Comment combattre le RN ?
Le vote pour le Rassemblement national gagne du terrain – allant jusqu’à représenter 40 % des inscrits aux européennes de 2024 – beaucoup réfléchissent aux moyens de combattre les idées d’extrême droite. Comment recréer du lien, comment se parler, avec quels outils lutter ? Socialter s’est penché sur les initiatives locales qui essaiment un peu partout en France.
Raviver la mémoire de la Résistance
Loire-Atlantique (Pays de la Loire)
En Loire-Atlantique, la terre est marquée par l’agro-industrie. Mais celle où habite Juliette Rousseau, militante, éditrice et autrice de Péquenaude (Cambourakis, 2024), n’est pas seulement « un endroit saturé par le son des moteurs », elle est aussi « têtue ». Comme ce petit groupe d’habitants non encartés d’un village près de Châteaubriant avec lequel elle s’est réunie pendant les élections législatives de 2022 pour contrer le vote en faveur du Rassemblement national. Remobilisés après la dissolution de juin 2024, ils font à nouveau campagne pour le candidat sortant, l’écologiste Jean-Claude Raux (NFP), réélu. « On a vraiment vu les effets de cette mobilisation », s’enthousiasme-t-elle. Avec plusieurs habitants, elle crée le collectif Réveillons la Résistance.
Le but : puiser dans l’histoire locale de la Résistance durant la Seconde Guerre mondiale, mobiliser « des acteurs locaux qui ont contribué à l’entretenir » et ainsi faire le pont avec le présent. Le 3 juillet 2024, Réveillons la Résistance a par exemple organisé une manifestation entre les deux tours des législatives anticipées pour honorer la mémoire des 27 prisonniers fusillés par les nazis le 22 octobre 1941 à Châteaubriant et rappeler que l’extrême droite a déjà gouverné. « La mémoire est une responsabilité, elle est vivante au sens où elle éclaire le présent, écrit le collectif dans une tribune publiée dans le journal L’Humanité le 21 juin 2024. À ce titre, elle nous oblige. »
Taper le carton contre l’extrême droite
Pas-de-Calais (Hauts-de-France)
Isbergues est une petite ville d’environ 9 000 habitants, à mi-chemin entre Saint-Omer et Arras, dans l’ancienne région administrative du Nord-Pas-de-Calais. « Sur les douze circonscriptions, dix sont désormais sous la houlette du RN », explique Stéphanie* qui vit ici depuis 17 ans. S’il existe dans cet ancien bassin minier une association pour venir en aide aux personnes exilées, « on s’est rendu compte que l’antifascisme était inexistant », souligne-t-elle. Le Collectif antifasciste du bassin minier est né en 2023 de ce constat, en opposition à l’extrême droite. Toutefois, « rendre visible cette opposition sur Internet et dans l’espace public quand on est minoritaire n’est pas évident, ni revendiquer le mot “antifascisme” qui n’est pas toujours compris ».
Pour bien saisir ce qu’est le fascisme, la différence entre la droite et l’extrême droite et même l’antifascisme, des habitants répartis dans les villes et villages alentours ont décidé de « se munir » en organisant des rencontres avec des sociologues spécialistes de l’extrême droite comme Ugo Palheta ou Félicien Faury. Au-delà d’apports théoriques, Stéphanie a suivi une formation sur la création de jeux pédagogiques avec CCFD-Terre solidaire. Parmi les plus populaires : « Ça se dégrade », inspiré des règles du jeu Top Ten, ou encore « Tac au faf », un jeu de mise en scène pour aiguiser sa répartie face aux propos discriminatoires. Ces événements qui mêlent théorie et pratique ont lieu au LAG, un lieu autogéré situé à Liévin, loué par des habitants du quartier depuis une quinzaine d’années.
Faire vivre une mairie en démocratie directe
Deux-Sèvres (Nouvelle-Aquitaine)
Laetitia Hamot habite à La Crèche, une commune d’environ 6 000 habitants, située près de Niort, dans les Deux-Sèvres. Elle fait aussi partie du réseau Actions communes, composé de citoyens qui souhaitent mettre en œuvre une démocratie participative dans leur ville. Inspirée par la Petite République de Saillans(1), et par les théories de la démocratie directe communaliste, Laetitia a remporté les dernières municipales de La Crèche sur ce pari. « Nous fonctionnons en gouvernance partagée. Je ne suis pas seule à décider, d’ailleurs je ne détiens pas de pouvoir de décision, hors situation d’urgence. »
À La Crèche, chaque processus décisionnel a sa particularité. Des groupes composés d’habitants et d’agents municipaux se forment au gré des besoins et des demandes des habitants. « Nous avons un comité sur les cimetières très actif, mais aussi des comités locaux sur la gestion du budget municipal ou encore sur la végétalisation de la commune. » Pour cette équipe municipale, créer ces espaces démocratiques est essentiel. Grâce à ces comités, « des personnes de sensibilités et d’âges différents débattent et apprennent à se sentir légitimes ». Dans sa commune plutôt épargnée par le vote d’extrême droite, malgré une hausse notable, « la démocratie a ce potentiel de renforcer la lutte contre l’autoritarisme et les préjugés qui peuvent être le moteur de l’extrême droite ». Car c’est au niveau local que « plein d’actions discrètes peuvent se mettre en place » comme ces formations à la lutte contre les discriminations dont bénéficient les agents municipaux.
1. La Petite République de Saillans est une expérience de démocratie participative qui a débuté en 2014 dans le village de Saillans (Drôme).