La paysannerie bretonne en crise

La crise agricole que traverse la Bretagne n’est pas une crise passagère.

Elle est l’aboutissement d’un modèle agricole devenu insoutenable pour les paysan·nes, qui peinent à vivre de leur travail et à pérenniser leurs fermes. La spirale infernale des bas prix, des couts de production qui augmentent, des dettes qui s’accumulent, et de la concentration des terres et des productions dans des mains de plus en plus industrielles et étrangères, ne fait qu’aggraver la situation. Entre 2010 et 2020, la Bretagne a perdu un quart de ses fermes familiales. les paysan·nes breton·nes sont les plus endettés du pays, les fermes en polyculture-élevage ne représentent plus que 10% d’entre elles. Ces chiffres sont d’autant plus frappants lorsqu’on sait que le prix moyen d’une ferme en Bretagne a explosé ces dernières années, accentuant la pression sur les paysan·nes, en particulier ceux et celles qui veulent s’installer ou transmettre leur exploitation.

La responsabilité de cette crise incombe largement à un modèle agricole qui privilégie la rentabilité immédiate au détriment du bien-être des paysan·nes et de la préservation des paysages et des écosystèmes. Ainsi se multiplient les fermes-usines, qui concentrent la production agricole sous forme d’industries géantes, déconnectées des réalités locales. Ces structures imposent des rythmes de production infernaux, mettent la pression sur les prix et souvent, bradent la qualité des produits. La place laissée aux exploitations familiales, aux circuits courts et à l’agriculture paysanne devient toujours plus minime.

Pourtant, c’est bien ce modèle qui a fait ses preuves, tant en termes de préservation de la biodiversité, de qualité des produits, que de pérennisation des emplois agricoles.

La solution à cette crise passe par une profonde refonte de notre politique agricole. Il est impératif de remettre en place des prix garantis, qui assurent un revenu décent aux paysan·nes, et d’interdire la spéculation foncière, qui chasse les jeunes agriculteur·rices et détruit les fermes paysannes. L’agriculture doit sortir de la logique de rentabilité à court terme pour se tourner vers un modèle plus juste, plus respectueux de la nature, et plus durable à long terme. La France, et plus largement l’Europe, doivent mettre en place des politiques qui permettent aux paysan·nes de s’installer, de vivre dignement de leur travail et de transmettre leurs savoirs sans craindre la disparition de leur métier.

Or, ces évolutions nécessaires se heurtent à des initiatives législatives et stratégiques qui accentuent la dérégulation au profit de l’agro-industrie !

La stratégie de dérégulation portée par la FNSEA, illustrée par  la proposition de loi Duplomb menace de fragiliser encore davantage les protections environnementales déjà insuffisantes. Sous prétexte de simplification administrative, ce texte propose des dispositions qui affaiblissent significativement les garanties environnementales. 

Les Installations Classées pour la Protection de l’Environnement (ICPE) sont catégorisées en trois niveaux en fonction du nombre d’animaux et donc en fonction des risques présentés pour la sécurité publique et environnementale. Cette proposition de loi (PPL) se concentre sur le niveau le plus haut : celui des ICPE soumises à autorisation (2 à 3% des exploitations d’élevage). Dans la législation française, il faut distinguer les seuils et procédures ICPE qui sont rattachés à la directive européenne IED et les seuils et procédures d’évaluation environnementales rattachés à la directive européenne EIE. En juin dernier, le gouvernement a réhaussé par décret les seuils d’évaluation environnementale rattachés à la directive EIE, qui sont désormais supérieurs aux seuils ICPE. Cette proposition de loi vise maintenant à relever les seuils d’autorisations ICPE en les alignant sur les nouveaux seuils EIE plutôt que de les aligner sur les seuils ICPE issus de la directive IED… et donc à faciliter l’installation de fermes-usines au profit de l’agrobusiness. 

Qui vit sur le dos des paysan·nes aujourd’hui ?

Le sénateur Duplomb prévoit, quant à lui, aussi de soumettre les projets d’élevage à des enquêtes publiques basées sur des dossiers potentiellement incomplets, affaiblissant ainsi la transparence et la qualité des évaluations. En distinguant les élevages industriels des autres Installations Classées pour la Protection de l’Environnement (ICPE), la proposition de loi permet également des « procédures et prescriptions adaptées ». Une notion bien floue qui risque de servir de levier pour contourner les normes environnementales. Par ailleurs, en excluant les élevages du régime d’enregistrement, elle limite la capacité des préfets à exiger des évaluations environnementales adaptées aux spécificités locales – spécificités dont la Bretagne à grandement besoin -. Enfin, l’alourdissement administratif imposé aux Autorités Environnementales, déjà sous-dotées en moyen, réduit leur capacité à rendre des avis de qualité. En définitive, cette stratégie favorise l’industrialisation agricole au détriment des paysan·nes, des territoires, des écosystèmes, et de la confiance des citoyen·nes dans la démocratie environnementale.

Mercosur : un accord dévastateur pour l’agriculture 

L’accord de libre-échange entre l’Union Européenne et les pays du Mercosur (Brésil, Argentine, Paraguay et Uruguay) est un danger actuel pour l’agriculture. Lors des dernières sessions au Parlement, une majorité d’élu·es a voté contre cet accord, un signal fort pour les défenseur·es de l’environnement et de l’agriculture paysanne. Cependant, le gouvernement continue implicitement de défendre cet accord qui ouvre grandes les portes du marché européen à des produits agricoles en grande partie issus de pratiques destructrices de l’environnement et de la santé humaine.

L’un des aspects les plus préoccupants de cet accord est la concurrence déloyale qu’il impose aux agriculteur·ice·s français·e·s. Le Mercosur prévoit l’importation de viande, de soja, de sucre et d’autres produits agricoles à des prix bien inférieurs à ceux pratiqués en France. En pratique, cela signifie que les élevages français, déjà mis à mal par des prix trop bas, seront confrontés à des produits en provenance de pays où les conditions de production sont moins strictes sur le plan environnemental et social. Les standards sanitaires et de bien-être animal sont bien souvent inexistants dans ces pays, ce qui met en danger la santé des consommateurs et des consommatrices, tout en fragilisant encore davantage nos filières locales.

Mais au-delà de l’impact immédiat sur les prix, cet accord s’inscrit dans une logique qui dénature complètement l’agriculture paysanne locale. L’objectif affiché de l’Union Européenne est de favoriser une compétitivité accrue, ce qui revient à pousser les paysan·ne·s à toujours plus de productivité au détriment de la qualité, de l’environnement et de leurs droits. La recherche du profit à tout prix est incompatible avec une agriculture respectueuse de la nature et des travailleur·euse·s. Il est primordial de comprendre que ce modèle met en péril la souveraineté alimentaire de la France, et par extension, la capacité des citoyen·ne·s à choisir un modèle alimentaire plus éthique et plus durable.

Nos revendications sont claires : stopper définitivement l’accord UE-Mercosur, mais aussi, à plus large échelle, rejeter tous les accords de libre-échange, comme le CETA avec le Canada, qui visent à déréguler les échanges au détriment des populations et de la planète. Nous devons faire de la régulation commerciale un outil de justice sociale et environnementale, et non un levier au service des multinationales.

Manifestation contre l’usine à tomates d’Isigny-le-Buat : une première victoire 

Le 16 octobre 2024, une importante manifestation a eu lieu à Isigny-le-Buat, dans la Manche, contre le projet d’une méga-serre chauffée à tomates, porté par la multinationale agro-industrielle AGROCARE. Ce projet a de quoi inquiéter : il vise à installer une serre gigantesque de 32 hectares pour produire des tomates en série, dans des conditions intensives. Ce modèle de production, loin de répondre aux besoins locaux ou aux attentes des consommateurs, est conçu pour maximiser les rendements au prix de l’environnement et des paysan·ne·s locaux·les. En monnayant la terre agricole, ce type de projet représente une menace directe pour les fermes locales, qui risquent d’être balayées par la logique industrielle et l’urbanisation agricole.

Les conséquences environnementales d’un tel projet sont dramatiques : consommation d’eau excessive, pesticides utilisés en grande quantité, perte de biodiversité locale et pollution des sols et des nappes phréatiques. En outre, ce projet s’inscrit dans une logique de concentration des terres et des productions agricoles, qui ne laisse aucune place à l’agriculture paysanne et aux circuits courts. Ces méga-installations ne créent pas des emplois agricoles durables, mais des emplois précaires dans un système où la rentabilité prime sur la qualité de vie des travailleurs et des travailleuses.

Mais grâce à une mobilisation citoyenne forte, soutenue par des organisations locales – la Conférédation paysanne de la Manche et le collectif STOP TOMATES -, une première victoire a été remportée. Ce n’est qu’un premier pas, et nous devons rester vigilant·e·s. Si cette victoire est importante, elle ne doit pas faire oublier que de nombreux projets similaires, notamment en Bretagne, sont en cours. Il est impératif de maintenir la pression sur les autorités publiques pour empêcher la prolifération de ce type de projets hors-sols. Ces mobilisations sont le moyen de montrer que nous ne laisserons pas nos territoires être accaparés par l’agro-industrie.

Un avenir pour notre agriculture, c’est possible !

La crise agricole, la menace de nouveaux accords de libre-échange comme celui du Mercosur, et la multiplication des projets industriels agricoles nous imposent une réflexion urgente sur l’avenir de notre modèle agricole. Chaque mobilisation, chaque victoire, chaque pas en avant est une avancée vers un avenir agricole plus respectueux, plus juste et plus durable.

L’agriculture paysanne, respectueuse de l’environnement et des droits des travailleurs, est possible. Nous pouvons mettre en place une agriculture locale et de qualité, qui assure à tous et toutes un accès à une alimentation saine et respectueuse de la planète. Ce combat est le nôtre, et ensemble, nous continuerons à le mener sans relâche.

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