Dans les coulisses de l’hypercroissance
Nicolas Caruso, Martin Lauquin et Nicolas Minvielle
Autrement dit, comment rentrer dans le monde tellement attrayant des start-ups !
Pour une start-up, l’accélération se fait par étapes : l’entreprise innovante passe du statut de famille à tribu, puis de village à ville, avant de devenir une nation. Chacune de ces étapes présente ses propres défis et exige une capacité d’adaptation exceptionnelle. Pourtant, les start-up en phase d’hypercroissance partagent cinq composantes fondamentales : une vision disruptive, des RH intraitables, une culture forte, une obsession de la mesure et un financement solide. Nicolas Minvielle, docteur en économie, Martin Lauguin, serial entrepreneur, et Nicolas Caruso, graphiste, expliquent à travers les témoignages de fondateurs, dirigeants et business angels, en quoi consiste le modèle d’hypercroissance des start-up et comment le piloter. On apprendra dans cet ouvrage, qui accorde une large place à la facilitation visuelle, qu’une start-up devient une scale-up lorsqu’elle monte en puissance, qu’elle a prouvé la solidité de son business model et qu’elle projette de se déployer à l’international. Une analyse indispensable qui fournit des pistes pour mieux comprendre l’hypercroissance, avec en prime une immersion totale dans la novlangue des start-up. getAbstract recommande ce manuel pertinent, abondamment illustré et riche en exemples à tous les entrepreneurs novices ou confirmés qui ambitionnent, pourquoi pas, de faire de leur start-up la prochaine licorne des nouvelles technologies.
Points à retenir
- L’accélération vécue par les start-up est liée à trois notions incontournables : l’effet de réseau, la scalabilité et le blitzscaling.
- L’effet de réseau désigne la multiplication rapide du nombre d’utilisateurs des services ou des produits d’une start-up.
- La scalabilité est la faculté de s’adapter à une montée en puissance et à maintenir sa capacité d’exécution dans le cas d’une forte croissance.
- Le blitzscaling consiste à croître de manière exponentielle en cherchant à ‘accaparer un espace maximal’ dans le but d’occuper ‘une position hégémonique future’.
- Les acteurs de l’accélération cultivent les cinq principes fondamentaux suivants :
- Premièrement, ils formulent une vision disruptive et ambitionnent de résoudre les ‘grands problèmes de l’humanité’.
- Deuxièmement, ils mettent l’accent sur le recrutement des meilleurs talents et appréhendent le capital humain avec une extrême rigueur.
- Troisièmement, ils adoptent une culture forte et érigent celle-ci au rang de valeur fondamentale.
- Quatrièmement, ils donnent la priorité aux KPI (indicateurs clé de performance) et sont des ‘obsédés du pilotage’.
- Cinquièmement, ils recherchent les financements nécessaires pour soutenir la croissance future et ‘passer les caps’ de la démarche d’accélération.
Résumé
Effet de réseau, scalabilité et blitzscaling
L’environnement numérique actuel permet aux start-up d’atteindre des taux de croissance jusque-là inégalés. Mais cette accélération peut revêtir de multiples formes. La première est ‘l’effet de réseau’, soit la multiplication rapide du nombre d’utilisateurs des services ou des produits d’une start-up. La vitesse est essentielle : plus la base d’utilisateurs d’une start-up augmente rapidement, plus elle pourra la monétiser facilement et obtenir un avantage concurrentiel décisif. La deuxième forme d’accélération est la scalabilité, ou la faculté de s’adapter à une montée en puissance et de maintenir sa capacité d’exécution en cas de forte croissance. ‘Scaler c’est dupliquer à grande échelle son modèle pour que les revenus augmentent de manière massive, mais pas les coûts.’ Enfin, la troisième approche est le blitzscaling, une croissance exponentielle qui vise à ‘accaparer un espace maximal’ le plus rapidement possible et à s’imposer par le volume. Dans cette stratégie, la rentabilité actuelle n’est pas la priorité absolue. La start-up privilégie plutôt l’effet de traction et la probabilité d’occuper la position de leader sur son marché en vue d’une rentabilité ultérieure. C’est le cas de Facebook, par exemple, qui plutôt que de se soucier de sa profitabilité, a préféré d’abord miser sur l’occupation stratégique d’un vaste marché mondial, avec pour objectif d’occuper ‘une position hégémonique future’.
Les cinq dimensions de l’accélération
Les acteurs de l’accélération cultivent les cinq principes suivants :
1. Formuler une vision disruptive
Les fondateurs de start-up performantes ont en commun un noble souhait : ils ambitionnent toujours de ‘s’attaquer aux grands problèmes de l’humanité’. Qu’il s’agisse d’Elon Musk ou de Richard Branson, ‘les prophètes de l’accélération’ veulent changer le monde et c’est cette vision forte (que d’aucuns considèrent comme de l’arrogance) qui leur permettra de lancer, stimuler et pérenniser leur entreprise. Airbnb veut que l’on se sente ‘partout chez soi’, Google aspire à ‘organiser toutes les informations du monde’ et Lyft vous propose des solutions de transport quand vous le souhaitez. C’est là tout l’enjeu du MTP (Massive Transformation Purpose). Le projet dépasse la simple mission d’entreprise pour atteindre une ‘dimension transformationnelle’ résolument disruptive. Comme ce modèle repose avant tout sur des convictions, les start-up performantes privilégient les profils ‘missionnaires’ aux profils ‘mercenaires’. De fait, si les derniers s’intéressent davantage à la situation financière de l’entreprise, les premiers en revanche sont motivés par les valeurs qu’ils défendent et cherchent à donner un sens à leur travail. Les missionnaires ont la capacité d’anticiper les crises et d’y réagir de manière adaptée, alors que les mercenaires n’ont qu’une idée en tête : devenir riche très rapidement. Pour les investisseurs, ‘le missionnaire construit un produit car il aime son client, et son produit’.
« Accélérer, c’est faire preuve d’ingéniosité pour être plus à même de saisir les nouvelles opportunités, de prendre les virages au bon moment et in fine de gagner l’avantage. »
La vision radicale que défendent les entrepreneurs leur permet également de dépasser les réalités et les difficultés quotidiennes auxquelles est confrontée leur start-up. Elle les aide à faire preuve d’obstination, de ‘pugnacité’ et de patience pour atteindre ‘la 19e porte’… celle qui s’ouvre finalement après que les 18 portes précédentes sont restées closes. La vision radicale aide en outre l’entrepreneur à asseoir son influence lors de deux étapes critiques du développement de sa start-up. La première est l’étape du lancement, durant laquelle l’entrepreneur doit ‘pitcher’ pour inciter ses partenaires potentiels à adhérer à son projet. La deuxième est l’étape de pérennisation de la start-up, au cours de laquelle ‘l’influence’ qu’a acquise la start-up permet de garantir la continuité de la croissance. Enfin, la vision radicale permet aux entrepreneurs et aux start-up de développer leur agilité, pour adapter leurs équipes à l’accélération et constamment réviser leur vision pour survivre dans un environnement mouvant. Opérer ces ‘ajustements rapides’ n’implique toutefois pas que la start-up doive changer de modèle économique ou d’offre de produit ou service.
2. Recruter les meilleurs talents
Les talents sont un autre des éléments de l’hyper-croissance, car ils constituent ‘le carburant qui doit continuellement venir nourrir le moteur’. Loin de l’image d’ambiance décontractée que la start-up aime à véhiculer, au point que certains corrèlent le nombre de tables de ping-pong à la performance de la jeune pousse, le capital humain y est appréhendé avec une rigueur extrême. L’étape de recrutement, par exemple, ressemble à un véritable ‘concours de talents’ dans lequel le candidat est soumis à un processus de sélection exigeant et complexe. Les fondateurs d’Airbnb n’ont-ils pas pris six mois pour recruter leur premier salarié ? Conscients qu’une seule erreur de casting est susceptible de mettre en péril le développement de l’entreprise, les équipes de recrutement (équipes talent acquisition) s’efforcent non pas d’embaucher les meilleurs éléments, mais plutôt les meilleurs ‘talents’. Un des critères pour distinguer le candidat idéal est notamment l’aspect culture-fit, une disposition que doivent afficher les postulants démontrant un intérêt profond pour les valeurs de l’entreprise et une passion pour son métier.
« Être scalable, c’est être capable de dupliquer ou de multiplier un processus avec vélocité lorsque le volume augmente. »
Pourtant, comme n’importe quelle autre entreprise, les start-up (hormis les plus célèbres) doivent travailler leur ‘marque employeur’ pour attirer les meilleures recrues. Proposer des stock-options fait partie des stratégies communément adoptées pour améliorer l’attractivité d’une start-up. Un avantage de ce type permet d’augmenter de manière considérable le niveau d’engagement des salariés tout en les fidélisant. À mesure qu’augmente le personnel, les équipes de recrutement doivent en outre gérer le passage ‘de la tribu à la cité’, une étape incontournable de l’accélération. La start-up subit un ‘effet de seuil’ lorsqu’elle passe d’une équipe de quelques personnes entretenant des liens très forts à plusieurs centaines de collaborateurs, une configuration qui peut entraîner une forte dilution des valeurs. Cette croissance entraîne nécessairement la mise en place de règles de management traditionnelles, le déploiement de processus délimitant clairement les rôles de chacun et la création de strates intermédiaires de management. Force est de constater que l’accélération s’accompagne donc inéluctablement du passage d’un management horizontal à une structure organisationnelle plus verticale. Le rôle du fondateur n’échappe pas non plus à la mutation que connaît la start-up. Une fois atteinte l’étape de product/market fit, soit le moment où la start-up et son produit se sont positionnés sur le marché, l’entrepreneur doit recruter des spécialistes et accepter de leur confier la gestion de son entreprise et ce, pour assurer son développement.
3. Adopter une culture forte
Au sein des start-up, la culture est omniprésente et érigée au rang de valeur fondamentale. Chez Airbnb, par exemple, lorsqu’un employé badge pour entrer dans les locaux de l’entreprise, le message suivant s’affiche et sonne comme un rappel : ‘Champion the mission’. Paradoxalement, une culture forte peut à l’inverse devenir trop figée et exclusive, au point de pousser certains collaborateurs à quitter l’entreprise. Il est dès lors important d’accepter que la culture évolue pour lui permettre de se développer parallèlement à l’évolution de la start-up. Cette dernière est en effet susceptible de traverser deux étapes distinctes. Dans la première, elle est une entreprise de type ‘vendangeur’ : elle capte ‘une grappe de valeurs’, débute sur une activité, puis connaît de nombreux pivots. Dans la deuxième étape, elle devient une entreprise de type ‘vigneron’ : elle bâtit et améliore des actifs, et se structure autour d’un cœur de métier. Passer de l’une à l’autre étape implique un changement de culture, sans toutefois remettre en cause les principes essentiels et originaux de la culture d’entreprise.
« Stabiliser son modèle économique plutôt que croître à n’importe quel prix : certaines start-up prennent le parti de financer leur croissance sans recourir à de nouvelles injections de cash. »
L’environnement culturel dans lequel interagit une start-up joue un rôle primordial pour son accélération. En effet, l’accélération est vécue différemment selon que l’on est implanté en France, aux États-Unis, en Israël ou en Chine. Tenez compte des éléments suivants :
- La relation au temps et au travail : contrairement aux Occidentaux, les Israéliens planifient leurs meetings quelques heures et non plusieurs semaines à l’avance.
- La typologie des métiers : aux États-Unis, la fonction vente est considérée comme extrêmement gratifiante alors qu’en Europe, elle est peu valorisée. Pour les Américains, gérer la relation avec le client est un privilège, ce qui contraste avec la culture d’entreprise française.
- La communication et la créativité : on encourage dès leur plus jeune âge les Américains à avoir confiance en eux, à communiquer et à se vendre. Cette différence importante fait que ‘les Américains moyens pensent qu’ils sont géniaux quand les Français géniaux pensent qu’ils sont moyens’.
- L’écosystème de l’innovation : la compétition féroce en Chine crée de ‘l’innovation radicale’ car tout va très vite. Les relations entre clients et fournisseurs y sont également différentes, ces derniers étant disponibles de manière quasi permanente. Cette disponibilité génère de l’accélération, et le développement y est cinq fois plus rapide qu’en Europe.
4. Donner la priorité aux indicateurs clés de performance ou KPI
Dans les start-up, les indicateurs sont ‘analysés de manière obsessionnelle et presque en direct’. Les entrepreneurs sont des ‘obsédés du pilotage’, et nombreux sont ceux pour qui le premier geste au réveil consiste à vérifier les indicateurs relatifs à la croissance, à la trésorerie ou au nombre de clients. Une fois l’entreprise lancée, l’entrepreneur ne peut plus se permettre de naviguer ‘à l’intuition’ (le gut feeling), il doit tout analyser par le biais de données ou de recherches qualitatives afin de ne pas gaspiller des ressources dans des développements inutiles. Deezer, par exemple, a créé des ‘tunnels de KPI’ qui lui permettent d’agir simultanément sur plusieurs aspects pour faciliter l’utilisation du service, transformer les prospects en clients et diminuer le taux d’attrition. D’autres entreprises vont plus loin encore, et recourent aux OKR (Objectives and Key Results). Cette approche consiste à fixer un objectif qualitatif à tous les niveaux de l’entreprise, à le décliner en indicateurs mesurables et à en opérer un suivi rigoureux sur une échéance prédéterminée. Les indicateurs sont spécifiques à chaque phase du développement de la start-up, qui comporte quatre étapes principales :
- Générer l’empathie : au cours de cette étape, les données sont qualitatives et permettent de valider – ou non – l’idée à l’origine du projet de la start-up. Celle-ci entreprend ‘une démarche d’empathie’ avec ses prospects pour identifier leurs besoins. Elle peut, par exemple, utiliser des plateformes web telles que l’Amazon Mechanical Turk pour procéder elle-même à sa propre analyse du marché.
- Développer sa stickiness : lors de cette étape, il s’agit d’adapter le produit pour fidéliser au maximum ses utilisateurs et assurer sa pérennité. Ces données de viabilité économique sont donc quantitatives.
- Devenir ‘viral’ : durant cette étape, les start-up exploitent les early metrics, des indicateurs qui leur permettent de pronostiquer l’activité future pour y investir les moyens adéquats.
- Augmenter ses revenus : au cours de cette étape, les start-up cherchent à ‘monétiser’ et ‘démultiplier’ leur base clients en développant un business model approprié.
5. Obtenir des financements
Les financements externes sont nécessaires pour étayer la croissance future et permettre à la start-up de ‘passer des caps’ dans l’accélération tels que le déploiement à l’international. Le cas de BlaBlaCar illustre parfaitement cette stratégie : ses dernières levées de fond en 2012, 2014 et 2015 ciblaient une accélération de son expansion à l’international pour s’imposer mondialement. Le financement peut également soutenir une stratégie de build-up, à savoir l’acquisition de sociétés actives dans le même secteur. Faire appel aux VC (venture capitalists) permet en outre à la start-up d’aborder son accélération tout en bénéficiant d’un accompagnement. Pour lever les fonds nécessaires à son accélération, la start-up doit donc formuler une equity story persuasive susceptible d’éveiller l’intérêt des investisseurs. Cette histoire doit être authentique et reposer sur l’engagement et la conviction de son fondateur. Mais si ‘le financement permet et sert la croissance accélérée’, beaucoup d’entrepreneurs choisissent plutôt de stabiliser leur modèle économique au lieu de se développer à tout prix. Certains optent pour cette solution, car ils privilégient un juste équilibre entre croissance et rentabilité et ne souhaitent pas voir leurs parts de capital diluées avec l’entrée de nouveaux investisseurs. Ce modèle de croissance ‘vertueux’ permet à la start-up de préserver son autonomie financière et de s’assurer des bases saines et solides au cas où elle décide de se lancer dans une démarche d’accélération plus marquée.
À propos des auteurs
Nicolas Minvielle est docteur en économie et responsable du mastère ‘Marketing, design et création’ d’Audencia Business School. Martin Lauguin est serial entrepreneur et design thinker. Nicolas Caruso est facilitateur graphique, graphiste et illustrateur.