La mairie RN reprend en main le théâtre de L’Escapade
Steeve Briois n’a pas renouvelé la convention de mise à disposition de l’immeuble abritant l’association qui, depuis soixante ans, gère ce lieu culturel incontournable de la région. Elle sera expulsée vendredi. La mairie a également déposé la marque « Théâtre de l’Escapade » à l’Inpi.
Le maire Rassemblement national (RN) de Hénin-Beaumont, Steeve Briois, a signé la disparition, sous sa forme actuelle, du théâtre de L’Escapade, un des lieux culturels historiques de la région, dont il a ordonné l’expulsion de l’association gérant le lieu le vendredi 24 janvier à 8 h 30, ouvrant ainsi la voie à sa reprise en main par la municipalité.
La veille, à minuit, la convention en vertu de laquelle la municipalité lui mettait à disposition l’immeuble accueillant les spectacles arrive en effet à terme. Or, le 22 octobre 2024, Steeve Briois avait déjà notifié au président de l’époque, Jean-Luc Dubroecq, sa décision de ne pas la renouveler, mettant ainsi fin à une collaboration commencée en 1969 entre la mairie et l’association de L’Escapade.
Une information que Jean-Luc Dubroecq n’a transmise qu’au mois de novembre au conseil d’administration. Et celui-ci n’a introduit qu’un recours gracieux contre cette décision devant le maire, sans saisir la justice administrative. Cette inaction semble avoir également scellé le sort de Jean-Luc Dubroecq, président contesté mais jusqu’à présent indéboulonnable.
Lundi 13 janvier, un nouveau conseil d’administration, avec un nouveau président, a en effet été élu en héritant d’une situation qui semble sans issue. Vendredi 17 janvier, L’Escapade a reçu un courrier recommandé convoquant ses membres vendredi 24 janvier à 8 h 30 pour procéder à l’état des lieux en présence d’un commissaire de justice. La « décision municipale n’a pas été contestée dans les deux mois de délai de recours devant le tribunal administratif de Lille, elle est donc devenue définitive », y écrit Steeve Briois.
Craignant peut-être une nouvelle mobilisation en faveur de ce lieu ayant souvent été un symbole de résistance à l’extrême droite, le maire de Hénin-Beaumont termine son courrier par une menace : « Je vous précise qu’outre l’expulsion des occupants sans droit ni titre, en cas d’occupation sans titre et de maintien dans les lieux, la commune sera fondée à réclamer une indemnité correspondant à période d’occupation et compensant les revenus qu’elle aurait pu percevoir ou les dépenses qu’elle aurait dû exposer. »
Cette issue n’est pas une surprise mais le fruit de nombreux mois de délitement de la situation de l’association minée par des attaques de la mairie, mais également par des divisions et des tensions internes. Car L’Escapade n’est pas une association uniforme. Il y a d’un côté le centre culturel, réputé dans la région pour une programmation de qualité et exigeante, des équipes techniques compétentes et offrant également des résidences à certaines compagnies. De l’autre, le lieu abrite également, la journée, de multiples clubs et cours de cuisine, de langues, danses, instruments de musique…
Alors qu’il était dans l’opposition, Steeve Briois n’avait jamais caché son mépris pour la programmation qu’il qualifiait de « daube gauchiste » et L’Escapade de « haut lieu de l’inculture et de la propagande antiraciste ». À son arrivée à la mairie, en 2014, l’édile d’extrême droite avait pourtant mis de côté son inimitié. Ce n’est qu’à partir de son second mandat que les relations se sont tendues pour devenir un conflit à plusieurs fronts entre la mairie, le conseil d’administration – lui-même divisé entre son président et le directeur de L’Escapade, chargé notamment de la programmation, Jean-Yves Coffre.
Les modifications de la convention de mise à disposition
Les premiers conflits sont apparus dès le mois de janvier 2021, lorsque Jean-Luc Dubroecq a accepté une nouvelle convention de mise à disposition avec la mairie autorisant celle-ci à réquisitionner le lieu pour y organiser un événement avec un préavis de quinze jours. Jean-Yves Coffre et plusieurs membres du conseil d’administration avaient alors reproché au président d’avoir ouvert la voie à la re-municipalisation du lieu.
La situation n’avait ensuite cessé de se dégrader. Jusqu’à la signature, en janvier 2024, d’une nouvelle convention par Jean-Luc Dubroecq qui autorisait cette fois la mairie à « mettre fin à l’occupation du théâtre par l’association à l’expiration d’un préavis de soixante jours […] dans le cas où elle décide[rait] de réaffecter le lieu à un usage culturel sous gestion municipale ». En clair, le président permettait à la mairie de décider unilatéralement de reprendre en main l’immeuble et d’en expulser l’association.
C’est donc dans une ambiance explosive, et en l’absence de son directeur en arrêt maladie après avoir été accusé de harcèlement moral, que s’était tenue, le 25 septembre, la soirée de présentation de la programmation de L’Escapade pour la saison 2024-2025. Un événement auquel Mediapart avait assisté.
À peine Jean-Luc Dubroecq avait-il terminé son discours introductif que la cérémonie avait été interrompue par une action des compagnies de théâtre se produisant à L’Escapade. « Si nous prenons la parole ce soir, c’est pour vous alerter quant au bon déroulement de la saison 2024-2025 de L’Escapade et aussi de toutes celles à venir, avait notamment affirmé Anne Conti, actrice et metteuse en scène, fondatrice de la compagnie In Extremis. Aujourd’hui, ce lieu n’a plus de direction artistique, ni de personnel technique qualifié, ni de chargé des relations avec le public. »
Les compagnies avaient par la suite observé une grève interrompue uniquement au mois de décembre. Pour certains, ce coup d’éclat lors de la soirée de présentation de la programmation a été vécu comme une humiliation par la mairie et serait pour beaucoup dans sa décision, un mois plus tard, de mettre un terme à la convention. Pour d’autres, c’est la mairie qui a volontairement laissé pourrir une situation afin de justifier une reprise en main écrite dès le début, comme en témoignent les différentes modifications de la convention de mise à disposition.
Le nouveau conseil d’administration élu lors d’une assemblée générale extraordinaire le 13 janvier se retrouve confronté à une situation d’urgence absolue qui laisse peu d’espoir. « Nous sommes un groupe d’amoureux de L’Escapade qui essaye de sauver en urgence ce qui peut l’être. Mais c’est très compliqué. Il faut se rendre compte de la violence de la chose », explique à Mediapart le nouveau président de l’association, Jérôme Puchalski.
La nouvelle équipe ne voit pas pour l’instant comment s’opposer à son expropriation de ses locaux. « Nous ferons tout pour que l’activité perdure, poursuit Jérôme Puchalski. Mais dans l’immeuble, ça me semble compliqué. Le but est de poursuivre hors les murs », c’est-à-dire dans d’autres lieux en attendant de trouver une nouvelle résidence.
Mais pour cela, encore faut-il trouver des financements. Or, en perdant son immeuble, l’association perd également sa subvention de 300 000 euros que la mairie lui versait pour administrer celui-ci. « Nous allons avoir des frais, s’alarme le président. Il y a notamment des CDD qui arrivent à échéance et qu’il faudrait renouveler. Il y a également des compagnies avec qui nous avons passé des contrats et qui ne pourront pas jouer. Une d’elles devait se produire le 23 janvier et nous sommes en train de chercher un lieu de remplacement. »
Pour faire le point sur la situation et les conditions de survie de L’Escapade, l’association organise une réunion publique mercredi 22 janvier à 19 heures. Camille Candelier du Collectif l’Intruse, qui avait participé à l’action du mois de septembre, sera présente, non sans amertume. « Leur objectif est de préserver l’association plutôt que le lieu, explique-t-elle. Ce n’est pas une surprise et je comprends. C’est compliqué de lutter quand il y a des divisions et que certains baissent les bras. »
Anne Conti, elle, a joué le 16 janvier dans le théâtre un spectacle écrit par Virginie Despentes, Rien n’a jamais empêché l’histoire de bifurquer, qui sera donc peut-être le dernier spectacle de L’Escapade sous sa forme actuelle. Elle a terminé celui-ci par une prise de parole en soutien à l’association et à l’équipe qui tente de sauver ce qui peut l’être.
« Je voulais marquer notre soutien pour ce lieu que l’on dépossède de son professionnalisme alors qu’il a été pendant des années un soutien pour les compagnies de la région avec une vraie qualité de programmation des différents directeurs, de l’accueil et des équipes techniques », explique Anne Conti à Mediapart. La metteuse en scène a même encore du mal à réaliser ce qui arrive : « C’est tellement énorme. Il y a comme un effet de sidération. On a du mal à y croire vraiment. »
Pour elle, L’Escapade est indissociable de ses locaux historiques, mais elle ne veut pas baisser les bras. « Il faut essayer de trouver des lieux décentralisés dans l’urgence pour déjà honorer les contrats en cours, affirme-t-elle. Pour la suite, on verra. Il faut se battre. Parfois, des choses fabuleuses naissent de la contrainte. »
La mairie, elle, va pouvoir reprendre possession de l’immeuble et confier à ses employé·es la gestion de la programmation, comme elle le souhaitait depuis longtemps. Steeve Briois semble même vouloir se prévaloir de la réputation de l’équipe qu’il s’apprête à expulser. Comme l’indique le site de l’Institut national de la propriété industrielle (Inpi), la mairie de Hénin-Beaumont a en effet déposé, au mois de novembre 2024, la marque « Théâtre de l’Escapade ».
Contacté par Mediapart lundi 20 janvier dans l’après-midi, Jean-Luc Dubroecq n’a pas donné suite à nos questions. Steeve Briois, lui, nous a fait savoir que la municipalité communiquera « en fin de semaine ».
Jérôme Hourdeaux ; mediapart