Un contre-pouvoir citoyen
La loi dite « Sécurité globale » a tenté de créer une infraction d’interdiction de diffuser des images de policiers dans l’exercice de leur mission. Pourtant, filmer lors d’une intervention participe à l’exercice de son droit citoyen à pouvoir « demander des comptes à tout agent public ». Petit point de droit sur les règles pour filmer les forces de l’ordre en opération et pour la diffusion des images.
POINT DROIT
La loi dite « Sécurité globale » a tenté de créer une infraction d’interdiction de diffuser des images de policiers dans l’exercice de leur mission, de façon malveillante : cette dernière condition aurait certes rendu difficile le prononcé d’une condamnation, mais elle aurait eu pour effet d’offrir un fondement textuel aux forces de l’ordre pour interpeler toute personne filmant un policier, sous prétexte de diffusion possible en simultané. La réécriture par le Sénat de cet article 24 ne changeait pas la donne et fort heureusement, le Conseil constitutionnel a censuré ce texte.
La vidéo offre les moyens d’exercer un contrôle citoyen de l’action des forces de l’ordre, mettant ainsi en acte le principe de redevabilité de toute la fonction publique énoncé dans l’article 15 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 :
« La Société a le droit de demander compte à tout Agent public de son administration ».
La loi du 22 janvier 2022 a ouvert la possibilité pour les forces de l’ordre de filmer notamment les manifestants, par drone, hélicoptère, caméra embarquée sur les véhicules, ou caméra piéton…
Dans ce contexte, il doit être rappelé le droit général des citoyen·ne·s de filmer ou de photographier les agent·e·s de police et de gendarmerie dans l’exercice de leurs fonctions. Ce droit relève de la liberté d’expression – qui comprend la liberté d’informer – garantie notamment par l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’Homme et l’article 11 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789.
Il est explicitement rappelé dans la circulaire du ministère de l’Intérieur datée du 23 décembre 2008 : « Les policiers ne bénéficient pas de protection particulière en matière de droit à l’image […] La liberté de l’information, qu’elle soit le fait de la presse ou d’un simple particulier, prime le droit au respect de l’image ou de la vie privée dès lors que cette liberté n’est pas dévoyée par une atteinte à la dignité de la personne ou au secret de l’enquête ou de l’instruction ».
Le Schéma national du maintien de l’ordre émanant du ministre de l’intérieur a également rappelé que les forces de l’ordre « ne peuvent…pas s’opposer à la captation d’images ou de sons lors des opérations dans des lieux publics, à l’exception des personnels affectés dans des services soumis légalement à l’anonymat »
Le droit de filmer ou de photographier les forces de l’ordre vaut pour toutes les interventions de police ne relevant pas de l’anti-terrorisme, du contre-espionnage ou de missions d’intervention spécialisées et limitativement énumérées.
Aux termes de la circulaire du 23 décembre 2008, « il est exclu d’interpeller […] la personne effectuant l’enregistrement, qu’elle appartienne à la presse ou non, ainsi que de lui retirer son matériel ou de détruire l’enregistrement ou son support ».
- Quels sont les risques encourus si je dispose d’images montrant des abus et des violences exercés par les forces de l’ordre lors d’un contrôle ?
(voir le résumé à la fin)
Il convient de distinguer ici les règles régissant le droit d’enregistrement et les règles régissant le droit de diffusion. La diffusion d’images est en effet soumise à des exigences susceptibles de limiter la possibilité, pour les particuliers, de publier des enregistrements.
C’est le cas notamment des situations où la prise d’images concerne aussi une personne en interaction avec les forces de l’ordre et où elle serait susceptible d’attenter à leur dignité (ex : diffuser une vidéo où une personne entravée par des menottes serait clairement reconnaissable). C’est le cas également des situations susceptibles de porter atteinte au secret de l’enquête.
Ces cas de figure sont recensés dans la circulaire du 23 décembre 2008, qui signale par ailleurs que les policiers et policières dont l’image est enregistrée peuvent « indiquer » à la personne qui les filme ou les photographie “l’utilité de rendre, au moyen de procédés techniques de type « mosaïque » (« floutage »), leur visage non reconnaissable avant diffusion”. Notons cependant qu’aucune obligation légale n’oblige à procéder au floutage des agent·e·s filmé·e·s ou photographié·e·s.
Attention si vous filmez ou si vous diffusez des images de violences, notamment à l’encontre de policiers et policières : l’article 222-33-3 du Code pénal présume que la personne qui enregistre des images de violences envers une autre personne se rend par là-même complice de l’infraction commise, sauf si la personne exerce une profession ayant pour objet d’informer le public ou si l’enregistrement est réalisé pour servir de preuve en justice.
Si vous diffusez de telles images, que ce soit les vôtres ou celles d’un tiers (sauf les exceptions ci-dessus), il s’agit d’une infraction autonome, punie de 5 ans d’emprisonnement et 75 000 € d’amende (art. 222-33-3 CP), pour laquelle vous risquez des poursuites.
Par ailleurs, la loi du 24 août 2021 (dite « loi séparatisme ») a créé un nouveau délit :
« Le fait de révéler, de diffuser ou de transmettre, par quelque moyen que ce soit, des informations relatives à la vie privée, familiale ou professionnelle d’une personne permettant de l’identifier ou de la localiser aux fins de l’exposer ou d’exposer les membres de sa famille à un risque direct d’atteinte à la personne ou aux biens que l’auteur ne pouvait ignorer est puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende.
Lorsque les faits sont commis au préjudice d’une personne dépositaire de l’autorité publique, chargée d’une mission de service public ou titulaire d’un mandat électif public ou d’un journaliste, au sens du deuxième alinéa de l’article 2 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, les peines sont portées à cinq ans d’emprisonnement et à 75 000 euros d’amende (…)
Lorsque les faits sont commis par voie de presse écrite ou audiovisuelle ou de communication au public en ligne, les dispositions particulières des lois qui régissent ces matières sont applicables en ce qui concerne la détermination des personnes responsables ».
Ce texte ne permet pas d’interdire en soi de diffuser la photographie ou la vidéo d’un.e membre des forces de l’ordre dans l’exercice de ses fonctions, puisqu’il doit être recherché si le but visé lors de la diffusion est d’exposer cette personne à un risque direct d’atteinte à son intégrité physique ou à ses biens.
Enfin, depuis la loi Sécurité globale, il est interdit de constituer un fichier concernant les noms ou les photographies de membres des forces de l’ordre.
Hormis ces cas particuliers, les citoyen·ne·s ont donc le droit de diffuser et de publier des enregistrements sans que cette initiative ne les expose à des poursuites.
L’Observatoire fait plus généralement valoir qu’il est toujours admis qu’un enregistrement audio ou vidéo soit transmis à la justice. L’enregistrement audio et vidéo des contrôles constitue ainsi un mode de preuve utile en cas d’enquête sur d’éventuels abus des forces de l’ordre, conformément à l’article 427 alinéa 1er du Code de procédure pénale.
À ce titre, le Défenseur des droits affirme que « l’existence d’enregistrements vidéo est un élément essentiel pour examiner le bien-fondé d’une allégation de manquement, à charge ou à décharge. »
En outre, la circulaire de 2008 affirme que « soumis à des règles de déontologies strictes, un fonctionnaire de police doit s’y conformer dans chacune de ses missions et ne doit pas craindre l’enregistrement d’images ou de sons ».
Pour télécharger le document :
http://site.ldh-france.org/paris/observatoires-pratiques-policieres-de-ldh/
Guide des manifestant.es :
https://site.ldh-france.org/paris/nos-outils/guide-du-manifestant/
En résumé :
Le principe : l’enregistrement audio et vidéo des forces de l’ordre, dans l’exercice de leurs fonctions, est un droit qui relève de la liberté d’expression (liberté de recevoir et de communiquer des informations) pouvant être exercé par tout·e citoyen·ne.
Il est interdit aux forces de l’ordre de s’opposer à l’exercice de ce droit : elles ne peuvent ni procéder à une interpellation pour cette raison, ni retirer le matériel d’enregistrement ou le détruire.
La diffusion des enregistrements obéit à des règles spécifiques qu’il convient de bien considérer avant toute démarche de publication. La transmission d’un enregistrement vidéo ou audio à la justice est en revanche toujours admise.
Les exceptions
l À l’enregistrement :
Lorsque certains services de police interviennent : les services d’intervention, de lutte anti-terroriste et de contre-espionnage.
Lorsque cela porte atteinte au droit à la vie privée des agent·e·s des forces de l’ordre : c’est le cas de l’enregistrement de paroles prononcées à titre privé ou confidentiel ou de la captation d’images d’une personne se trouvant dans un lieu privé.
Pour préserver le secret de l’enquête et de l’instruction, ou des traces et indices.
Pour des raisons de sécurité des individus se trouvant à proximité.
2 À la diffusion :
Lorsque la dignité des personnes est en jeu : celle de la victime d’une infraction ou celle de la personne mise en cause ;
Si le but visé lors de la diffusion est d’exposer cette personne à un risque direct d’atteinte à son intégrité physique ou à ses biens.
NB : nous avons malheureusement pu constater ces dernières années se développer de plus en plus de réticence des forces de police à se laisser filmer lors de leurs interventions – particulièrement lorsque celles-ci sont violentes – malgré les règles légales ci-dessus. Il a pu arriver que cela entraîne des contrôles de police (pourtant légalement injustifiés) voire davantage de violence de la part des forces de l’ordre ; soyez donc vigilant.e.s !
Blog des Observatoires des libertés et des pratiques policières sur mediapart