C’est ce qui devrait se passer en Iran … si on le veut !
« Nous sommes les gens du Moyen Orient. Certains d’entre nous sont tués en guerre, d’autres en prison, d’autres encore sur la route, ou en mer. Même les montagnes les plus hautes prennent leur revanche sur nous. Car nous sommes nés pour mourir. » Voici le dernier post de Kumaj Daroftadeh, 16 ans, sur son compte insta. Il a été abattu par les forces de l’ordre du régime.
Comment décrire ce que je ressens, lorsqu’un l’hôte du groupe twitter (l’un de ceux que je suis depuis un mois pour essayer de mieux comprendre et aider la révolution iranienne) décrit l’effet papillon aux autres. Avant-hier soir, alors que tout le monde paniquait à cause des attaques en cours sur plusieurs campus universitaires en Iran, à Mashad, à Téhéran, et à Ardebil entre autres, il dit d’une voix calme : je voudrais que l’on fasse une pause de 15 mn. Allez boire un verre d’eau, respirez à fond, puis revenez reposés et nous lancerons une tempête twitter pour partager le prochain appel à manifester en Iran. Et ce fut fait. Nous étions 200 au début, puis au bout de 20 mn, nous étions presque 800 personnes. Des iraniens éparpillés partout dans le monde, dont un certain nombre aussi à l’intérieur du pays, à relayer les prochains appels à manifester dans différentes villes d’Iran, pour le jeudi 3 novembre. Micros fermés, en silence, nous avons suivi ses consignes scrupuleusement comme de simples soldats, pour participer à l’effet papillon. Et en un quart d’heure les appels, likés, cités et retwittés ont couvert la timeline.
Le 3 novembre, ce sera la commémoration du 40e jour après la mort de Hadis Najafi, 23 ans, tuée par balle après avoir ramassé ses cheveux dans un geste désormais immortalisé, avant de faire face au bassidjis. Mais ce sera aussi le 40e de Mahsa Mougouï, autre jeune femme tuée au Lauristan.
Les commémorations et les enterrements s’enchaînent, tant la répression est brutale. Mercredi, dernier c’était le 40e jour de Mahsa Amini.
Avant-hier, l’enterrement de Mehrshad Shahidi, pizzaiolo de 19 ans qui rêvait d’être chef cuisto, tué par les coups de bâton reçus sur la tête à Arak.
Hier, c’était Kumaj Daroftadeh, jeune kurde, 16 ans, abattu par balle. Ou encore Parmis Hamnava, 14 ans, dont la tête explosa sous les coups de bâton car elle avait arraché la photo de Khomeini de son livre d’école. Ou encore cette fillette et ses mains pleines de terre, sur la tombe de sa mère à Mahabad.
Aujourd’hui c’est le 40eme jour de la mort de Sarina Esmaïlzadeh qui adorait chanter mais a perdu la vie à 16 ans, tuée en manif.
Hier encore, Toomaj Salehi, rappeur contestataire fut enlevé et ses proches craignent pour sa vie.
Et Prof. Dariush Farhoud, 85 ans, vétéran de la recherche génétique en Iran, fut enlevé de chez lui.
Ce matin, première peine de mort prononcé à l’encontre de Mohammad Ghobadloo, arrêté pendant une manif.
Hier matin, un des leaders de terrain iranien a confirmé l’arrestation de deux des partisans sur twitter et nous a demandé de signaler leur compte twitter massivement, afin que ce soit bloqué, avant que les forces de sécurité y accèdent, ce qu’ils font systématiquement dès qu’un partisan tombe entre leurs mains. Et ce fut fait, en espérant que les comptes soient bloqués à temps.
Cela me rappelle les codes de sûreté qu’on mettait en place dans les années 80, lorsque je militais au lycée. Quand quelqu’un du réseau tombait, la cachette était déclarée « brûlée » au bout de 24h et il fallait ne plus y aller. Dans mon cas, ça n’avait pas été respecté et je fus arrêtée par les gardiens de la révolution, ainsi que la jeune femme que je cachais chez moi. Pour moi, ce fut presque un an de prison, mais Sh. que je cachais chez moi et qui était hautement recherchée, fut exécutée à l’âge de 19 ans. Quarante ans sont passé et nous vivons encore des exactions similaires et une répression aussi féroce que systématique par le régime iranien.
Cette fois, les jeunes sont informés et motivés. Une réaction en chaîne opère en Iran et la révolte ne s’arrête plus malgré toutes les ruses que le régime iranien déploie.
Après les raids d’avant-hier sur plusieurs campus universitaires, d’autres campus se sont levés pour protester, à Shahroud, à Tabriz, l’université Alzahra à Téhéran et d’autres encore. Pour chaque jeune femme ou homme qui tombe, pour chaque enfant tué, dix autres se lèvent en Iran et des centaines de personnes se mobilisent à l’étranger. La variété de l’âge des victimes et l’étendue des régions qui se sont levées, hommes et femmes réunis, devrait nous faire comprendre, si ce n’était pas encore le cas, que c’est tout un pays qui se bat pour la liberté, mais aussi pour sa survie.
Mais nous avons besoin de plus de monde encore à nos côtés, de plus de mains tendues vers l’Iran, de plus de foi, et plus encore de conviction partagée, pour pouvoir cette fois provoquer « l’effet papillon ».
Sepideh Farsi, cinéaste ; sur son blog de mediapart