Ils seraient liés à l’environnement selon Pr Dominique Belpomme
Cancer, obésité, allergies, troubles du comportement… L’augmentation de ces maladies est dû, pour une très grande part, à la dégradation de notre environnement, alerte le cancérologue Dominique Belpomme. Effarant, effrayant et pourtant possiblement réversible.
Quelle est la part des facteurs environnementaux dans l’augmentation persistante des cancers ? Quel rôle peut jouer l’écologie dans la médecine contemporaine ? Depuis plus de dix ans, le cancérologue Dominique Belpomme, ancien membre du « Comité cancer » de l’Assistance publique, et aujourd’hui directeur de l’ECERI (Institut Européen de recherche sur le cancer et l’environnement) à Bruxelles, alerte sur les liens entre santé et environnement. Dans son nouveau livre, qui paraît le 6 avril, Comment naissent les maladies (éd. Les liens qui libèrent), il élargit plus encore le spectre de ses recherches et appelle à une mutation profonde de notre système de santé (et de pensée !). Car aujourd’hui, affirme-t-il, il n’y a plus de doute concernant l’origine environnementale de la plupart des maladies modernes, qu’il s’agisse du cancer, de l’obésité, des allergies, des troubles du comportement ou de pathologies émergentes comme l’électrohypersensibilité…
Un rapport de l’OMS, publié en mars dernier, évalue à 12,6 millions le nombre de morts dûs à la pollution de l’air, de l’eau, des sols, ainsi qu’aux substances chimiques et au changement climatique. Prend-on aujourd’hui la mesure du rôle de l’environnement dans les maladies contemporaines ?
L’OMS avait déjà publié un rapport attribuant 10 % de la mortalité par cancer à la pollution atmosphérique. Ils sont donc sur la voie de la pollution atmosphérique, de même que sur celle de la pollution nosocomiale (où des facteurs microbiens, développés dans des établissements de santé, sont à l’origine des pathologies). Mais une fois de plus, l’OMS a du retard, il s’agit de généralités que nous connaissons depuis plus d’une dizaine d’années. Encore faut-il en préciser les détails.
Comment cela se répercute-t-il sur l’homme, pathologie par pathologie ? Les réponses tiennent dans une nouvelle façon d’aborder la médecine, sous-tendue par ce nouveau paradigme environnemental. J’ai d’abord pris le cancer comme modèle [voir l’Appel de Paris, « Déclaration historique sur les dangers sanitaires de la pollution chimique », présenté le 7 mai 2004 à l’Unesco et Guérir du cancer ou s’en protéger, Dominique Belpomme, éd. Fayard, 2005, NDLR], pour expliquer que, contrairement à la thèse classique, l’origine des cancers ne relève pas seulement d’une modification des facteurs de risque liés aux modes de vie, au vieillissement, ou bien encore aux progrès médicaux dans le dépistage. C’est l’arbre qui cache la forêt !
Si dans les vingt ans à venir, on prévoit 22 millions de cas de cancers par an, c’est, de façon prédominante, dû à une dégradation de l’environnement. Le tabagisme est certes un facteur de risque, mais les véritables causes sont les substances cancérigènes qui se trouvent dans les goudrons du tabac et les fumées. Notre estimation vient d’ailleurs d’être confirmée dans la revue Nature : 70 à 90 % des cancers seraient liés à l’environnement.
Nous sommes face à une pathologie qui fait intervenir trois types d’agents, physiques, biologiques et chimiques (dont, notamment, les pesticides). Une classification que nous retrouvons pour la plupart des maladies, y compris pour l’Alzheimer qui n’est pas une maladie de la vieillesse, contrairement à ce qu’on dit, mais pour laquelle on retrouve le même modèle que le cancer, avec l’intervention de ces différents agents.
Pourtant, la part de l’environnement reste encore très controversée, y compris pour le cancer…
Le problème, c’est que nous figurons au 14e rang mondial des recherches et que nous sommes pratiquement inexistants au plan international, n’en déplaise à mes collègues cancérologues qui continuent à nier le rôle de la pollution de l’environnement dans la genèse des cancers, et donc, la responsabilité de la société à cet égard ! Nous avons analysé plus de 3 000 articles scientifiques, seuls dix sont français…
Nous sommes confrontés à deux niveaux de retard en France, à commencer par celui du corps médico-scientifique : nos grands responsables institutionnels, notamment à l’INSERM et à l’Institut de veille sanitaire, ne lisent pas les publications internationales et restent donc figés dans l’ancien paradigme. Mais le retard est accentué du fait que nos politiques construisent leurs décisions, et leurs conceptions, sur les avis et préconisations de ces responsables. D’où des mesures de prévention qui se limitent à la lutte contre le tabagisme et l’alcoolisme – certes essentielle –, à celle contre l’obésité par l’exercice physique, et enfin à un meilleur dépistage. De plan cancer en plan cancer, on nous prédit un avenir meilleur, alors que loin de reculer le fléau persiste et même s’accroît. En fait, rien ou presque n’est fait concernant le rôle néfaste des pesticides et perturbateurs endocriniens, de la pollution de l’air par les particules fines émises par le diesel, ou encore de l’effet possiblement cancérigène des champs électromagnétiques.
Pourquoi ?
Les motifs de ce retard, qui ne concerne pas que la France, n’ont rien de scientifique. Reconnaître un lien de cause à effet revient à remettre en question le fonctionnement même de notre société et l’existence d’intérêts financiers ou économiques qui sont contraires à la préservation de la santé et de la morale hippocratique. C’est remettre en question un certain nombre d’activités humaines puisque la pollution est essentiellement liée à des industries polluantes. D’où des lobbies qui freinent encore des quatre fers face aux décisions qu’il faudrait prendre.
Mais la prise de conscience avance. Le Conseil de l’Ordre des médecins, l’Académie des sciences, notamment sous l’action de son secrétaire perpétuel, Jean-François Bach, sont en train de bouger. Convaincre la communauté scientifique est le premier pas indispensable, avant que les politiques ne suivent. Regardez Pasteur ! Il lui a fallu vingt ans pour que sa fameuse théorie des germes (ce sont les microbes qui créent les infections) soit entendue du corps médical et des politiques. Aujourd’hui, nous avons les explications physiopathologiques de ces maladies, grâce essentiellement à la révolution épigénétique, mais n’avons pas vingt ans devant nous.
Qu’est-ce que cette révolution ?
Jusqu’à maintenant, les maladies étaient conçues comme résultant d’anomalies génétiques, l’ADN représentant une sorte de livre de la vie, dans lequel tout est inscrit, y compris les pathologies. Avec l’épigénétique, ainsi définie par le biologiste anglais Conrad Waddington en 1939, on se rend compte que l’expression des gènes, c’est-à-dire la façon dont sont synthétisées les protéines, va être modifiée par des facteurs environnementaux (chimiques, physiques ou microbiens), processus au cours duquel les cellules créent des facteurs inflammatoires. Et c’est une révolution conceptuelle.
Aujourd’hui, les scientifiques ont la quasi-certitude qu’il existe une hérédité sans gènes, c’est-à-dire une hérédité épigénétique : les anomalies d’expression des gènes, induites par des facteurs environnementaux, se transmettent de génération en génération. D’où le concept, notamment, de « pathologies transgénérationnelles », particulièrement bien établi dans le cas des perturbateurs endocriniens et pouvant, pour un certain nombre d’entre eux, se manifester jusqu’à la quatrième génération !
Vous abordez dans votre livre la question de la sensibilité électromagnétique, qui n’est pas officiellement reconnue comme maladie et fait, elle aussi, l’objet de controverses. On a l’impression d’assister à une guerre entre les pro et les anti-ondes…
Le propre de la recherche scientifique est de remettre en question, de douter. Le problème, c’est que la situation actuelle ne permet pas le doute méthodique scientifique. Nous sommes dans un débat polémique, alimenté par des opérateurs qui créent la confusion, pour défendre leurs territoires économiques et financiers, avec l’aide de quelques scientifiques à leur solde. Ce type de débat devrait justement avoir lieu au sein de nos institutions scientifiques ! Mais à l’Académie de médecine, le professeur André Aurengo, qui traite de ces questions, n’a jamais vu un malade de sa vie, alors que j’ai la plus grande série mondiale de sujets électrohypersensibles vus en consultation, plus de 1 500 cas analysés cliniquement avec des tests biologiques…
Au Moyen Age, on isolait les lépreux. Aujourd’hui, on enferme les malades atteints de pathologies émergentes dans une forme de ghetto social sans les reconnaître ni leur porter secours, ce qui est éthiquement contraire au message hippocratique et moralement indigne de nos sociétés !
Et aujourd’hui, le débat sur les champs électromagnétiques ne peut se faire qu’au niveau international, car la France est absente des recherches dans ce domaine, aucune équipe française n’étant aujourd’hui capable d’aligner des données scientifiques publiées. Nous sommes obligés d’aller chercher des chercheurs européens, notamment en Suède, en Autriche ou en Allemagne, ou nord-américains.
Pourtant, aux Etats-Unis, les opérateurs sont également très puissants !
Bien sûr, mais il y a une puissance de la recherche scientifique qui n’existe pas en France, avec des revues internationalement reconnues pour publier les travaux, et des scientifiques plus nombreux. Cela reste un combat à la David contre Goliath, vu l’importance des intérêts économiques en présence. Et il y a bien sûr, le formatage de consommateurs, et des jeunes en particulier, qui utilisent sans régulation les technologies sensibles. Alors il faut le répéter : utiliser un téléphone portable plus de vingt minutes par jour, quand on a moins de 20 ans, c’est un facteur multiplié par cinq d’avoir des tumeurs cérébrales du côté du crâne où l’on utilise son appareil ; c’est aussi le risque de devenir électrosensible.
Y compris en utilisant les oreillettes, comme c’est préconisé ?
Le haut-parleur reste la meilleure solution, car les oreillettes peuvent faire antenne si on laisse le fil pendre devant soi – le fil doit faire corps à corps. Mais ne vous méprenez pas, il ne s’agit pas de supprimer le téléphone portable, ce serait impossible. Il faut des régulations, pour interdire, par exemple, les installations sauvages d’antennes relais, près des écoles primaires ou des hôpitaux. La loi Abeille, relative aux mesures de protection vis-à-vis des champs électro-magnétiques, va dans ce sens là.
Vous préconisez de ne pas vivre dans les grandes métropoles ni en zone industrielle. Mais plus de 30 % de la population mondiale vit dans des grandes agglomérations de plus d’un million d’habitants. On a le sentiment d’être pris au piège…
Tout le problème est bien là. De très nombreuses équipes travaillent sur le lien entre changement de notre environnement et pathologies, dont celle d’Ana Soto et de Carlos Sonnenheim, à Boston, dans le domaine des perturbateurs endocriniens, et celles des épidémiologistes Richard Clapp, aussi à Boston, et Lennart Hardell, en Suède, dans celui des pesticides et des champs électromagnétiques. Mais malgré les cris d’alarme, les politiques tardent à se mettre en place. Regardez les travaux de la biologiste Barbara Demeneix, du Muséum d’histoire naturelle de Paris, sur les liens entre l’augmentation ultrarapide de la fréquence des troubles neurocomportementaux (dont l’autisme, l’hyperactivité, les troubles de l’attention…) et l’exposition à certaines pollutions chimiques diffuses. Et il ne s’agirait que la part émergée de l’érosion des capacités cognitives des nouvelles générations, sous l’effet d’expositions à des métaux lourds, à des substances chimiques de synthèse (Losing our minds. How Environmental Pollution Impairs Human Intelligence and Mental Health, ed.Oxford University Press, la traduction française est à paraître). Ce n’est pas de la littérature grise comme on dit. Pour l’instant, tout le monde s’en fiche mais il y aura un jour une facture à payer.
Alors comment faire ? Il y a d’abord l’attitude individuelle : quand un bateau est en train de couler, il faut essayer de s’en sortir comme on peut, et les enfants d’abord ! Tout un chacun peut changer un certain nombre de comportements, de modes de vie. Dans la mesure du possible, manger bio, veiller à ce que son enfant adolescent ne dorme pas avec son portable sous l’oreiller, ou encore ne jamais utiliser son téléphone portable dans le train ou en voiture car l’intensité du champ électromagnétique est démultipliée…
Mais quid de la politique de santé ?
Le combat continue, pour convaincre le corps médical et scientifique, et les politiques. Nous avons d’autant moins de choix que les données scientifiques sont incontournables. Mais lisez les programmes des candidats pour les futures présidentielles, aucun ne parle de la santé ! La question reste totalement occultée… Et pourtant, c’est bien une politique de prévention environnementale qu’il faut mettre en place
Vous vous définissez comme un médecin écologiste ?
Mon maître demeure Hippocrate, qui fut le premier médecin écologiste, avec son fameux traité Des eaux, des airs et des lieux, qui reconnaît que les maladies dépendent du milieu dans lequel vivent les hommes. La seconde figure que je vénère, c’est Pasteur, qui était chimiste de formation, mais qui a contribué à la médecine plus qu’aucun médecin. Pour lui, à la différence de Claude Bernard que j’admire également, les maladies proviennent du milieu extérieur puisque causées par les agents pathogènes qui s’y trouvent, et dépendent aussi du terrain, c’est-à-dire des capacités de résistance de l’organisme une fois celui-ci contaminé. Bruno Latour a d’ailleurs magnifiquement évoqué l’environnementalisme de Pasteur en s’interrogeant sur le rôle de l’écologie en médecine : « quelle mystérieuse écologie relie le destin des maladies infectieuses à celui des sociétés industrielles et quelle biologie serait assez cultivée pour tirer les lois de cette écologie-là ? » [dans la préface d’un livre de René Dubos, Louis Pasteur, franc-tireur de la science, éd. La Découverte, 1995, NDLR].
Cette écologie ne devrait-elle pas devenir le fondement même de la médecine? J’ai quatre consultations de médecine environnementale par semaine, avec un an de carnets de rendez-vous pleins, des malades qui attendent un examen clinique. Je suis convaincu que cette discipline nouvelle, la médecine environnementale, une médecine prédictive et préventive (à la différence de la médecine contemporaine, qui traite les effets pathologiques, autrement dit quand des lésions cellulaires sont déjà décelables) que je pratique et enseigne, et qui a ses adeptes aux Etats-Unis ou en Allemagne, va s’étendre.