Mayotte dévastée par Chido

et le système capitalocène et colonial

Mayotte a vécu le pire cyclone de son histoire. Cependant, l’intensité des dégâts observés repose sur deux autres facteurs : le système capitalocène qui détruit la planète et le capitalisme colonial qui organise un traitement racial des territoires d’outre-mer. Aujourd’hui, on ne peut penser les catastrophes naturelles sans prendre en compte les rapports de domination.

Le 14 décembre 2024, Mayotte a connu le pire cyclone de son histoire. Les dernières informations fixent le nombre de décès à 14 et plus de 250 blessés. Ces chiffres sont un minimum et risquent certainement d’augmenter jour après jour. Les mahorais et comoriens vivent désormais sans électricité, sans eau, nombreux et nombreuses sans toit. Les premières images qui nous viennent de Mayotte sont impressionnantes. Le bâti insalubre qui compose entre un tiers et 50 % des bâtiments est totalement rasé, et la peur de retrouver des milliers de corps en dessous fait froid dans le dos. L’unique hôpital de Mayotte est dans un mauvais état, ce qui risque de mettre en péril la continuité de ce service public pour soigner les blessés, d’autant plus que l’hôpital vit dans une pénurie de soignants depuis de nombreuses années. Comment Mayotte va pouvoir héberger les milliers de personnes qui ont tout perdu ? Le risque n’est-il pas que Mayotte devienne une seconde Haïti ? Le département le plus pauvre de France est devenu un département fantôme. Évidemment, le cyclone Chido est responsable de cette situation, mais nous pouvons aussi désigner d’autres causes. Non, je ne reprendrai pas l’argumentaire de BFMTV et de CNEWS qui ne traitent que cette situation dramatique qu’à travers une critique de l’immigration de masse des comoriens. En écoutant les éditorialistes de ces chaînes d’information en continu, on a presque l’impression que ce sont Les Comores qui sont responsables du cyclone. Non, nous devons penser les catastrophes naturelles en prenant en compte les rapports sociaux de domination. Ainsi, au-delà de Chido, nous pouvons citer le mode de production capitaliste et le traitement colonial des outre-mer.

Notre monde n’est pas anthropocène il est capitalocène. Autrement dit, c’est un mode de production spécifique, ici le capitalisme, qui engendre un dérèglement climatique sans précédent. Ce n’est pas sans raison si l’année 2024 est la plus chaude jamais enregistrée, dépassant le seuil de l’année 2023 ; si les inondations augmentent en fréquence et en intensité, idem pour les cyclones, les pénuries d’eau et les maladies infectieuses. C’est bien un mode de production spécifique qui engendre ces perturbations et qui met en danger les conditions d’habitabilité de la planète. La régularité toujours plus grande des catastrophes naturelles et l’augmentation de leur intensité est donc un fait social, si ce n’est le fait social majeur de notre époque dont les territoires du Sud sont les premières victimes. 

Mayotte est aussi victime d’un traitement colonial, celui-ci s’inscrivant dans une gestion raciale globale des outre-mer. Mayotte, département le plus pauvre de France, vit dans des conditions d’habitabilité qui n’ont rien à voir avec celles de la métropole. La réalité est la suivante : si Mayotte serait un département métropolitain, ses caractéristiques sociales ne seraient pas aussi précaires. Autrement dit, jamais l’Etat français ne laisserait un département métropolitain vivre avec un taux de pauvreté aussi grand (77 % de la population) et vivant dans un bâti insalubre pour la moitié d’entre eux, et indécent pour l’écrasante majorité de la population. Les mahorais et les mahoraises vivent cette inégalité suprême d’être des citoyens et citoyennes de seconde zone, dont leur seul intérêt pour l’Etat bourgeois étant de faire partie d’une île de l’Océan Indien, c’est-à-dire de constituer une zone géostratégique importante. Jamais l’Etat bourgeois et son racisme d’Etat ne laisserait des blancs vivre dans de telles conditions. Les seuls moments politiques où Mayotte est sur le devant de la scène, ce n’est pas pour lutter contre la pauvreté, pour sécuriser les bâtiments, pour répondre à l’enjeu de l’enfance qui compose 50 % de la population, mais pour stigmatiser l’immigration irrégulière. On voit bien ici les préoccupations principales de la classe politique bourgeoise. La réalité est que le déni du social à Mayotte est un déni organisé et conscient car rendre Mayotte plus vivable, c’est prendre le risque de créer un appel d’air sur l’immigration clandestine et de favoriser la venue de Comoriens sur le territoire. Ainsi, le sacrifice de Mayotte résulte d’un choix politique.

La combinaison de ces deux faits sociaux, le système capitalocène et le capitalisme colonial, engendre des effets carabinés lorsque se déploient des catastrophes naturelles comme ce cyclone Chido. La question principale aujourd’hui est la suivante : la classe politique bourgeoise relèvera-t-elle le défi humanitaire et social qui s’oblige à elle en prenant en compte la diversité des facteurs citée dans cet article ? Rien n’est moins sûr.

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