Les méthodes d’Israël

Comment Israël renforce son contrôle sur la population palestinienne via la reconnaissance faciale

Les autorités israéliennes se sont dotées de nouveaux outils de reconnaissance faciale pour restreindre la liberté de mouvement des Palestiniens et Palestiniennes : interdiction d’accès à leur propre quartier, effet dissuasif pour exercer leur droit de manifester, menaces d’arrestations arbitraires… Enquête sur l’utilisation de technologies de reconnaissance faciale par les autorités israéliennes à Hébron et Jérusalem-Est.

Notre rapport « Apartheid automatisé » révèle l’existence d’un système de reconnaissance faciale jamais signalé auparavant : Red Wolf (« Le loup rouge ») est le nouvel outil utilisé par les autorités israéliennes à Hébron pour surveiller et contrôler la population palestinienne. Ce système s’appuie sur des bases de données composées exclusivement d’informations sur les Palestiniennes et Palestiniens. Nous prouvons également que la population palestinienne de Jérusalem-Est est confrontée à d’autres systèmes de reconnaissance faciale.

L’utilisation de la reconnaissance faciale renforce le contrôle du gouvernement israélien sur les Palestiniennes et Palestiniens et contribue à maintenir le système d’apartheid.

Notre rapport « Apartheid automatisé » montre comment cette surveillance s’inscrit dans une tentative délibérée des autorités israéliennes de créer un environnement hostile et coercitif pour la population palestinienne. L’un des objectifs : réduire au maximum leur présence dans des villes particulièrement stratégiques et sensibles, Hébron et Jérusalem-Est étant les seules villes des territoires palestiniens occupés ayant des colonies israéliennes implantées à l’intérieur de leur périmètre.

HEBRON : SOUS OCCUPATION 

Si vous êtes Palestinienne ou Palestinien et que vous vous trouvez dans le centre-ville d’Hébron, un soldat israélien peut, à l’abord de checks points, vous refuser l’accès à votre propre quartier.

La population palestinienne qui habite dans cette ville dépend en effet de checkpoints contrôlés par l’armée israélienne pour accéder à de simples biens et services, au travail, à l’éducation, à la vie de famille ou aux soins de santé. C’est à ces points de contrôle que des Palestiniennes et Palestiniens ont été confrontés à Red Wolf qui scanne leurs visages, les ajoute à de vastes bases de données de surveillance sans leur consentement et décide de leur liberté de circulation en fonction des résultats présentés.

Les soldats israéliens peuvent simplement vous dire que votre nom n’est pas dans la base de données, et alors, vous n’êtes pas autorisé à retourner dans votre maison »

Eyad, un habitant du quartier de Tel Rumeida, situé près d’un check point

Quelle est la situation de la population palestinienne habitant à Hébron ? La ville d’Hébron est divisée en deux zones : H1 (80 % de la ville) administrée par les autorités palestiniennes et H2, la vieille ville d’Hébron, contrôlée par les autorités israéliennes. Les Palestiniens et Palestiniennes qui résident à H2, sont soumis à des restrictions draconiennes en matière de circulation. Dans la zone H2,  les 33 000 Palestiniens et Palestiniennes sont limités dans leurs déplacements, alors que les 800 colons israéliens, protégés par un millier de soldats, sont illégalement installés dans plusieurs colonies enclavées.

Le système utilise donc les données stockées pour déterminer si une Palestinienne ou un Palestinien peut ou non passer un point de contrôle. Si aucune occurrence n’existe pour une personne, le passage lui est refusé. Si la base de données indique que la personne dont le visage est scanné est recherchée, Red Wolf peut également lui refuser l’entrée au point de contrôle.

À Hébron, dans la zone H2, la pression exercée par les autorités israéliennes sur la population palestinienne est déjà très marquée : les rues sont truffées de caméras de surveillance installées sur les façades des bâtiments, les lampadaires, les toits, etc. Pour la population palestinienne, cette surveillance omniprésente exacerbe leur perception que certaines zones de Hébron leur sont interdites, même celles qui se trouvent à quelques mètres de chez eux.

JERUSALEM-EST : SURVEILLANCE OMNIPRESENTE

L’implantation du système israélien de surveillance et de reconnaissance faciale ne se limite pas qu’aux checkpoints. À Jérusalem-Est, un réseau de milliers de caméras de vidéosurveillance est déployé dans la vieille ville. Depuis 2017, les autorités israéliennes modernisent ce système afin d’améliorer ses capacités de reconnaissance faciale et de se doter de pouvoirs de surveillance sans précédent.  

Le réseau de caméras de vidéosurveillance, en constante augmentation, soutient un vaste système de reconnaissance faciale connu sous le nom de Mabat 2000. Il permet aux autorités israéliennes d’identifier les manifestants et de garder les Palestiniennes et Palestiniens sous surveillance constante, même lorsqu’ils vaquent à leurs activités quotidiennes et à l’intérieur même de leur habitation car des caméras sont parfois pointées sur leurs fenêtres.  

Je suis surveillée tout le temps… chaque fois que je vois une caméra, je suis anxieuse. C’est comme si on était toujours traité comme une cible .

Neda, une habitante de Jérusalem-Est

De nouveaux outils de surveillance des autorités israéliennes viennent cibler des sites d’importance culturelle et politique, tels que la porte de Damas, une des entrées de la vieille ville du côté est, qui est depuis longtemps un lieu de rencontre et de protestation pour les Palestiniens et Palestiniennes. 

Nous avons cartographié les caméras de vidéosurveillance sur une zone de 10 kilomètres carrés dans Jérusalem-Est. Dans l’un de ses quartiers, à Sheikh Jarrah, nous avons constaté la présence de d’une ou deux caméras tous les cinq mètres. Ce nombre a considérablement augmenté à la suite des manifestations de 2021, déclenchées après l’expulsion forcée de familles palestiniennes pour faire place à l’installation de colons israéliens.  

Le vaste développement d’outils de surveillance dans Jérusalem-Est, ville annexée illégalement, consolide le contrôle du gouvernement israélien sur les Palestiniens et les Palestiniennes. Il permet notamment de faire avancer l’objectif stratégique de déploiement de colonies, contraire au droit international. La surveillance a un effet dissuasif sur les personnes qui souhaiteraient manifester contre leur expansion. De fait, les autorités israéliennes ont installé des infrastructures de surveillance supplémentaires dans les secteurs proches des colonies.

SURVEILLER LES PALESTINIENS ET PALESTINIENNES : UN JEU ENTRE SOLDATS ?

Récompense pour la ou le soldat·e qui scannera le plus de visages de la population palestinienne : on pourrait croire à un scénario de la série “Black Mirror” mais il s’agit en fait d’une méthode de l’armée israélienne. Sur la base des témoignages de militaires israéliens, recueillis par l’organisation israélienne Breaking the Silence, notre rapport explique comment la surveillance des Palestiniennes et Palestiniens est devenue un jeu pour certains soldats. 

Un commandant israélien basé à Hébron a déclaré que ses soldats avaient pour mission d’entraîner et d’optimiser l’algorithme de reconnaissance faciale de Red Wolf afin qu’il puisse reconnaître les visages sans intervention humaine.  

En 2020, deux membres des forces armées basés à Hébron ont déclaré que l’application Blue Wolf générait un classement basé sur le nombre de Palestiniennes et Palestiniens enregistrés. Sur cette base, les commandants israéliens distribuent des prix aux bataillons qui ont obtenu le meilleur score. Par cette méthode, les militaires israéliens sont incités à maintenir la population palestinienne sous surveillance constante.  

En plus de dénoncer les dangers de la reconnaissance faciale sur les droits de la population palestinienne, notre rapport « Apartheid automatisé » montre que l’utilisation de cette technologie par les autorités israéliennes renforce considérablement le système d’oppression et de domination exercé contre le peuple palestinien : cette surveillance permet de restreindre le droit de circuler librement des Palestiniennes et Palestiniens, porte atteinte au droit à la vie privée, à la liberté d’expression et de manifestation, permet la poursuite de l’annexion de Jérusalem-Est, de la colonisation de la Cisjordanie occupée et contribue ainsi à maintenir le système israélien d’apartheid.

Pour en savoir beaucoup plus :

https://www.amnesty.fr/actualites/comment-israel-renforce-son-controle-sur-les-pa

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Israël est un envahisseur colonial

https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/202

Extraits

Féminisme, jeunesse et résistance paysanne en Palestine sont les thèmes abordés dans cet entretien avec la militante de l’Union des comités de travail agricole

Yasmeen El-Hasan est directrice de la Mobilisation de défense et Communauté de l’Union des comités de travail agricole [Union of Agricultural Work Committees – UACC]. Elle a grandi aux États-Unis et est récemment retournée en Palestine – « notre maison est toujours notre maison, et je voulais rentrer chez moi », dit-elle.

Dans une interview accordée à Capire, Yasmeen a fait part de ses préoccupations concernant la pratique impérialiste de criminalisation des luttes et a également parlé de ses réflexions sur les résistances quotidiennes des femmes et des jeunes. L’UAWC est l’une des six organisations politiques attaquées et criminalisées par Israël en 2021 en tant que terroristes. Cette offensive exigeait et exige encore la solidarité des mouvements du monde entier. Pour Yasmeen, « ce qui est le plus gratifiant, c’est de pouvoir travailler à la protection de notre terre et de notre communauté. »

Yasmeen, pourriez-vous nous dire comment s’est déroulée la classification terroriste contre l’UAWC ? Quelle est la situation aujourd’hui ?
Pour contextualiser, Israël a légalement classé l’UAWC et d’autres organisations de défense des droits humains en Palestine comme des organisations terroristes en vertu du droit israélien. Israël est une colonie de peuplement. L’objectif principal du colonialisme de peuplement est d’éliminer ou d’expulser la population autochtone et de la remplacer par une population de colons. Pour cela, ils ont besoin de terres. Le colonialisme de peuplement repose donc sur le vol, c’est-à-dire sur la dépossession des terres des peuples autochtones – en l’occurrence, nous, les Palestiniens. Toute organisation, personne ou mouvement qui impose une résistance à cet égard ou tente de lutter contre l’oppression du colonialisme ou la dépossession de leurs droits, de leurs terres et de leurs ressources constitue une menace directe pour l’entité colonisatrice. Ainsi, les organisations de la société civile qui travaillent depuis des décennies pour défendre les droits des Palestiniens et protéger nos libertés sont, pour Israël, une menace pour son existence.

En tant qu’organisations palestiniennes, nous travaillons directement à la défense et à l’organisation de nos libertés, ce qui signifie s’opposer à l’occupation israélienne. C’est pourquoi, pour l’occupation, nous sommes un obstacle sur son chemin. En réponse, ils nous ont déclaré organisations terroristes. Le 19 octobre 2021, Israël a désigné six organisations de la société civile palestinienne comme organisations terroristes : l’UAWC, l’Organisation Al-Haq de défense des droits humains, le Centre Bisan de recherche et de développement, l’Association Addameer de soutien aux prisonniers et de défense des droits humains, le comité palestinien de l’organisation internationale Défense des enfants [Defense for Children] et l’Union des comités de femmes palestiniennes [Union of Palestinian Women’s Committees]. Ce sont toutes d’excellentes organisations de la société civile palestinienne qui font un travail incroyable pour la communauté. Elles ont toutes une assise populaire et une légitimité internationale. Ensuite, une intense campagne de solidarité internationale a été lancée contre cette classification. De nombreuses instances et organisations internationales, personnalités politiques et mouvements populaires se sont exprimés pour condamner la classification. Ces manifestations sont également venues des Nations Unies, de l’Union européenne, de l’Observatoire des droits humains [Human Rights Watch] et de Amnisty International. L’Union européenne a appelé les gouvernements à reprendre le financement des six organisations classées comme terroristes, et en juillet 2022, neuf pays européens ont publié une déclaration commune affirmant que cette classification était sans fondement et qu’ils continueraient à travailler en partenariat avec ces organisations.

Selon Israël, la classification est basée sur les flux financiers. Cette affirmation a été réfutée à plusieurs reprises par des audits rigoureux menés à l’UAWC, notamment par les gouvernements australien et néerlandais. Pourtant, alors que toutes les enquêtes ont prouvé que la classification était fausse, non corroborée, sans fondement et sans aucune base factuelle, elle nous a affectés et sape les financements que nous recevons. Si notre classification en tant que terroristes et la criminalisation de la société civile palestinienne constituent un stratagème évident, une manœuvre politique performative et manifestement fausse, elles s’inscrivent dans une tactique de la peur. Malheureusement, pour certaines organisations, dans le contexte international, cela a fonctionné. Par conséquent, certains fonds ont été interrompus alors que des enquêtes avaient démontré qu’ils n’étaient pas solides.

Tout cela a rendu notre situation très difficile. Mais notre communauté, nos partenariats et nos alliances de solidarité dans le monde entier, qui nous ont soutenus au milieu de tout cela, nous renforcent et nous motivent. Nous savons que ce que nous faisons est une lutte pour la liberté et pour la terre. Bien sûr, la situation est toujours difficile. Nous sommes toujours, légalement, selon le gouvernement israélien, des terroristes. L’armée israélienne a envahi le siège des six organisations à Ramallah en août 2022.  À l’UAWC, ils ont détruit et volé nos appareils électroniques, saccagé tout notre QG, scellé les portes et laissé un mandat militaire stipulant que nous ne sommes pas autorisés à poursuivre notre travail. Cela a également suscité une réaction internationale significative en faveur de la société civile palestinienne.

Juste pour mieux contextualiser, l’UAWC travaille pour soutenir, défendre et protéger les petits agriculteurs palestiniens et leurs droits à la terre. Nous le faisons depuis 1986, en promouvant la stabilité des agriculteurs et leur accès et souveraineté sur les ressources naturelles, compte tenu de la situation socio-économique de vulnérabilité qui résulte de l’occupation israélienne et de l’exploitation de la terre et de l’eau palestiniennes. Il est important de noter que notre travail avec la terre n’est pas abstrait, il est très concret. Les communautés palestiniennes sont enracinées dans la terre. Nous sommes intimement liés à notre écosystème. Je ne dis pas cela comme une métaphore ou pour être poétique, mais littéralement : les communautés palestiniennes sont physiquement enracinées dans la terre. Lorsque notre terre est attaquée, cette attaque ne touche pas seulement l’économie, par exemple, ou le PIB. Ce n’est pas le plus gros problème. Ces attaques portent atteinte à notre existence et à nos moyens de subsistance.

L’UAWC travaille pour protéger cela. Notre travail comprend la récupération et la régénération des terres, l’installation de tuyaux d’irrigation, la construction de routes agricoles, la création de projets générateurs de revenus pour les jeunes et les femmes, la création d’une banque de semences pour protéger les variétés de semences autochtones et faciliter leur distribution aux petits producteurs locaux, ainsi que l’échange et la transmission de connaissance, parmi de nombreuses autres actions. Mais ce genre de travail, qui est un travail concret avec la terre, effraie l’envahisseur. Nous continuons notre travail. C’est un travail difficile, et notre capacité a certainement été affectée, mais malgré cela, notre engagement sera toujours envers la communauté. Cela signifie que, aussi difficile que cela puisse être, nous continuerons à travailler pour protéger et défendre les petits agriculteurs, les paysans et les communautés rurales.

Comment voyez-vous la réalité des femmes dans ces communautés ?
Les femmes sont le fondement de la société palestinienne. Les femmes sont au cœur de notre combat. Un dicton islamique [hadiths] très ancré dans notre culture, dit que le paradis s’étend sous les pieds de nos mères. Nos mères sont en première ligne, de manière visible ou non. En tant qu’organisation, nous soutenons les femmes autant que possible. L’UAWC soutient plusieurs coopératives de femmes ; nous avons également des programmes qui soutiennent la production artisanale des femmes, le produit de leurs cultures, leurs ressources, tout ce qu’elles cultivent sur leurs terres.

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Palestine : il est urgent de s’engager contre la colonisation et l’apartheid

https://france.attac.org/actus-et-medias/salle-de-presse/article/palestine-il-est-urgent-de-s