Leur écologie est un désastre

Déconnectons-la.

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Extraits

Préambule

Renforcé.e.s par nos camaraderies, la diversité de nos lieux de vie et par nos expériences de luttes, nous souhaitons mettre en lumière nos positions communes contre la doxa du monde électrique. Nous amenons ici des arguments non exhaustifs, sans concession, afin de bousculer le climat consensuel et participatif actuel, alimenté par leur transition énergétique. On a voulu donner un petit coup de pied dans la fourmilière des mouvements écolo. Certaines scènes caustiques sont donc susceptibles de heurter le public sensible. Néanmoins, toute ressemblance avec des personnes existantes ne saurait être que fortuite. On a fait le choix de parler depuis ce qu’on est, de ce qu’on porte et pas forcément depuis des livres et des références intellectuelles. Il ne faudra donc pas s’étonner de ne pas trouver de notes de bas de page qui auraient alourdi la lecture. Cependant, vous pourrez trouver une bibliographie en annexe. Nous avons fait le choix d’utiliser l’écriture inclusive en grande partie dans le texte. Le genre masculin a été délibérément conservé pour nommer les figures des dominants et des gouvernants.

Nous vous souhaitons une bonne lecture complice.

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«L’énergie est notre avenir, économisons-la»,

«Une électricité 100 % renouvelable, c’est possible avec Enercoop»,

 «Rejoignez Engie pour un monde bas carbone».

On étouffe de votre énergie de partout, de tout le temps, on étouffe d’être là, pris.e.s dans vos câbles et vos lignes, votre bunker mental smart à chacun chacune instillé si subtilement, telle une appli dans nos chairs. Votre pouvoir il coule, il est fluide, n’est-ce pas ? Comme vos autoroutes sont fluides, comme vos trains vont et viennent, vos datas circulent, c’est presque beau de loin, ça fait des toiles d’araignées fluorescentes ou plutôt des constellations de LED. Tout un ordre, toute une hiérarchie, dont l’électricité est le cœur vibrant. Votre organisme, comme vous dites, dont vous chérissez tant la santé économique, il carbure à la centrale, au transformateur, il se dispatche. Et vous nous avez fait malgré nous les agents et opératrices obéissantes de ce monstre froid. Le courant passe si bien entre vos administré.e.s. Et le black-out qu’on nous brandit comme ultime risque industriel n’est peut-être que votre peur de voir votre créature s’éteindre d’un coup, et que vous vous retrouviez seuls, à la merci de celles et ceux qui se retourneront contre vous. C’est votre cauchemar ultime, votre pire scénario collapso. Pas étonnant que les théories d’effondrement intéressent autant le gouvernement. Votre société aurait-elle des airs d’île de Pâques ou de Twin Towers ? Il paraît que plus les réseaux sont complexes, plus ils sont fragiles. C’est ça non ? Eh ben c’est maintenant, et vous avez la trouille.

Le désastre, les pandas, moi et les autres

On sait toutes et tous qu’on court à notre perte, qu’on va être englouti.e.s par la montée des eaux. Cette peur taraude Linda, 16 ans et tous ses copains. Sa plage favorite où elle vient manger des glaces italiennes au quatre heures, dans son beau bikini bleu à paillettes va disparaître, et la cabane à gaufres avec. Elle angoisse de ce monde, de la mort des bébés pandas et de la fonte des glaces. Elle en parle sur Instagram avec toutes ses amies, tous les soirs. Elle twitte «Trump est un con». À part lui et son oncle, tout le monde reconnaît le réchauffement climatique.

Le désastre environnemental est clairement palpable. On parle souvent du réchauffement climatique, un peu moins des pollutions généralisées de l’eau et des terres causées par l’extractivisme. On en parle quand même. On commence à savoir que le lithium extrait pour les batteries des voitures électriques zéro émission, pollue ; que l’extraction du graphite rend malades ses ouvrier.e.s, qu’ils et elles attrapent la silicose, que les terres agricoles deviennent arides. On sait que l’air est irrespirable à proximité des villes, mais aussi près des centrales électriques au charbon.

Les problèmes environnementaux découlent de l’obsession des firmes de l’énergie à creuser les sols, à excaver encore et encore, à pomper les ressources jusqu’à la moelle, à vider cette planète de son jus, comme une orange qu’on presserait et presserait encore et encore parce que le jus d’orange est le marché le plus juteux qui soit. Électrifier toujours plus, numériser à l’excès le sapin de noël planète Terre ! Ça clignote : Donuts, Coca, Caca ! Ça parle, ça chante, c’est beau, c’est lumineux, c’est smart ! C’est Walmart !

Cannes à sucre, extraction et colonies

Le désastre n’est pas qu’environnemental. Le marché de l’énergie est détenu en grande partie par des multinationales soutenues par les États. On nous vend le frigo connecté et l’aspirateur qui fait le ménage tout seul, masquant une plus âpre réalité. Celle d’un monde violent, hérité de l’aventure coloniale du Nouveau Monde, dominé par les pratiques mafieuses de Gasprom, Areva, Chevron, Total, EDF, Engie et consorts. Les milices paramilitaires sont leur bras armé. On nous a longtemps occulté l’horreur de notre histoire, celle du sexocide des femmes, de la colonisation ou de l’esclavage ; de la haine de l’autre et du sentiment de légitimité absolue qui guidaient les colons blancs, de leur soif de pouvoir et de domination ; de leur obsession d’asservissement sanguinaire pour l’or. On nous a endormi.e.s avec la berceuse de l’abolition de l’esclavage et de la décolonisation.

On entend la voix de De Gaulle, crachotée par un transistor, pour l’autodétermination du peuple algérien. On serait tenté.e.s de reléguer la colonisation dans les oubliettes de l’histoire. Pourtant, la France continue de déployer son armée pour « pacifier » des territoires en Afrique. On a entendu parler des mines d’uranium au Niger, de la souveraineté nucléaire française : de la fierté de ses centrales et de la bombe atomique. L’extraction des métaux rares est en expansion et les prospections se répandent comme la peste à travers le monde. Des entreprises anglaises, australiennes, canadiennes exploitent des mines en Asie, en Amérique du Sud ou en Océanie. Le géant brésilien Vale se gave du nickel des Kanaks en Nouvelle-Calédonie.

Mais la colonisation forcenée par les entreprises nord-américaines et européennes ne s’arrête pas là. Les mers sont de nouveaux territoires à conquérir et exploiter. La force des vagues et le vent marin font bander la startup nation et tous ces requins que sont les grandes industries de l’énergie. Les territoires inhabités sont leurs nouvelles terres de fantasmes : mini-centrales ou îles artificielles au programme. Les sirènes, la baleine Moby Dick et Willy, l’orque adulée par toute une génération d’enfants sont le dernier îlot de légende et de rêve qui nous reste. La lune n’échappe pas non plus au viol généralisé de notre rapport sensible au vivant. Quand la Chine excave de la poussière lunaire, nos cœurs saignent. Nos flux menstruels s’arrêtent, et l’on hurle notre colère à la nuit.

20 h 12, Patrick et Gisèle, après avoir mangé un bon petit plat bio surgelé écoutent David Pujadas annoncer le prochain reportage : “La Chine vient d’excaver de la matière sur la lune afin de l’analyser.” « Ils sont quand même forts ces Chinois », s’exclame Patrick. Gisèle n’est pas d’accord. « Je trouve qu’on va un peu trop loin, là. Quand même la lune, tu te rends compte! On imagine les répercussions, les marées perturbées tout ça, quoi! Même sur nous, nos cheveux, ton ongle incarné, et même pour nous, les… femmes, quoi!»

Far West, campagnes et conquête électrique

Cette conquête effrénée des territoires subalternes ne s’est pas cantonnée à l’extérieur des frontières de l’État. Pour répondre à la boulimie de ses organes vitaux, les villes, il a fallu encore coloniser les terres à l’intérieur même de son organisme. Avec moins de force et de violence, mais en répondant aux mêmes logiques, il a fallu assujettir les campagnes.

L’aristocratie et les grands propriétaires terriens avaient déjà soumis, éduqué, taxé, dressé, marchandisé et standardisé les pratiques de culture. Ils avaient contraint à la mécanisation, détruit les sols, provoqué l’exode, brisé les communautés. L’écosystème naturel et social de ces territoires périphériques n’avait plus lieu d’être. Ils n’étaient même plus les organes annexes d’un cœur urbain, dont il s’agissait d’assouvir la voracité de calories alimentaires.

Les campagnes n’avaient pas même eu le temps de s’adapter à cette colonisation interne qui exigeait qu’elles réorganisent toute leur activité vers la production alimentaire à destination des villes que déjà, ces dernières se découvraient un autre appétit. Un nouveau carburant, qui ne croissait plus sur la terre, mais se cachait en dedans. Le charbon.

Jaillissant des entrailles de la Terre en même temps qu’elles les creusaient, voici surgir les cités ouvrières minières au beau milieu des campagnes. Achevant de prolétariser cultivatrices et fermiers, elles transforment pâtures en terrils et hameaux en ghettos. Au milieu du XIXe siècle, elles absorbent leurs voisines, comme Le Creusot qui multiplie par trois sa superficie et par sept sa démographie. Emblèmes de l’organisation scientifique du travail et de son industrialisation, les mines le sont hélas aussi du mouvement ouvrier. Alors, on préfère vite importer une main-d’œuvre immigrée pour mieux la discipliner. Puis, encore mieux, on choisit l’extractivisme néocolonialiste, pour délocaliser au maximum l’exploitation humaine et son administration trop coûteuse.

Mais quand les mines sortent par la porte, l’électricité rentre par la fenêtre. Après la production d’armes pendant la guerre, Le Creusot peut se reconvertir en fabriquant les pièces des centrales nucléaires. Le château de la dynastie Schneider qui exploita les mines devient un « écomusée », et Schneider Electric rachète la branche distribution d’Areva.

La métastase électrique se répand, invasive, c’est le temps des couloirs de lignes Très Haute Tension qui conquièrent les campagnes, dans la lignée de leurs aînées ferroviaires et télégraphiques. Le territoire est quadrillé. Les centrales, ces cathédrales modernes, s’imposent dans les espaces ruraux les plus disponibles ; quand les quartiers périphériques des grandes villes voient s’ériger les transformateurs et déchetteries industrielles et se déployer la répression policière. Ce sont toujours des ouvrier.es qui sont exploité.e.s dans les usines, fabriquant et assemblant les pièces nécessaires aux infrastructures énergétiques, réduit.e.s à un salariat misérable.

Il faut désormais rendre productives les dernières « zones à faible densité de population ». C’est notamment le cas du territoire de la Meuse et de la Haute-Marne, qui grâce à ses élus locaux et au lobby du nucléaire, est promu comme « pôle d’excellence nucléaire » spécialisé dans la gestion des déchets et du vieillissement des centrales. L’argent du Groupement d’Intérêt Public finance ainsi à hauteur de millions d’euros des dizaines de projets liés à la filière nucléaire : maintenance, transport, logistique, formation, quand les entreprises locales ferment les unes après les autres sans être soutenues par cette instance, supposément « d’intérêt public ». EDF grandit, les usines crèvent.

Il faut acheter le consentement de la population, éduquer la génération nucléaire et convaincre du bien-fondé du projet. Pour cela les communes proches de Bure, village choisi pour être le lieu d’implantation du projet Cigéo d’enfouissement des déchets nucléaires, sont arrosées de subventions gérées par les élus des conseils départementaux à travers les GIP. Celles-ci servent à équiper les bourgs de nouvelles salles des fêtes, lampadaires, trottoirs et autres équipements urbains dont on peut largement douter de l’utilité quand les commerces locaux ferment les uns après les autres et que le territoire se désertifie. C’est le temps de l’accaparement des terres par EDF, auréolé de la mention « service public ». Depuis 2007 par exemple, l’Andra bâtit un empire foncier considérable grâce aux SAFER, évitant ainsi des procédures d’expropriation trop longues, trop coûteuses et néfastes sur le plan médiatique.

Le modèle agro-industriel et le remembrement avaient déjà optimisé les rendements agricoles pour permettre de grignoter plus de terres. Il est désormais temps de spécialiser les territoires : nucléaire, renouvelable ou tourisme de masse ? Des illusoires enquêtes publiques dans les villages jusqu’à la répression et les expulsions en banlieue, tous les territoires sont désormais subordonnés, destinés à assouvir ce cœur battant urbain affamé.

Perte des savoir-faire et des imaginaires, réductionnisme et réalité augmentée : bienvenue à l’ubertranshumain !

Exode rural et accaparement des terres aidant, voici poindre les exploitant.e.s agricoles 2.0. Armé.e.s de drones à caméras et logiciels de calcul de la productivité pour chaque centimètre carré de surface, ils et elles ne sont plus paysan.ne.s, mais industriel.le.s. Les petit.e.s fermes n’existaient déjà plus, les moyen.ne.s disparaissent. Les collèges de campagne proposent des visites de l’exploitation voisine. Vaches laitières par centaines, granules OGM et méthaniseur ou vignes, produits phytosanitaires et panneaux solaires ? « À chacun son segment de marché, mon fils, tu choisiras quand tu seras grand ! ». Ces industriels d’un nouveau genre nous vendent même l’écologie de demain. Ils sont si proches de la terre, dans leurs usines 2.0 ! Ils exploitent chaque ressource à leur portée, sur leurs hectares à perte de vue.

L’extension des réseaux énergétiques est allée de pair avec une perte d’usages directs de l’énergie mécanique et de manière concomitante, de savoir-faire et de connexions sociales. Lorsqu’il devient si simple d’actionner un bouton, d’appuyer sur une pédale ou de tourner la clef d’un engin, la traction animale, les moulins hydrauliques et à vent ne semblent plus avoir leur place, tout comme les métiers qui gravitent autour.

Ce qu’on a aussi perdu avec l’arrivée de l’électricité, c’est le sens de faire en commun, nos liens d’interdépendance. La machine les a remplacés dans les champs. On fait tout, seul.e devant son écran, assis.e sur son tracteur. On a créé des multitudes de solitudes à la place de nos communautés. La centralisation de l’énergie nous a fait perdre nos usages sociaux et communaux. S’il reste des agricultrices et maraîchers qui entretiennent un rapport affectif et sensible à leurs bêtes, les grandes tablées des moissons sont loin.

Les barrages hydroélectriques intègrent la rivière au système électrique, à l’exclusion d’autres usages qui dessinaient toute une organisation sociale autour des bassins versants. Le meunier connaissait le cours d’eau ou le vent, il s’adaptait à ses variations saisonnières et quotidiennes. Il connaissait les rouages internes de sa machine : le bois qui la compose, le rythme des meules adapté pour la mouture de grain désirée. Même s’il n’était pas du côté du peuple, mais de ceux qui taxaient les récoltes, son savoir-faire s’est perdu. L’irrationalité de certains choix d’énergie, dont celui du remplacement de la force vive de l’eau par le charbon en Angleterre au XIXe siècle, a des éclairages politiques. Bien que payant, il incarnait par son aspect délocalisable et accumulable, au plus proche des « gisements de main-d’œuvre », l’énergie parfaite pour dompter les prolétaires. Le charbon impose ainsi un rythme constant et régulier, quand les fluctuations de l’eau rendaient les journées de travail irrégulières. C’est l’ajustement du temps et de l’espace à la temporalité continue de la production. C’est le temps de la « révolution industrielle », de la centralisation du travail dans des usines pensées sur le modèle des prisons, véritables instruments de domestication, assurant hiérarchie et dépendances des ouvrières. On pourrait dire la même chose de l’électricité. Le macro-système électrique alimente des usager.e.s finaux lointain.e.s, passifs, atomisées dans leurs usines, logements, bureaux où le travail est rythmé par l’interrupteur électrique, de plus en plus dispensable dans un monde de veille générale.