Y a qu’à se baisser

La nouvelle newsletter bimensuelle signée Sébastien Fontenelle

Un principe simple : une compilation des derniers dérapages observés dans les médias dominants. Parce qu’à force d’extrême droitisation, on finit par ne presque plus les voir.

28 janvier 2025
Le Figaro (groupe Dassault) publie une tribune de l’avocate et ancienne ministre de droite Noëlle Lenoir dont le titre affirme que « la secrétaire générale d’Amnesty France tire un trait d’union entre Israël et le nazisme », et dont le chapeau introductif précise que « dans une interview pour Blast, la secrétaire générale d’Amnesty international France a de nouveau accusé Israël de perpétrer un “génocide“ des Palestiniens », et que cela constitue « un pas supplémentaire dans l’assimilation d’Israël au nazisme qui nourrit l’antisémitisme ».
Problème : Agnès Callamard, puisque c’est d’elle qu’il s’agit, n’est pas « secrétaire générale d’Amnesty France », mais directrice générale – et, à ce titre, principale porte-parole – du secrétariat international d’Amnesty.
Et surtout, dans l’entretien qu’elle a effectivement accordé à Blast au mois de janvier dernier, elle n’a évidemment pas « tiré un trait d’union » entre Israël et le nazisme : elle a, et ce n’est pas du tout la même chose, rappelé que l’armée israélienne perpétrait à Gaza ce qu’Amnesty, après avoir longuement et minutieusement enquêté, considère, à l’unisson de nombreux autres experts internationaux, comme un génocide.
Peu de mots, beaucoup de bobards, et au passage une instrumentalisation déhontée du combat contre l’antisémitisme pour mieux diffamer une organisation internationale de défense des droits humains : belle performance.

29 janvier 2025 (1)
Dans sa chronique hebdomadaire, Françoise Fressoz, éditorialiste “politique“ au Monde, journal dit “de référence“, décrète (avec le même aplomb qu’elle met depuis des années dans ses amalgames entre la gauche insoumise et le Rassemblement national, systématiquement présentés par elle comme « les extrêmes ») que pour combler son « déficit public » la France « ne pourra faire l’économie d’une remise à plat de ses dépenses publiques et d’une modification du financement de son modèle social » – modification qui, c’est induit, consisterait plus précisément en une (nouvelle) diminution de ce financement.
Heureuse coïncidence : ce credo étroitement néolibéral est aussi celui des gouvernements, de droite comme de gauche (mais de droite), qui se sont succédé depuis quarante ans à la tête du pays – et dont la vérité oblige à dire que Françoise Fressoz ne les a jamais accablés d’aucun excès d’hostilité.
Dans la réalité, bien sûr, et en admettant qu’il doive absolument l’être : il serait tout à fait possible de contenir le déficit sans réduire le financement du modèle social français – en rehaussant par exemple l’imposition des milliardaires.
Mais Françoise Fressoz ne l’envisage pas, et déplore au contraire la persistance d’une « tradition française » où « les hausses d’impôts sont plus faciles à faire émerger que les réductions des dépenses » – comme si elle ne voulait décidément pas entendre parler d’un monde où les riches seraient trop sollicités, quand il est si facile de démunir plutôt les pauvres.

29 janvier 2025 (2)
Dans le numéro où figure cette inoubliable chronique, Le Monde publie aussi une tribune passionnante, dont l’auteur – Julien Labarre, qui enseigne les sciences politiques à l’université d’État de Californie – s’alarme, à fort bon droit, de l’installation aux États-Unis, « au lendemain de l’investiture de Donald Trump », d’un « ordre informationnel autocratique et injuste », où règnent « la banalisation du mensonge et l’institutionnalisation de la désinformation ».
En France, fort heureusement, ces horreurs-là n’ont pas cours : ce n’est pas chez nous que l’éditorialiste “politique“ d’un journal “de référence“ soutiendrait faussement que la seule façon de limiter le déficit public serait de modifier le financement du modèle social.

30 janvier 2025
Le Figaro magazine – le supplément hebdomadaire du quotidien du groupe Dassault – publie un article de son rédacteur en chef Alexandre Devecchio en forme de réquisitoire contre le député (La France insoumise) Louis Boyard, et pose, comme un crachat, cette question peu amène : « Comment le jeune député insoumis, qui a pour seul CV un passé de trafiquant de drogue et quelques vidéos TikTok, a-t-il pu connaître une telle ascension ? »
Ce vigoureux journaliste, qui semble donc être d’humeur interrogative, pourrait, dans de prochaines rédactions, répondre à quelques autres questions intrigantes.
Comme celle-ci, par exemple : comment le jeune activiste antisémite Robert Hersant, qui avait fondé à Paris en 1940 un groupuscule dont les membres attaquaient des commerces juifs et qui avait été condamné en 1947 à dix ans d’indignité nationale pour collaboration avec l’Allemagne nazie, a-t-il pu racheter Le Figaro en 1975 ?
Ou comme celle-ci : comment le plus tout jeune éditocrate xénophobe Éric Zemmour, qui avait été plusieurs fois condamné pour provocation à la haine raciale ou religieuse – et qui était poursuivi pour contestation de crime contre l’humanité après avoir notamment déclamé que le maréchal Pétain avait « sauvé les Juifs français » – a-t-il pu continuer à travailler pour Le Figaro ?

3 février 2025
Une répugnante publication d’extrême droite (pléonasme) consacre, parmi d’autres, un long article à Blast, jugé « coupable », avec d’autres médias, de favoriser une « invasion migratoire ».
Conclusion de ce pénible papier : « La réussite de Blast montre une chose : la gauche reprend le dessus sur la bataille médiatique. (…) Pour concurrencer de tels médias, le combat de la droite sera rude. »
Pas mieux.

6 février 2025 (1)
Dans l’hebdomadaire Le Point (groupe Pinault), l’éditocrate Franz-Olivier Giesbert, dit FOG, expert autoproclamé ès-à peu près tous les sujets, vitupère contre « la politique de nos gouvernants, qui, en plus de quatre décennies, nous ont presque tous mis dedans en augmentant les dépenses publiques plus vite que les prélèvements obligatoires tout en endettant frénétiquement l’État pour combler leurs déficits. C’est ainsi que la France est devenue (un) poussah dispendieux ». Rien de nouveau sous le ciel gris : ça fait des années que FOG, dans l’éditorial qu’il rédige toutes les semaines pour Le Point, ressasse obsessionnellement les mêmes anathèmes.
Le 12 juin 2014, par exemple, il appelait, agressif, à « guérir la France sans lui demander son avis, quitte à la brutaliser un peu », en réduisant « ses astronomiques dépenses publiques ».
Le 19 avril 2015, il proposait, pour faire « reculer le Front national », cette recette miraculeuse : « Réduire drastiquement la dépense publique. » Et le 13 juillet 2017, il nommait les responsables, selon lui, de « l’augmentation des déficits et de l’endettement » : il s’agissait notamment des « syndicats » qui « se gavent, toute honte bue, de subventions publiques », et « vivent » par conséquent « sur la bête, donc sur le contribuable ».
Ces charges sont rudes, mais l’objectivité commande de reconnaître que pour une fois, Giesbert le toutologue sait ici de quoi il parle : indépendamment des solides émoluments que lui ont valu ses multiples collaborations avec la télévision publique (et dont « le contribuable » n’a, bien sûr, jamais su le montant), il a fait toute sa (très) longue carrière de journaliste dans des rédactions gavées d’aides publiques à la presse – dont il n’a, évidemment, jamais réclamé la réduction.

6 février 2025 (2)
Le Monde publie un article narrant, c’est son titre, qu’ « un visuel de La France insoumise (LFI) met Olivier Faure et Marine Le Pen sur le même plan », mais que Mathilde Panot, présidente du groupe insoumis à l’Assemblée nationale, « refuse » – l’effrontée – « de présenter ses excuses ».
En réalité, le montage en question ne met à aucun moment le Faure et Le Pen sur le même plan : il rappelle que tous deux ont refusé de voter de censurer le gouvernement de François Bayrou, et dénonce, avec une ironie mordante, cette « alliance » de fait.
En revanche : quand Le Monde, sous la plume, notamment – mais pas seulement -, de son éditorialiste “politique“ Françoise Fressoz, amalgame comme il le fait depuis des années LFI et le Rassemblement national en les appelant « les extrêmes », il met bel et bien la gauche antiraciste et l’extrême droite xénophobe sur le même plan (pour le plus grand bénéfice de la seconde, dont la radicalité se trouve ainsi relativisée) – et refuse toujours, au jour où ces lignes sont écrites, de présenter la moindre excuse.

9 février 2025
Dans le JDNews, supplément gratuit du Journal du dimanche (groupe Bolloré) qui publie régulièrement des articles dénonçant « l’antisémitisme de gauche », le très (très, très) droitier vicomte vendéen Philippe (Le Jolis) de Villiers (de Saintignon) écrit, dans sa chronique hebdomadaire, qu’Emmanuel Macron, chef de l’État français, a notamment été formé – et formaté, suggère-t-il – « par Jacques Attali et Alain Minc qui (…) lui ont appris à communier sous les deux espèces du progressisme et du mondialisme ».
Nul ne doit en douter : c’est bien évidemment par l’effet du hasard que Villiers associe deux personnalités juives au « mondialisme », qui est le nouveau nom du cosmopolitisme – cette vieille obsession de l’extrême droite antisémite.

10 février 2025
Le Figaro publie un article dont les auteurs s’appuient sur un « sondage exclusif » commandé par ce journal pour décréter qu’en matière de « délinquance des mineurs : les Français veulent en finir avec la culture de l’excuse », et « exigent » plus de sévérité.
Cette fustigation rituelle d’un prétendu laxisme judiciaire, systématiquement doublée d’appels à durcir la répression de la délinquance, est dans la presse réactionnaire une spécialité ancienne, mais cette férocité devenue presque rituelle souffre encore quelques exceptions – comme quand Yves Thréard, directeur adjoint de la rédaction, a dénoncé dans Le Figaro, le 18 décembre dernier, après la condamnation définitive de Nicolas Sarkozy pour corruption, une « défaite » d’un « système judiciaire » qui n’avait, selon ce journaliste engagé, « pas garanti les libertés fondamentales » de l’ex-président, présenté quant à lui comme la victime d’un mauvais coup des juges : appelons ça la culture de la mauvaise excuse.
Blast-info