabilité de la calotte glaciaire si la hausse des températures atteint 4 °C et plus, le niveau moyen de la mer à l’échelle du globe pourrait approcher 2 mètres d’ici à 2100 et 5 mètres d’ici à 2150.

En 2100, l’ensemble du site de Gravelines pourrait se retrouver temporairement, au moment des marées hautes, sous le niveau de la mer, estime un rapport de Greenpeace publié jeudi 3 octobre. La centrale nucléaire « sera particulièrement exposée en cas d’événement climatique extrême, faisant uniquement peser sa protection sur la robustesse et le bon dimensionnement des murs et des digues qui l’entourent », explique l’association. En France, les centrales nucléaires ont été construites au bord des fleuves et près de la mer car elles y rejettent l’eau qui sert à refroidir les réacteurs.

Sollicitée par Mediapart, EDF répond que son ambition « est d’assurer la sûreté de [leurs] installations dans la durée en [les] projetant sur une exploitation à 2100. La conception des EPR2 s’appuie ainsi sur les rapports du Giec – socle de référence – pour intégrer les effets connus, anticipés et probables du changement climatique ».

Le site de Gravelines, proche de la ville de Dunkerque et de sa vingtaine de sites industriels Seveso, se trouve déjà aujourd’hui à risque important d’inondations. Pour le protéger, EDF a fait construire une digue de 4 mètres de haut, des portes étanches et un assemblage de structures métalliques enfoncées dans le sol (des « palplanches ») après l’accident nucléaire de Fukushima, au Japon, en 2011. La hauteur de protection contre les inondations a été portée à 7,48 mètres.

Fonctions vitales en péril

Les futurs EPR2 pourraient être juchés sur une plateforme de 11 mètres de haut. Soit, a priori, bien au-dessus du pire scénario de hausse du niveau de la mer. Dans cette hypothèse, les nouveaux réacteurs deviendraient une sorte d’île, au-dessus des flots mais isolée du reste des installations.

Or, pour qu’un réacteur nucléaire soit sûr, il faut qu’il soit en permanence refroidi, et donc connecté à une source d’électricité. Si la centrale de Gravelines se retrouvait « ceinturée par l’eau », cela « affecterait l’ensemble de l’infrastructure », analyse le rapport. « Cette situation engendrerait un fonctionnement de la centrale en mode dégradé » : des « fonctions vitales seraient mises en péril, comme l’évacuation de l’électricité produite par la centrale, son alimentation électrique, et le fonctionnement des pompes pour le refroidissement des réacteurs ».

Pour EDF, « la hauteur de la plateforme retenue pour les réacteurs EPR2 de Gravelines permet une protection contre les inondations “extrêmes”, en considérant les effets des scénarios du Giec parmi les plus pénalisants vis-à-vis de la hausse du niveau marin ». L’industriel ajoute que ce niveau, comme le reste du dispositif de sûreté, est soumis à l’approbation de l’Autorité de sûreté du nucléaire (ASN).

De son côté, l’ASN n’avait pas lu le rapport de Greenpeace quand Mediapart l’a sollicitée. Mais elle dit considérer que pour les EPR2, « il est important d’anticiper, dès la conception, les effets du changement climatique ». En particulier « cette conception doit prévoir des capacités d’adaptation au regard des incertitudes existantes sur les effets du changement climatique ».

Une course contre la montre

EDF n’ayant pas encore déposé de demande d’autorisation, l’ASN « n’a donc pas encore connaissance des hypothèses prises en compte pour dimensionner les ouvrages de protection vis-à-vis du risque de submersion marine ». Mais assure qu’elle « sera amenée à instruire l’ensemble des risques naturels pouvant affecter les réacteurs EPR2, en particulier ceux qui sont impactés par le changement climatique ».

Le rapport de Greenpeace soulève un autre problème : celui de la période prise en compte par l’exploitant pour garantir la sûreté de ses installations. A priori prévus pour fonctionner soixante ans, les futurs EPR devront ensuite être démantelés. Or, ce processus peut durer très longtemps – EDF n’a toujours pas fini de le faire à Brennilis, en Bretagne, site pourtant arrêté en 1985. Et les combustibles irradiés restent radioactifs bien après l’arrêt d’un réacteur.

« EDF ne prend pas la mesure de l’enjeu climatique » ; Pauline Boyer, chargée de campagne transition énergétique de Greenpeace

« Pour l’heure, ni l’industrie ni les institutions publiques n’ont communiqué d’études basées sur les dernières connaissances scientifiques qui analyseraient les risques de submersion pour les nouveaux réacteurs en bord de mer jusqu’à la fin de leur démantèlement, à l’horizon 2130-2150. » Le dérèglement du climat crée pourtant une véritable course contre la montre : si les gaz à effet de serre ne déclinent pas assez vite, plus le temps avance, plus le niveau de la mer va monter.

Greenpeace s’inquiète d’autant plus qu’EDF n’a pas publié d’étude de vulnérabilité des futurs EPR2 à Gravelines aux impacts du dérèglement climatique. Celle-ci n’est obligatoire qu’au moment de transmettre le dossier de demande d’autorisation de création. C’est-à-dire bien après le débat public, l’enquête publique, et la déclaration d’utilité publique. Trop tard selon l’ONG, pour qui cette étude devrait être un préalable à une discussion sur la construction d’EPR2 sur le polder de Gravelines.

L’Autorité environnementale, une entité indépendante, s’étonne dans son avis sur les EPR2 prévus à Penly, en Seine-Maritime, qu’« aucune analyse environnementale n’a présidé au choix du site de Penly et des sites retenus a priori pour les éventuelles futures constructions d’EPR2 ». Elle demande que ces projets soient soumis à évaluation environnementale. Sollicité, Patrice Vergriete, redevenu maire de Dunkerque après son départ du gouvernement, n’a pas donné suite à notre demande d’entretien.

Pour Pauline Boyer, chargée de campagne transition énergétique de Greenpeace et autrice du rapport, « la situation à Gravelines est particulièrement choquante ». « La procédure globale d’autorisation administrative des réacteurs nucléaires est obsolète car elle ne prend pas en compte le dérèglement climatique et s’appuie sur des résultats sans justifications. Tout cela est très inquiétant et montre qu’EDF ne prend pas la mesure de l’enjeu climatique. » Une séance du débat public sur les EPR2 de Gravelines est programmée le 10 décembre, à Saint-Folquin, une commune qui avait été reconnue en état de catastrophe naturelle lors des inondations de l’hiver 2023.

https://www.mediapart.fr/journal/ecologie/031024/nucleaire-les-epr-de-gravelines-so

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La Voix du Nord en rajoute

https://www.lavoixdunord.fr/1508468/article/2024-10-03/gravelines-greenpeace-juge-de

Nucléaire : Greenpeace juge déraisonnable l’implantation d’EPR à Gravelines « face à la montée du niveau de la mer »

Greenpeace publie ce jeudi un rapport sur le projet des deux nouveaux réacteurs nucléaires (EPR2) à Gravelines à l’horizon 2040. L’organisation estime qu’EDF, le maître d’ouvrage avec RTE, ne prend pas assez en compte l’évolution du changement climatique pour assurer la sûreté nucléaire. Gravelines devrait accueillir deux réacteurs de type EPR2 à l’horizon 2040 à proximité des six réacteurs existants.

En février 2022, le président Emmanuel Macron avait annoncé à Belfort la reprise du nucléaire civil, notamment pour répondre à une hausse des besoins d’électricité. C’est pourquoi, trois paires d’EPR2, réacteurs nucléaires à eau pressurisée nouvelle génération, doivent être construites sur le territoire national. Gravelines fait partie des trois sites choisis avec Penly (Seine-Maritime) et Bugey (Ain). Les deux réacteurs, d’une puissance de 1 670 mégawatts (MW) chacun, vont compléter les six réacteurs déjà existants. Les maîtres d’ouvrage, EDF et RTE, tablent sur une mise en fonctionnement à la fin des années 2030.

Ce jeudi 3 octobre, l’organisation de protection de l’environnement publie un long rapport contre ce projet. Greenpeace juge déraisonnable l’installation de nouveaux réacteurs dans cette zone au vu de l’évolution du changement climatique. « Pour la protection de ces deux nouveaux réacteurs, face à la montée du niveau de la mer induit par le dérèglement climatique, EDF se base sur un scénario du sixième rapport du GIEC qui n’est pas le plus pessimiste, avance Pauline Boyer, chargée de campagne nucléaire à Greenpeace France et à l’origine du rapport. Ce dernier prévoit une augmentation du niveau de la mer d’un mètre d’ici la fin du siècle. Or, en novembre 2023, des spécialistes de la cryosphère (ensemble des zones où l’eau est à l’état solide), évaluent dans une publication une augmentation du niveau de la mer à trois mètres au début du siècle prochain. Un rapport repris par Heïdi Sevestre, glaciologue française reconnue internationalement. »

Un problème que soulève l’organisation face à la topographie du lieu : un polder qui pourrait à la fin du siècle être plus vulnérable aux submersions marines et aux remontées d’eau. Face à cette éventualité et suite au drame de Fukushima (Japon), EDF a déjà érigé une enceinte protectrice (la PPINO) autour de la centrale existante et prévoit d’installer les EPR2 à 11 mètres au-dessus du niveau de la mer.

« On ne va pas dans la bonne direction »

« Cela signifie que l’installation sera entourée d’eau et sera isolée si des cas de submersions marines surviennent, poursuit Pauline Boyer. On ne peut pas réfléchir à un tel projet en se basant sur le fait qu’elle pourrait être isolée et que les raisons de son isolement, des évènements climatiques intenses, pourraient provoquer des dégâts, en particulier sur le réseau extérieur, essentiel pour évacuer la production de la centrale et pour son alimentation afin qu’elle reste sous contrôle. »

L’organisation dénonce également le fait qu’EDF précise dans son dossier des maîtres d’ouvrage (DMO) garantir la sûreté nucléaire jusqu’à 2070, à mi-chemin des 60 ans d’exploitation des nouveaux réacteurs. EDF réexaminera ensuite tous les 10 ans la sûreté des réacteurs en s’appuyant sur sa veille climatique pour définir des modifications à apporter à l’installation si nécessaire. « Il y a donc un pari sur la sûreté nucléaire quant à l’évolution du changement climatique pour ces deux EPR2, abonde l’auteure du rapport. On ne va pas dans la bonne direction. »

L’EPR2 sur une plateforme de 11 mètres

« La centrale de Gravelines, c’est 40 ans d’exploitation en toute sûreté, rappelle Antoine Ménager, directeur de la direction du programme nucléaire en charge du débat public sur l’EPR2 pour EDF. Pour ce qui est de la construction des futurs réacteurs, nous avons dimensionné l’installation avec un consensus scientifique d’une montée du niveau de la mer d’un mètre à horizon 2100. C’est l’hypothèse prise aujourd’hui en particulier pour la plateforme de 11 mètres. Si le consensus scientifique évolue on prendra des mesures d’adaptation. » EDF précise notamment dans son DMO avoir réévaluer à la hausse les températures génériques de dimensionnement des enveloppes (53°C pour l’air et 30°C pour l’eau en bord de mer) à la suite de la publication de nouveaux scénarios par le GIEC en 2023.

« Sans oublier que nous sommes sous le contrôle de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) qui fixe les exigences, rajoute Antoine Ménager. On n’est pas arc-bouté sur des certitudes, nous prenons tout à fait au sérieux les évolutions du changement climatique pour assurer la sûreté nucléaire. Raison pour laquelle nous sommes ultra confiants pour la sûreté jusqu’à 2070 et qu’après on s’adaptera s’il y a de nouvelles normes. », directeur de la direction du programme nucléaire en charge du débat sur l’EPR2 pour EDF, explique le projet de construction de deux EPR2 à Gravelines lors de la première réunion du débat public le 17 septembre. – PHOTO MARC DEMEURE

L’EPR2 sur une plateforme de 11 mètres

« La centrale de Gravelines, c’est 40 ans d’exploitation en toute sûreté, rappelle Antoine Ménager, directeur de la direction du programme nucléaire en charge du débat public sur l’EPR2 pour EDF. Pour ce qui est de la construction des futurs réacteurs, nous avons dimensionné l’installation avec un consensus scientifique d’une montée du niveau de la mer d’un mètre à horizon 2100. C’est l’hypothèse prise aujourd’hui en particulier pour la plateforme de 11 mètres. Si le consensus scientifique évolue on prendra des mesures d’adaptation. » EDF précise notamment dans son DMO avoir réévaluer à la hausse les températures génériques de dimensionnement des enveloppes (53°C pour l’air et 30°C pour l’eau en bord de mer) à la suite de la publication de nouveaux scénarios par le GIEC en 2023.

« Sans oublier que nous sommes sous le contrôle de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) qui fixe les exigences, rajoute Antoine Ménager. On n’est pas arc-bouté sur des certitudes, nous prenons tout à fait au sérieux les évolutions du changement climatique pour assurer la sûreté nucléaire. Raison pour laquelle nous sommes ultra confiants pour la sûreté jusqu’à 2070 et qu’après on s’adaptera s’il y a de nouvelles normes. »

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