Un militant antifasciste en passe d’extradition

Empêchons la justice française de livrer l’antifasciste Gino à un procès inique en Hongrie !

Chaque mois de février depuis 1997, Budapest est le théâtre de la « Journée de l’honneur », un défilé organisé par des groupuscules néonazis venus de toute l’Europe, en commémoration de la tentative des troupes nazies et collaborationnistes hongroises de fuir la ville en février 1945. Non seulement la manifestation est tolérée par le pouvoir en place, mais à en croire l’inquiétude de députés européens, elle serait même appuyée par des fonds publics depuis l’arrivée de Viktor Orban au pouvoir

https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/E-9-2024-000554_EN.html

En 2023, un rassemblement antifasciste était organisé pour protester contre la tenue de cet événement. Depuis lors, la Hongrie tient une vingtaine de militants antifascistes européens pour coupables des heurts qui ont éclaté entre militants de gauche et néo-nazis les 10 et 11 février. Lors des procès qui leur sont intentés, les seuls matériaux faisant office de preuves sont des extraits de caméras de vidéosurveillance, sur lesquels aucun de ces accusés n’est reconnaissable. Les témoins et victimes ont également été incapables de les identifier comme leurs agresseurs.

Pour autant, Viktor Orban lui-même, les principaux représentants de son gouvernement, les eurodéputés hongrois d’extrême-droite et la presse locale affiliée au pouvoir les désignent régulièrement comme un « gang » de voyous, de criminels ou encore de terroristes, sans aucun égard pour le principe de présomption d’innocence. Constamment pointée du doigt par la Commission européenne pour sa vulnérabilité face aux pressions politiques et médiatiques, dans le cadre de violations systémiques de l’État de droit en Hongrie

https://commission.europa.eu/document/download/e90ed74c-7ae1-4bfb-8b6e-82

la justice hongroise a largement prouvé son inaptitude à juger les accusés de manière impartiale. 

Le cas de l’enseignante italienne Ilaria Salis, uniquement sauvée d’une peine injuste par une mobilisation ayant conduit à son élection au Parlement européen en juin dernier, est particulièrement parlant. Arrêtée dans un taxi, accusée successivement et de façon douteuse de différents chefs d’inculpation, puis emprisonnée « par mesure de précaution » pendant près de 15 mois, elle a subi un procès politique méprisant la plupart des garanties prévues par le droit européen, étant par exemple présentée devant la cour enchaînée et tenue en laisse par des gardiens cagoulés. Inculpée d’agressions dont ont résulté des lésions mineures, elle risque jusqu’à 24 ans de prison si elle ne plaide pas coupable, 11 ans dans le cas contraire. Par contraste, les militants néo-nazis qui ont mené des représailles dans les rues de Budapest après les agressions en question ont quant à eux écopé de quelques jours d’enfermement.

Le tribunal de Milan ne s’y est pas trompé : en mars 2023, quand un militant italien visé par un mandat d’arrêt européen lancé par la Hongrie a été arrêté, la demande d’extradition a essuyé un refus net, par crainte d’un traitement inhumain, de violations des droits fondamentaux de l’accusé, et de la disproportion entre les faits reprochés et les peines requises.

Aujourd’hui, c’est au tour de Rexhino Abazaj, dit « Gino », d’être menacé par la Hongrie orbaniste. Arrêté à Paris la semaine du 11 novembre et sous le coup d’un mandat d’arrêt similaire, il est depuis emprisonné à la prison de Fresnes, où il attend la décision d’un tribunal français sur la demande d’extradition hongroise. Après une première audience lors de laquelle ses avocats et lui ont pris connaissance de la requête, une seconde doit être organisée le 18 décembre pour statuer sur son sort. 

Nous appelons tous les citoyens européens à se mobiliser pour soutenir un militant antifasciste et pour lutter contre la menace que l’extrême-droite orbaniste fait peser sur l’équité des procédures judiciaires en Europe.

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Accusé d’avoir tabassé des néonazis, un antifa installé à Paris risque l’extradition vers la Hongrie

La justice française doit examiner mi-décembre la demande d’extradition émise contre un militant albanais recherché pour des violences commises en2023 à Budapest en marge du « Jour de l’honneur », le plus important rassemblement annuel de nostalgiques du Troisième Reich en Europe.

C’est une nouvelle arrestation qui s’inscrit dans la vaste offensive menée par le régime d’extrême-droite de Viktor Orbán contre des militant·es antifascistes. À la suite d’un mandat d’arrêt européen émis par la Hongrie, des policiers français de la sous-direction antiterroriste (Sdat) ont interpellé le 12novembre, à Montreuil (Seine-Saint-Denis), Rexhino Abazaj, alias « Gino », un activiste accusé de violences commises en marge d’un rassemblement néonazi à Budapest en 2023.

Placé en détention au centre pénitentiaire de Fresnes(Val-de-Marne), cet Albanais de 32 ans, qui dispose d’une carte de résident permanent en Italie et vivait jusqu’au mois d’avril en Finlande, a refusé le 20 novembre son extradition vers la Hongrie. Une nouvelle audience doit se tenir le 18 décembre au tribunal judiciaire de Paris, mais plusieurs mois pourraient s’écouler avant que la justice française ne statue définitivement.

Dans un communiqué, le groupe des député·es insoumis·es a appelé la France à « refuser l’extradition de Gino afin de garantir le respect de son droit à un procès équitable, consacré par l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme ». Des antifascistes parisiens ont créé un comité de soutien, exigeant la libération de leur camarade : « Gino ne doit pas être extradé vers un pays qui ne respectera pas ses droits les plus élémentaires et doit être relâché immédiatement. »

Les autorités hongroises soupçonnent Rexhino Abazaj d’être impliqué, aux côtés de dix autres militant·es (allemand·es, italien·nes et syrien), dans l’agression de deux Allemand·es, Sabine Brinkmann et Robert Fischer, à la sortie d’un concert de rock néonazi organisé, le 10février 2023, dans le cadre du Day of Honour (« jour de l’honneur »).

Ce défilé annuel, qui accueille depuis 1997 des nostalgiques du Troisième Reich débarqués de toute l’Europe, pour certains armés et vêtus d’uniformes de la Waffen-SS, vise à commémorer la bataille de Budapest et à rendre hommage aux soldats allemands et hongrois qui s’opposèrent à l’Armée rouge et à son alliée roumaine en 1945.

Selon les informations de Mediapart, le concert, lui, réunissait la chanteuse suisse Ewiger Sturm et le groupe de « RAC’n roll » hongrois Hundriver. Il était organisé dans la brasserie Keg Sörmüvház par la division locale de Blood and Honour (« sang et honneur »), réseau international de promotion de musique néonazie interdit dans plusieurs pays dont la France.

Le parquet général de Budapest, qui n’a pas répondu aux questions de Mediapart, accuse Rexhino Abazaj et ses camarades de « participation à une organisation criminelle » et de « coups et blessures provoquant un risque immédiat de mort », des délits passibles en Hongrie d’une peine maximale de seize années d’emprisonnement. Blessé·es à la tête et aux jambes, les deux néonazi·es supposément agressé·es cette nuit-là ont écopé d’une incapacité totale de travail (ITT) de cinq et six jours.

« Ce qui nous inquiète au plus haut point, signale l’avocat Youri Krassoulia, chargé, avec son confrère Laurent Pasquet-Marinacce, de la défense de Rexhino Abazaj, c’est le fait que son interpellation a été faite par la Sdat, donc par la police antiterroriste, qui l’a arrêté sur un mandat d’arrêt européen pour des faits qui ne sont pas d’une gravité extrême, en tout cas pas terroristes. Cela nous interpelle sur la dimension politique de ce dossier. »

Interrogé par Mediapart, le patron de la Sdat, Michel Faury, n’y voit là rien « d’extraordinaire » : « Dans notre domaine de compétences, il y a les ultras, donc l’ultragauche et l’ultradroite. Et la Sdat se positionne aussi dans la coopération européenne et internationale, car c’est un service central. Ce sont les raisons pour lesquelles on peut être actionnés sur des exécutions de mandat. »

Une eurodéputée italienne aussi menacée d’extradition

Les autorités hongroises estiment que quatre attaques distinctes ont été perpétrées au cours du week-end du Jour de l’honneur 2023, blessant au total sept personnes :les deux néonazi·es allemand·es cité·es plus haut (dont l’un est photographié avec le tatouage d’un officier de la Wehrmacht sur le torse, lors d’une randonnée vers un lieu de culte nazi en Basse-Saxe, ou filmé là en interview sur la chaîne YouTube Löwenstadt Fightclub), trois Polonais membres du parti ultraconservateur Mouvement national ainsi que les Hongrois LászlóDudog, figure de la scène rock néonazie, et Lipták TamásPál, ancien chef du Mouvement de jeunesse des soixante-quatre comitats, un parti ultranationaliste.

Rexhino Abazaj n’est de ce fait pas le premier militant antifasciste à être inquiété dans ce dossier, loin de là. Dans la foulée de la manifestation, la police locale avait déjà arrêté à Budapest l’Italienne Ilaria Salis et les deux militant·es allemand·es Tobias E. et Anna M. En janvier2024, leur procès s’ouvrait dans la capitale hongroise. Le Berlinois Tobias E. a accepté une procédure accélérée et a d’abord été condamné à trois ans de prison ferme, avant de voir sa peine réduite en appel à un an et dix mois. De son côté, Anna M. a été libérée et a pu quitter le pays –mais demeure poursuivie.

Fin juin, un·e militant·e non binaire, Maja T., a été transféré·e d’Allemagne vers la Hongrie à l’issue d’une procédure éclair qui a suscité l’incompréhension outre-Rhin. Ses proches critiquent des conditions de détention qui s’apparentent, selon eux, à de la torture, dans un pays connu pour son hostilité à l’égard des personnes LGBTQI+ : l’activiste originaire de Saxe croupit en cellule d’isolement depuis plusieurs mois et reçoit des soins médicaux insuffisants. La cellule, infestée de cafards, est placée sous vidéosurveillance et constamment fouillée.

Sur la coopération policière et la répression sans frontières, l’Europe est très efficace. Mais quand il s’agit de partager des libertés et droits fondamentaux… Youri Krassoulia, avocat de Rexhino Abazaj»

L’éventuelle extradition par l’Allemagne de Hanna S., accusée de « tentative de meurtre » à Budapest et placée en détention provisoire en Bavière, est actuellement à l’étude ; elle comparaîtra en outre à partir de février 2025devant le tribunal de Munich. Début novembre, la police de Thuringe a également interpellé Johann Guntermann, recherché dans le cadre d’enquêtes sur des attaques contre des extrémistes de droite en Allemagne, mais aussi considéré comme le « chef de l’organisation »derrière les violences présumées commises lors du Jour de l’honneur.

Ilaria Salis, quant à elle, court toujours le risque d’être extradée vers la Hongrie. Incarcérée à Budapest durant quinze mois dans l’attente de son procès, puis assignée à résidence, cette enseignante de 40 ans a été libérée en juin après avoir été élue eurodéputée sous les couleurs d’un petit parti italien, Alleanza Verdi e Sinistra (Alliance des Verts et de la gauche). La Hongrie a demandé la levée de son immunité parlementaire le 10 octobre, c’est-à-dire au lendemain de la venue de Viktor Orbán au Parlement de Strasbourg.

« Ce jour-là, je suis intervenue en séance plénière pour critiquer la présidence hongroise de l’UE, relate Ilaria Salis auprès de Mediapart. Ce n’est donc pas une coïncidence si dès le lendemain, les autorités ont demandé la levée de mon immunité. Il y a une sorte de persécution contre les opposants politiques en Hongrie. »

La commission des affaires juridiques du Parlement européen doit maintenant examiner la requête hongroise, mais la décision finale dépendra d’un vote en session plénière. Si elle aboutit, la demande d’extradition serait ensuite traitée en Italie par le même parquet qui a refusé en février la remise de Gabriele Marchesi, également recherché dans l’affaire dite du « Budapest Komplex », aux motifs d’un « risque réel de traitement inhumain et dégradant », de « possibles violations des droits fondamentaux » et de la disproportion de la peine requise à son égard. «

Ilaria Salis, membre du groupe La Gauche au Parlement européen, revient sur son expérience « terrible » des geôles magyares : « On m’a laissée pendant de nombreux jours sans savon, sans papier-toilette. La nourriture et les produits d’hygiène manquaient. Il y avait des punaises de lit dans les cellules. Pendant plus d’un mois, j’ai été complètement isolée, étant obligée de porter les mêmes vêtements et sous-vêtements. » L’activiste évoque aussi la privation de contact avec sa famille et l’insistance des enquêteurs pour l’interroger sans qu’elle soit accompagnée de son avocat.

Lors d’une audience au tribunal de Budapest, en janvier, Ilaria Salis était apparue menottée aux poignets et entravée aux chevilles par une chaîne ressemblant à une laisse, des images qui avaient provoqué les vives protestations de Rome. « Avant le début du procès, le procureur a proposé que si je me déclarais coupable, j’écoperais de onze ans de prison ferme, affirme-t-elle. Mais comme je suis innocente, j’ai refusé cette proposition. Je risque donc maintenant d’être condamnée à vingt-quatre ans ferme. »

Le mandat d’arrêt européen, un outil très politique

Dans le chapitre consacré à la Hongrie de son rapport2024 sur l’État de droit, publié en juillet, la Commission européenne déplorait qu’en matière de justice,« l’influence politique sur le parquet demeure, avec le risque d’ingérences indues dans des affaires individuelles ». Un interventionnisme qu’Ilaria Salis dit avoir constaté dans sa propre affaire : « Plusieurs membres du gouvernement hongrois [tel Zoltán Kovács, secrétaire d’État aux relations publiques – ndlr] m’ont déclarée coupable avant même l’issue du procès, en disant que je suis une criminelle, une terroriste. Je pense que cela peut avoir une influence sur le juge. C’est pourquoi j’estime que je n’aurai pas droit à un procès équitable en Hongrie. »

L’avocat de Rexhino Abazaj, Youri Krassoulia, abonde dans le sens de l’eurodéputée italienne : « La Hongrie est un État qui est aujourd’hui à un tournant sur la question des libertés et des droits fondamentaux. C’est un peu devenu un État contre l’Europe, mais qui va parfaitement utiliser les outils européens comme le mandat d’arrêt européen. »

Selon lui, cette procédure judiciaire transfrontière, créée en 2002, « est un outil de rapidité entre des États qui ont ce qu’on appelle une confiance mutuelle, qui nous empêche de pouvoir questionner la légitimité des poursuites et de pouvoir nous interroger sur leur dimension politique ».Spécialiste en droit de l’extradition, Youri Krassoulia juge que « sur la coopération policière et la répression sans frontières, l’Europe est très efficace. Mais quand il s’agit de partager des libertés et droits fondamentaux, là, les contrôles sont plus restreints ».

La Hongrie, place forte des néonazis

La répression judiciaire tous azimuts de la Hongrie d’Orbán envers les antifascistes tranche avec la mansuétude dont le gouvernement issu du Fidesz, parti allié du Rassemblement national à Strasbourg, fait preuve vis-à-vis de l’extrême droite la plus radicale. Au cours des dernières années, outre le Jour de l’honneur, les néonazis du Vieux Continent ont fait du pays magyar leur place forte pour l’organisation d’événements plus ou moins clandestins, qui servent tout à la fois d’espaces de réseautage, de recrutement de nouveaux et nouvelles adeptes et de collecte de fonds.

En mai 2023, le tournoi d’arts martiaux mixtes European Fight Night (« nuit européenne du combat ») a réuni à Budapest des combattants originaires de douze pays. Il s’agissait du « plus grand événement nationaliste radical depuis le coronavirus », selon ses promoteurs, l’organisation paramilitaire hongroise Légió Hungária, le groupe de MMA allemand Kampf der Nibelungen et Pride France, une boutique en ligne de vente de matériel sportif et de vêtements gérée par Tomasz Szkatulski, un skinhead français plusieurs fois condamné pour violences.

Selon les informations de Mediapart, le même Tomasz Szkatulski était aussi le chef d’orchestre, les 11 et 12octobre 2024 à Budapest, du festival de rock néonazi Reconquering Europe (« reconquérir l’Europe »). À l’affiche, notamment, deux groupes français : les Niçois de Fraction, menés par l’ancien élu Front national et fondateur du Bloc identitaire Fabrice Robert, et les Isariens de Bunker 84, célèbres pour leurs morceaux encensant les crimes de l’Allemagne nazie.

Le 21 décembre, jour du solstice d’hiver, c’est un nouveau concert, cette fois de black metal national-socialiste.(NSBM), qui est programmé à Budapest.

Organisé par le label local Nordic Sun Records, l’affiche réunit les Polonais de Sunwheel, les Grecs de Der Stürmer et les Finlandais de Goatmoon, trois poids lourds de cette scène musicale qui se caractérise par son affiliation à des idéologies aryennes, antisémites et suprémacistes blanches. Le lieu est tenu secret et le tarif d’entrée est fixé à 25 990 forints, soit pas moins de 63 euros.

À l’occasion de la prochaine édition du Jour de l’honneur, le 8 février 2025, « plus de dix groupes d’Europe » sont d’ores et déjà annoncés, sur deux soirées, par le groupuscule Blood and Honour Hongrie.

Le chercheur allemand Robert Claus, auteur en 2020 du livre Ihr Kampf (« leur combat », non traduit), consacré à ces milieux militants, avertit qu’à travers les concerts ou les tournois de MMA, « la scène néonazie internationale obtient sa combinaison de violence et de sport, de haine politique et de musique ». Soit, d’après cet observateur,« tout le package culturel que le néonazisme pré-terroriste peut proposer ».

Mediapart