Face à la guerre des terres

La solidarité paysanne et citoyenne

« Des petits paysans qui se font bouffer par les gros, il y en a beaucoup. Dans mon cas, à force d’être intimidée, je ne savais plus si j’étais dans mon droit. Est-ce que je reste sur ma ferme ou est-ce qu’il faut que je m’en aille ? Me sentir soutenue m’a redonné de la force », confie Sorya Sebille, au téléphone. 

Peut-être avez-vous entendu parler de l’histoire de cette jeune éleveuse de moutons à Louargat, dans les Côtes-d’Armor ? Elle a décidé de briser le silence sur la guerre des terres qui se joue dans les campagnes. 

Les faits qui se sont déroulés le 28 septembre marquent un tournant. Ce matin-là, alors que Sorya sort ses brebis, elle voit trois tracteurs entrer sur la parcelle et retourner sa prairie. Ce saccage signe la perte de ses pâtures pour l’automne. Elle dépose plainte auprès de la gendarmerie, mais redoute de nouvelles destructions. Pourtant, Sorya est bien locataire de ces terres agricoles, attenantes à sa bergerie : elle a signé un bail avec les propriétaires en mars 2024 et a payé le fermage. Alors, comment expliquer ce geste ?

« Voir les brebis pâturer ces parcelles fraîchement louées n’a pas plu à un agriculteur concurrent, des intimidations ont commencé », explique Yann Chéritel, du Groupement des agriculteurs biologiques des Côtes-d’Armor, qui a aidé Sorya à médiatiser l’affaire. Une exploitation agricole voisine, qui dispose déjà de 250 hectares, convoite les six hectares que Sorya loue depuis quelques mois.

Intimidations

Une semaine après sa plainte, déposée le 3 octobre, une réunion se tient à la DDTM, la direction départementale des territoires et de la mer, qui accorde les autorisations d’exploiter. L’administration confirme à Sorya qu’elle est bien autorisée à exploiter ces six hectares. Mais attribue aussi, le même jour, 60 hectares « aux agriculteurs qui avaient utilisé des méthodes de cowboy contre la ferme de Sorya, déplore Yann Chéritel. La DDTM avait pourtant la possibilité de punir les agissements de ces agriculteurs en ne leur accordant pas d’autorisations d’exploiter supplémentaires sur d’autres surfaces. Il y a une inaction des services de l’État par rapport à la plainte de Sorya. »

Dans les jours qui suivent cette réunion, Sorya se sent « surveillée ». « Je recevais des SMS sitôt que j’entrais sur mes parcelles m’indiquant que je n’avais pas le droit d’être là, ou que je devais partir », me précise-t-elle. Aussi, des huissiers viennent prendre des photos de ses parcelles à la demande des propriétaires qui ne veulent plus lui louer les terres.

«  À partir du moment où j’ai signé le bail, en mars, les relations se sont tendues avec les agriculteurs concurrents, retrace l’éleveuse. Ils ont déjà 250 hectares, mais ils veulent agrandir pour installer leur fils et ils sont allés voir ceux qui me louent les terres. Moi, je suis installée sur une petite ferme de 20 hectares avec ma mère. Je me disais que ça allait se calmer… »

 Derrière ces intimidations se cache une course à l’agrandissement qui joue un rôle dans la disparition des petites exploitations. Les données nationales en attestent : 200 fermes disparaissent en France chaque semaine, mais la taille moyenne des exploitations agricoles ne cesse d’augmenter – 69 hectares en 2020 contre 55 hectares en 2010. Une petite partie d’entre elles – 5 % des exploitations qui disposent de plus de 210 hectares – exploitent un quart de la surface agricole utile nationale.

Installer plutôt qu’agrandir

Il existe bien une instance collective en France en charge de l’attribution du foncier, les Safer. Ces sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural ont pour mission de réguler les ventes de biens agricoles. Dans de trop nombreux cas, elles accordent encore la priorité à l’agrandissement. 

C’est ce qu’il vient de se passer dans le Maine-et-Loire où quatre jeunes candidataient à la reprise d’une ferme de 168 hectares.

Leur projet était bien rodé, mêlant élevage, fabrication de pain et maraîchage en vente directe. Sur le plan financier, les quatre porteurs de projet avaient réussi à convaincre le Crédit Agricole de les suivre, après avoir collecté 685 000 euros auprès de 270 citoyens et citoyennes ayant pris des parts dans leur société civile immobilière agricole et citoyenne.

Face à ces quatre jeunes, c’est finalement un groupement d’agriculteurs voisins qui a remporté le vote de la Safer pour se répartir 139 hectares. Les 29 hectares restants sont réservés à d’hypothétiques installations. Un choix qui peut sembler ahurissant dans un département qui perd chaque année 550 fermes pour seulement 250 installations. Des centaines de personnes se sont réunies à Angers le 30 novembre pour contester cette décision.

Arrivé au château d’Angers, le cortège a déployé une banderole : « Que tombent les seigneurs FNSEA-Safer, pas de paysan·ne·s sans terres ! » Pour la Confédération paysanne, comprendre la décision de la Safer des Pays de la Loire suppose de se plonger dans la composition de son conseil d’administration : la moitié des sièges (12 sur 24) sont en lien avec le syndicat agricole majoritaire, la FNSEA.

Les jeunes porteurs de projet du Maine-et-Loire ont fait appel à la commissaire du gouvernement à la Draaf (direction régionale du ministère de l’Agriculture), qui dispose d’un droit de veto sur tout ce que décide la Safer. Cette dernière avait déjà demandé en octobre à ce qu’il y ait un nouveau vote pour l’attribution des terrains, ce qui avait suscité un peu d’espoir.

Élections dans les chambres d’agriculture 

À 250 kilomètres de là, Sorya peut elle aussi compter sur la solidarité. Des adhérents et adhérentes de la Confédération paysanne des Côtes-d’Armor et du groupement d’agriculture biologique (Gab22) sont venus ressemer ses parcelles le 26 novembre. Aux côtés de Sorya, une conférence de presse a été organisée pour alerter sur ces menaces et intimidations au quotidien.

Une manière de montrer à toutes celles et ceux qui subissent ces pressions qu’il est possible de réagir et que l’entraide existe aussi dans le milieu agricole. Cette manifestation de soutien a redonné de l’énergie à Sorya. « Beaucoup sont outrés de ce qu’il m’arrive, dit-elle. J’ai reçu beaucoup de témoignages concernant des histoires sordides sur l’accès au foncier. J’ai aussi vu qu’on peut être paysan et partager les terres. »

Depuis la tenue de cette manifestation, Sorya n’a pas reçu de nouvelles menaces. Elle n’a pas non plus eu de nouvelles de la gendarmerie concernant les suites de sa plainte. Mais elle est contrainte dans l’immédiat de prendre un avocat pour faire valoir ses droits auprès du tribunal paritaire des baux ruraux, une instance qui règle les litiges entre propriétaires et fermiers.

« Il faut s’accrocher, accepter que c’est un combat, témoigne-t-elle. Il y a aussi des gens syndiqués à la Fédé [FNSEA, ndlr] qui peuvent être touchés. Beaucoup de failles existent dans la loi sur le foncier. Il faut que les choses bougent au niveau politique et administratif. »

Alors que les élections professionnelles des chambres d’agriculture se tiennent en janvier, les histoires de Sorya et des quatre jeunes du Maine-et-Loire posent la question de l’avenir agricole. Actuellement, 97 chambres d’agriculture sur 102 sont tenues par un seul et même syndicat, la FNSEA. Celui-ci assure la cogestion des politiques publiques d’agriculture depuis des décennies. Des politiques qui n’ont cessé de pousser vers la sortie les petites et moyennes. Exploitations

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