Contre le réchauffement climatique, TF1 préconise le charlatanisme, le bikini, l’avion et le climatiseur
Au mois d’août, le journalisme est en vacances sur TF1. On s’inquiète des incendies s’ils sont visibles de la plage ou s’ils menacent un zoo. On se préoccupe de la sécheresse si elle gêne les cultivateurs de maïs, les patrons de golf ou les kayakistes. Sécheresse dont on peut facilement se prémunir grâce au savoir des sourciers. Quant à la canicule, un climatiseur ou un survol des Alpes en avion vous en soulageront.
« Le feu s’approche des plages ! » alerte Audrey Crespo-Mara en ouverture du 20 heures, samedi dernier. Catastrophe, « une quinzaine d’incendies se sont déclarés en Bretagne », c’est la panique à TF1. Non parce que le Morbihan est victime d’un phénomène que l’on croyait réservé au sud du pays, mais parce que « certains incendies sont visibles depuis la plage, suscitant l’inquiétude ». Si ces feux pouvaient se cantonner à quelques massifs inaccessibles, l’inquiétude serait moindre. Sur place, un reporter confirme : « Les vacanciers n’en croient pas leurs yeux » ; « ce touriste a vu toute la scène ». Les journalistes sont unanimes : des incendies en Bretagne, passe encore, mais aux abords des plages, c’est inadmissible.
« Les restrictions, par endroits, passent mal, poursuit Audrey Crespo-Mara. Certains agriculteurs continuent à arroser leurs champs. » L’occasion de faire connaissance avec ces valeureux résistants à l’arbitraire bureaucratique. Comme au Gué-d’Alleré, en Charente-Maritime. « En théorie, Pascal Ribreau n’a plus le droit d’arroser ses champs. Contrevenir à la loi, c’est risquer deux ans de prison et 30 000 euros d’amende. Il a pourtant choisi d’ignorer l’arrêté préfectoral. » Le Jean Moulin de l’irrigation explique : « Sinon, sur le maïs, c’était 100 % de perte, aucune récolte. » Et sans maïs, point de salut. La journaliste compatit : « Les contrevenants se disent pris à la gorge. » À la gorge sèche, vu la pénurie d’eau. L’agriculteur justifie : « C’est pour pouvoir nourrir nos bovins. » Or chacun sait (sur TF1) que les bovins ne peuvent être nourris qu’avec cette plante tropicale aux racines riquiqui nécessitant de l’arrosage au moins jusqu’à la mi-août.
La journaliste interroge : « Comment participer à l’effort collectif sans condamner l’activité économique ? » Très simple : en ne participant pas à l’effort collectif. « Le golf fait vivre 15 000 salariés en France… » Pour subvenir aux besoins des 0,6 % de la population des plus nécessiteux. « Mais les greens n’ont jamais si mal porté leurs noms : à La Roche-sur-Yon, c’est le jaune qui prédomine… » Sauf sur les greens qui, finalement portent très bien leur nom : « Nous n’arrosons que nos greens », explique le directeur. « Les golfs bénéficient d’un régime d’exception », précise la reporter. « Si on peut plus arroser les greens, geint le directeur, ce serait une catastrophe. » Et si, dans le même temps, les particuliers ne peuvent plus arroser leurs potagers, c’est une bénédiction, ça laisse de l’eau pour les greens.
« La majeure partie des cours d’eau sont à sec, y compris certains fleuves comme la Loire, reprend Audrey Crespo-Mara. Vu du ciel, l’observation de ses rives complètement asséchées est encore plus frappante. » S’il n’y avait que les rives… « Un fleuve à sec, déplore le reporter. Les promeneurs ne peuvent que le constater. » Les poissons aussi mais ils sont muets comme des carpes. Va donc pour un micro-berge (équivalent du micro-trottoir en bord de Loire) : « J’ai jamais vu ça », dit un autochtone. « Le phénomène n’étonne pas cet habitant » : « Cet hiver, on n’a pas eu d’eau. » « Un peu plus loin, il ne reste que quelques centimètres d’eau stagnante, déplore la reporter. Un passage de plus totalement impraticable pour les kayaks. » Pauvres kayaks martyrisés par la sécheresse. Heureusement, la responsable d’une société de location d’embarcations a réagi : « On a créé des parcours plus détaillés. » Ouf, les kayaks sont sauvés, c’est le plus important. On ne va pas commencer à évoquer les conséquences pour la faune, la flore, la ressource en eau potable – ni le réchauffement du peu d’eau qui reste par les rejets des centrales nucléaires. Ça ennuierait les téléspectateurs en vacances (d’information).
Audrey Crespo-Mara enchaîne : « Face à la pénurie, tous les moyens sont bons pour trouver de l’eau. » Et approvisionner le journal télévisé. « Les sourciers reprennent leur baguette pour déterminer l’emplacement de nouveaux points d’eau. » Et pallier l’incompétence du BRGM (Bureau de recherches géologiques et minières). « Une méthode ancestrale et un peu mystérieuse qui, vous allez le voir, s’apprend. » Si elle s’apprend, elle n’est donc pas si mystérieuse – ni charlatanesque.
Une envoyée spéciale s’extasie : « Un simple bâton dans les mains pour trouver une source d’eau. » Rien de plus écolo. Le formateur explique : « Le but, c’est que le bout de bois tombe à un moment donné. » Attention aux tricheurs qui le laissent tomber. « La méthode marche-t-elle ? Plus ou moins cette fois-ci. » Certains élèves stressés crispent leurs doigts sur le bâton, l’empêchant de tomber. « Le formateur revient donc aux classiques. Ses apprentis sourciers munis de deux antennes commencent à prendre leurs marques. » Des marques de pure rationalité. « Tous rêvent de pouvoir trouver l’eau. Avec un rien, comme le font les sourciers, un pendule, une baguette et même un cintre. » Un tire-bouchon, une clé à mollette, un tractopelle. Une disciple décrit : « Je lui demande de m’indiquer où passe l’eau. » Dans le cerveau des journalistes de TF1, à mon avis.
Jean-Paul, le formateur, dévoile son secret : « C’est un état d’esprit. » Esprit, es-tu là ? Si oui, fais tomber ce bâton. « En 76 déjà, rappelle la journaliste, images d’archives à l’appui, ces chercheurs d’eau revenaient à la mode du fait de la sécheresse. » Preuve que les journaux télévisés se sont beaucoup renouvelés depuis. Un sourcier d’alors prétend : « Il faut avoir le fluide. » Ou l’état d’esprit. « Le fluide, rien de scientifique, nuance la reporter. Ce qui n’empêche pas l’activité de prospérer. » Preuve de son efficacité. « Nicolas est sourcier de père en fils, il vient d’installer ce puits chez un particulier. » Aucun doute, ça marche. « En deux jours, se félicite Nicolas, j’ai 4 mètres d’eau dedans. » Le propriétaire du terrain indique : « Le puits, je voulais le faire ici, Nicolas m’a dit : “C’est ici qu’il faut faire la source.” » Vingt mètres plus loin, au cas où la nappe aurait bougé dans la nuit. Le propriétaire se réjouit de pouvoir désormais arroser comme bon lui semble en économisant l’eau du réseau (peu importe si ce dernier est alimenté par la même nappe). « Loin de faire l’unanimité parmi les scientifiques, conclut la reporte, la pratique regagne du terrain. » Sur TF1.
Audrey Crespo-Mara réapparaît pour une autre excellente nouvelle. « À La Teste-de-Buch, le zoo du bassin d’Arcachon a rouvert ses portes. La moitié des animaux avaient été évacués au plus fort de l’incendie. » Je me souviens. À la mi-juillet, toutes les télés s’épouvantaient des graves conséquences de ce mégafeu : l’évacuation des vacanciers, celle des animaux du zoo, et la dévastation du camping qui sert de décor aux films de la série Camping – BFMTV avait consacré des heures d’antenne à cette catastrophe irréparable pour le cinéma hexagonal. « Il faut un peu de temps à ces girafes pour se réhabituer au public », relève un reporter. « On est content de voir que les choses redeviennent comme avant, se réjouit un soigneur, les animaux sont à nouveau bien chez eux. » Dommage pour eux, les milliers d’animaux cramés dans les incendies sont moins télégéniques.
Comme d’autres images de feu et de fumée sont apparues à quelques milliers de kilomètres, Audrey-Crespo Mara est contrainte de consacrer pas moins de trente secondes à « l’actualité au Proche-Orient. On assiste à la pire flambée de violence depuis plus d’un an dans la Bande de Gaza ». Une flambée produite par autocombustion, si je comprends bien. « Hier, au moins quinze personnes sont mortes dans des échanges de tirs entre l’État hébreu et le Jihad islamique. » Un partout, la balle au centre. « L’armée israélienne parle d’intervention préventive… » Une « intervention », ça fait moins mal que des « bombardements » ; « préventive », car il mieux vaut prévenir que guérir, ça va sans dire. « … Et assure viser des sites appartenant à l’organisation palestinienne. » Si elle l’assure, c’est que c’est vrai. « En riposte, une centaine de roquettes ont été tirées la nuit dernière en direction d’Israël. » Maudits Palestiniens, incapables d’admettre que l’armée israélienne agit pour leur bien.
Revenons à la trépidante actualité bien de chez nous : les vacances – même si 40 % des Français ne partent pas en vacances, on ne peut demander à TF1 de s’intéresser aux minorités (autres que les golfeurs). « Si vous êtes en vacances au bord de la mer, voici un dilemme qui s’impose sans doute tous les jours à vous, mesdames : maillot une ou deux pièces. » D’où la terrible charge mentale dont souffrent les femmes. « Cela peut paraître anodin. » Pas du tout, ça mérite une enquête du JT. « On fait le match. » Il va y avoir du sport.
« Choisir entre les deux concurrents est parfois un casse-tête, relève l’enquêtrice. Nous allons les départager. » Pour ce faire ont été recrutées deux « expertes en essayage » de TikTok. « Première manche, à la plage, 1-0 pour le bikini qui permet de mieux prendre le soleil. » Et de mieux cultiver ses mélanomes. « Deuxième manche, le confort dans l’eau : le une pièce est plus confortable. Un point partout. » C’est discutable : le zéro pièce est tout aussi confortable. « Et pour le style, alors ? » Une styliste préconise « un pari gagnant, la couleur ». Rien de plus triste qu’un maillot en noir et blanc. Résultat, « bikini ou une pièce, c’est une égalité. Deux partout… Qui va gagner le match ? ». Le suspense est à son comble. « Tout se joue sur le prix. Le maillot une pièce coûte en moyenne plus cher que le bikini. Score final : 3 à 2, victoire du bikini. » Détenteur de cette info capitale, je cours en acheter un stock pour en offrir à toutes mes amies et les soulager de l’affreux dilemme qui pourrit leur vie.
« Cet été, dans un contexte de forte hausse des prix, reprend Audrey Crespo-Mara, vous êtes nombreux à avoir un budget serré pour vos vacances. » Quand vous pouvez en prendre. Pour prouver qu’il est possible de s’éclater avec la moitié d’un RSA, TF1 a donc initié une série de reportages réalisés par deux journalistes qui « partent en vacances avec 300 euros chacun ». À mon avis, ils ont opté pour le bikini.
Le lendemain, dimanche, nouvelle alerte d’Audrey Crespo-Mara : « Trente et un feux en quelques heures en Bretagne. » Pourvu qu’ils se soient éloignés des plages (et des golfs, et des zoos). « Comment est-ce possible ? » Euh… Je ne sais pas. L’effet du réchauffement climatique, peut-être ? Oups, pardon, ce phénomène n’a aucun lien avec le fait que « la France vit une sécheresse historique et la quatrième vague de canicule approche ». Heureusement, TF1 a trouvé un moyen pour vous en prémunir : « Nous irons chercher un peu de fraîcheur au sommet du Mont-Blanc. C’est en avion que nous vous proposons de découvrir le toit de l’Europe. » Brûler du kérosène pour se rafraîchir, il fallait y penser.
« Face aux risques d’éboulements et aux fortes chaleurs de ces derniers jours, développe la présentatrice, deux refuges qui permettent d’accéder au Mont-Blanc ont été fermés. C’est donc en avion que nous vous proposons de découvrir le toit de l’Europe. » Logique. S’il devient impossible de randonner, ne reste plus qu’à prendre l’avion – c’est en outre beaucoup moins fatigant. Et puis « le spectacle n’en est que plus époustouflant », bien plus que quand on reste le nez au ras des edelweiss.
« On fait un métier de rêve avec un bureau magnifique », pavoise le pilote de l’avion de tourisme. « Décollage depuis l’aérodrome d’Annecy », relate le reporter. Nicolas emmène « Lætitia et son meilleur ami Laurent [qui] volent pour la première fois au-dessus du massif du Mont-Blanc ». « C’est vraiment très impressionnant », apprécie la passagère. À vous dégoûter de la marche à pied. « Pilote expérimenté, Nicolas survole le glacier de Leschaux à 110 kilomètres/heure puis la face nord des Grandes Jorasses. Une montagne mythique gravie pour la première fois en 1935. » Alors qu’il suffisait de prendre l’avion.
« Au pied de la Dent du Géant, comme de grosses meringues, des immenses crevasses. Une preuve du réchauffement climatique pour Lætitia. » « C’est triste, oui, admet-elle, de voir la fonte des glaces. On est privilégié de pouvoir le voir une fois dans notre vie. » Pour prendre conscience du réchauffement climatique, je suggère que tous les citoyens soient obligés de prendre l’avion. « On a l’impression d’être les rois du monde et seuls au monde. » D’où l’intérêt de posséder un jet privé.
Si vous êtes trop éloignés de l’aérodrome d’Annecy pour vous rafraîchir, TF1 propose voilà quelques semaines une autre solution. « La chaleur va être caniculaire, avertit Anne-Claire Coudray, et les Français sont de plus en plus nombreux à s’équiper en climatiseurs. » Une décision de bon sens mais, comme « le choix s’est considérablement élargi ses dernières années, voici quelques conseils ». Pour vous préserver du réchauffement climatique. Tout d’abord, prenez garde à ne pas acheter « les produits les moins chers, ventilateurs et colonnes, ils ne font que brasser l’air chaud ». Escroquerie. « Pour plus de 60 euros, les rafraîchisseurs d’air, efficaces seulement sur une petite surface. » C’est nul. En plus, il faut « mettre des pains de glace dans le bac ». Lesquels pains de glace nécessitent l’usage d’un congélateur, ce n’est ni économique ni écologique.
La solution, c’est le climatiseur, certes « plus contraignant, car il faut évacuer l’air chaud via cette gaine par une fenêtre entrouverte ou un trou dans le mur ». Et ainsi contribuer à l’effet d’îlot de chaleur à l’extérieur de son logement. Peu importe, puisque « c’est le seul appareil à vraiment faire chuter la température ». Un vendeur fait l’article : « Sur une pièce de 30 mètres carrés, on peut gagner 5 à 8 degrés assez facilement. » Génial, c’est ce qu’il me faut.
En plateau, Anne-Claire Coudray interroge une journaliste : « Est-ce que ça vaut le coup de s’équiper en climatiseur ? — Oui, si vous êtes enceinte, si vous avez des enfants en bas âge ou si vous avez plus de 65 ans. » Ou si vous avez chaud. « À quoi faut-il faire attention quand on achète un appareil ? — Il faut faire attention au bruit et puis à la consommation d’énergie », répond l’experte, mettant en garde contre une hausse de sa facture d’électricité. Électricité dont on ne saurait manquer puisque les centrales nucléaires sont là pour la fournir. Comment ça, elles sont dépendantes de la ressource en eau ? Pas de problème : la semaine prochaine, TF1 ne manquera pas de diffuser un reportage sur ces sourciers qui ont trouvé suffisamment d’eau pour refroidir les réacteurs. Ou, au pire, sur ces kayakistes ébouillantés après avoir chaviré dans la Loire en bikini…
Ouf, ça y est, maintenant que j’ai fini de rédiger ce premier article après mon retour de vacances, je vais enfin pouvoir faire le tri de tous les mails reçus depuis trois semaines… Sacré boulot… Quand soudain, daté du 21 juillet à 15h16 :
« Le groupe TF1 affirme ses engagements envers la transition écologique à travers un contrat climat »
Désolé, je retire tout ce que j’ai écrit. J’ignorais que je regardais une chaîne « écoresponsable » signataire d’un « contrat climat ».
Samuel Gontier ; télérama