Entre Lyon et Saint-Etienne, la Ferme du Mornantais (1) pourrait être coupée en deux par un projet d’autoroute porté par Laurent Wauquiez, le président de la région. Tout un territoire riche d’agriculture paysanne pourrait être détruit. Jérôme Guinand organise la résistance.
L’averse est imminente, les bottes de foin sont encore dehors mais le tracteur est en panne. Cela laisse juste le temps à Jérôme d’accorder un entretien sur sa ferme, à Mornant, au pied des Monts du Lyonnais. D’un pas alerte, direction l’étable pour échanger au calme. Jérôme joue la franchise : ni lui, ni son frère Cédric n’envisageaient initialement de reprendre la ferme de leurs parents qui faisaient déjà de l’élevage laitier et produisaient des yaourts (2). Cédric passe un BTS compta-gestion, « rien à voir avec l’agriculture », et Jérôme un BTS technico-commercial. C’est finalement Cédric qui saute le pas le premier : il s’installe en 2000 avant d’être rejoint six ans plus tard par Jérôme.
Les deux frères ont aujourd’hui quarante-cinq vaches laitières et autant de génisses de renouvellement. Pour leurs 85 hectares de cultures, pas d’engrais ni de pesticides, mais du fumier de vaches, de la rotation et du désherbage mécanique. « On n’est pas autonomes en aliment et c’est l’une des raisons pour lesquelles on n’est pas en bio : on n’a pas envie d’acheter du foin bio ou du tourteau de soja bio qui parcourent des milliers de kilomètres en camion. On se fournit en aliment à la Coopérative Dauphinoise qui a une filière soja de l’Ain. Et quand on n’a pas assez de foin ou de maïs, on passe par les paysans d’à côté. C’est ça, pour nous, l’agriculture paysanne. »
Chaque jour, 4000 yaourts et 4000 faisselles sont produits dans l’atelier de la ferme. Une activité créatrice d’emplois puisqu’ils sont huit – deux associés et six salariés – à vivre de la structure ! Un troisième associé pourrait bientôt les rejoindre. « Là, avec Cédric, on bosse 80 heures par semaine mais on vit bien, avec un week-end sur trois de dispo. » Ils passent de moins en moins par les grandes surfaces – certaines ayant tendance à tirer sur les prix – et se tournent de plus en plus vers la restauration collective. « On distribue 25 000 yaourts par mois à la cuisine centrale de Villeurbanne. Les gamins viennent ensuite à la ferme. Ça a vraiment du sens ! »
Dès son installation, Jérôme s’engage dans la Confédération paysanne du Rhône. « Un groupe « jeunes » s’est formé, ça motive. Par contre, les réunions, ce n’est pas mon truc, mon engagement se fait plutôt dans les actes. » Pour les fruits dans les yaourts par exemple, la Ferme du Mornantais se fournit auprès de Terr’étic, un atelier collectif de producteurs-transformateurs de fruits récemment constitué dans les Monts du Lyonnais (3).
Ces derniers mois, Jérôme multiplie les réunions militantes. En cause : l’A45, un projet d’autoroute reliant la périphérie de Lyon à celle de Saint-Etienne. Son tracé impacterait quinze hectares sur la ferme et diviserait en deux le parcellaire. « J’ai grandi avec ce projet qui planait au-dessus de nos têtes, mais lorsque la Région a voté le budget l’année dernière, on a vraiment pris conscience que ça se concrétisait. »
Une grande manifestation est organisée en septembre 2016 sur la ferme de Jérôme et Cédric. « Ça a été un moment clé avec la présence de militants de Sivens et de Notre-Dame-des-Landes qui nous ont appelés à nous mobiliser et nous coordonner. Ce qui est nouveau dans les luttes, c’est qu’on n’attend pas que les tractopelles soient là pour agir. Les paysannes et les paysans ont monté un collectif à l’initiative de la Conf’ de la Loire dans lequel on retrouve toutes les étiquettes et ça accroche bien. » Jérôme enchaîne les réunions publiques, participe aux commissions, s’investit dans la préparation des manifestations. « Au départ, on avait l’impression d’être tout seuls, on ne s’attendait pas à ce qu’il y ait des paysannes et des paysans. Désormais, on ne compte plus sur les chambres [d’agriculture] pour la lutte mais sur nous, c’est ça qui est passionnant. »
(1) http://lafermedumornantais.com/
(2) Leur père, Jean Guinand, est l’un des co-fondateurs en 1978 du premier magasin de producteurs, Uniferme – www.uniferme.fr