Quand la fable tourne au fiasco
Plusieurs semaines de pluies en région parisienne en juillet-août 2023, à un an des Jeux olympiques (JO) de 2024, ont fait éclater au grand jour l’imposture portée depuis bientôt dix ans à bout de bras par tous les pouvoirs publics concernés, de la mairie de Paris jusqu’à l’Élysée. Par temps de pluie, et même par temps sec, la pollution de la Seine, et les risques sanitaires afférents, ne permettent pas de s’y baigner, comme l’avait décidé un arrêté préfectoral de 1923, toujours en vigueur. Mais les dérives du sport business et l’aveuglement volontaire de politiques en quête d’une popularité factice ont ouvert la voie à un mensonge collectif qui menace de tourner au fiasco, et auquel se sont ralliés toutes celles et ceux qui entendaient en tirer profit. ** **
Fin juillet, la préfecture de la région Île-de-France, sur la base des analyses bactériologiques des deux mois précédents, autorisait « en principe » les épreuves de natation en eau libre qui devaient se tenir les samedi 5 et dimanche 6 août entre le Pont Alexandre III et le Pont de l’Alma, en plein centre de Paris.
C’est une des épreuves de la Coupe du monde de natation en eau libre organisée sous l’égide de World Aquatics, la fédération internationale de natation, qui devait se dérouler dans la Seine, une compétition faisant figure de « test » pour les organisateurs des JO de Paris, une manière de roder l’épreuve olympique de l’année prochaine.
Les nageuses le samedi et les nageurs le dimanche devaient crawler 10 kilomètres, en réalisant plusieurs boucles d’1,6 km entre les deux célèbres ponts, avec la Tour Eiffel en arrière-plan. Une image iconique attendue par l’armée de communicants attachés à l’affaire.
La préfecture avait également autorisé les épreuves tests prévues entre les 17 et 20 août de trois disciplines olympiques devant se dérouler dans la Seine lors des JO de 2024 : la natation marathon, le triathlon et le para-triathlon.
Chronique d’un désastre annoncé
Las, le 3 août au soir la Fédération française de natation tirait la sonnette d’alarme. « Suite à de fortes pluies récentes à Paris, la qualité de l’eau de la Seine est actuellement en dessous des normes acceptables pour la sauvegarde de la santé des nageurs ».
Des taux de présence de la bactérie Escherichia Coli dépassant les limites venaient en effet d’être constatés. World Aquatics impose pour cette bactérie un taux inférieur à 1 000 UFC (unité formant colonie) pour 100 ml pour que la compétition puisse avoir lieu. Or, le dernier relevé, remontant à 24 heures, faisait état de 1 300 UFC pour 100 ml.
Conséquences, l’entraînement prévu le vendredi dans le fleuve était annulé, ainsi que l’épreuve de Coupe du monde de natation en eau libre prévue le week-end suivant…
« Nous avons fait 42 mesures entre le 6 juin et le 19 juillet. Et nous avons constaté une amélioration de la qualité de l’eau » précisait la préfecture de Paris. Mais « l’épisode exceptionnel » de la fin du mois de juillet a mis à mal ces résultats. « Entre le 20 juillet et le 2 août, il est tombé 104 mm d’eau sur Paris, indiquait-elle. Ce n’était pas arrivé depuis au moins vingt ans et c’est quatre fois plus que la moyenne de ces vingt dernières années. »
Le risque est pourtant connu de tous. Les athlètes s’étaient déjà plaints lors des jeux de Rio en 2016 et de Tokyo en 2021. Et c’est ce qui s’est à nouveau produit le dernier weekend de juillet cette année à l’occasion d’une compétition de triathlon organisée à Sunderland, au Royaume-Uni. Au moins 57 personnes ont souffert de diarrhées et vomissements après avoir nagé. Des analyses effectuées par l’Agence de l’environnement trois jours avant la compétition ont mis en évidence une présence de bactérie Escherichia coli 39 fois supérieure au taux habituel…
Du coup, l’armée de communicants de la mairie de Paris (300 personnes) et de toutes les autorités concernées se sont empressées d’expédier tous azimuts des messages pieusement repris par l’ensemble des médias. « Tout à été prévu, si la même chose se produisait l’an prochain, on décalerait les épreuves de quelques jours ».
Existe-t’il néanmoins un plan B ? « Non, le plan B c’est qu’on va nager dans la Seine, lançait le dimanche 6 Brigitte Légaré, responsable pour le Comité d’organisation des JO (COJO) des compétitions dans Paris Centre à l’AFP. Je suis confiante, je travaille avec les autorités depuis quatre ans sur le sujet ici à Paris et je vois l’évolution, on va y arriver. » Un vœu pieux et un aveu d’impuissance puisqu’on s’en remet à la clémence de la météo, en reconnaissant de facto qu’en cas de fortes pluies tout le barnum tombe à l’eau. Une évidence qui a été obstinément niée à grands coups de fariboles extravagantes depuis dix ans…
Nouvel épisode calamiteux les 19 et 20 août. Il s’agissait cette fois de la partie natation du « Test Event » de Triathlon, elle aussi programmée de longue date. L’épreuve de nage a été elle aussi annulée.
Selon un communiqué commun des autorités, « Des écarts et divergences entre les analyses fournies par le laboratoire et les analyseurs d’échantillons à haute fréquence ont été à nouveau constatés dans les relevés réalisés en vue de l’épreuve test de ce dimanche 20 août, n’offrant pas les garanties nécessaires à la bonne tenue de l’épreuve de nage ». « C’est un résultat un peu surprenant et nous ne comprenons pas trop ce qui s’est passé, s’étonnait déjà la veille Pierre Rabadan, adjoint à la maire de Paris en charge des sports et de la Seine. Les analyses en laboratoire sont incohérentes avec les relevés instantanés réalisés dans le fleuve ». Le même jour, Tony Estanguet, le grand mamamouchi des JO, assurait cependant garder « un bon niveau de confiance pour l’année prochaine »…
Baignade en Seine à Paris en 2024, mission impossible ?
En 1988, Jacques Chirac avait annoncé dans son programme électoral qu’il se baignerait dans la Seine parisienne en 1994, annonce renouvelée en mai 1990 alors qu’il était maire. Une promesse qu’il n’a pu tenir faute d’amélioration de la qualité de l’eau.
La Seine comme de nombreux fleuves et rivières a depuis toujours servi d’exutoire aux rejets de la ville (usines et ateliers, déversoirs d’orage…). Elle charrie aussi tous les rejets venant de l’amont (usine d’assainissement de Valenton, trop plein du centre de traitement de la plateforme de Roissy-Charles de Gaulle…) ainsi que les ruissellements d’origine agricole. La pollution de l’eau y est telle que la vie aquatique s’y est réduite de manière considérable : en 1970, seules quatre espèces de poissons à Paris y étaient identifiées. Cette situation s’est améliorée puisque les dernières évaluations montraient la présence d’une trentaine d’espèces en 2018, argument massue asséné depuis. Mais ces poissons sont immangeables, car farcis de métaux lourds…
Bien que l’on s’y soit baigné de tout temps, la mode s’est amplifiée à partir du milieu du XVIIe siècle — le niveau de l’eau y était plus bas et les quais maçonnés n’étaient pas continus comme aujourd’hui. Les baigneurs y ont d’abord barboté dans le plus simple appareil, puis, dès le début du XVIIIe siècle, avec des vêtements appropriés. Les bateaux de bains, ancêtres des bains douches terrestres, permettaient des bains de lavage à eau froide puis par la suite à eau chaude.
La pratique de la baignade en Seine parisienne a été interdite en 1923 mais s’est poursuivie de manière illicite jusqu’en 1950. Pendant la période 1939-1945, les baignades ont été nombreuses, l’eau y était plus propre car de nombreuses usines étaient à l’arrêt… Le mois d’août 1945 avait vu des foules de parisiens nager dans la Seine. Outre les bateaux de bains, il a existé une barge piscine Deligny disparue en 1993 où l’eau était seulement filtrée.
Pour ce qui concerne les deux épreuves aquatiques des JO 2024, triathlon et 10 km nage libre, l’engagement de la mairie de Paris date de 2015. Anne Hidalgo annonce tout à trac un matin à la radio qu’elle se battra pour les organiser dans la Seine au pied de la tour Eiffel si la qualité de l’eau s’est améliorée d’ici là. L’enjeu est de taille, mais qu’importe « l’intendance suivra »… Funeste légèreté comme la suite va le démontrer.
Autant on peut imaginer que des athlètes jeunes et en pleine forme physique ne soient pas trop soumis aux agressions de la pollution microbienne du fleuve (même si les règlements internationaux exigent une eau de très bonne qualité), autant on peut se poser la même question pour les bassins flottants destinés au grand public que veut aussi installer la mairie de Paris.
Cinq bassins flottants et aménagés sont ainsi prévus pour 2025 : deux dans le 16e arrondissement, l’un au niveau du bois de Boulogne, l’autre au niveau du Trocadéro, un bassin dans le 1er arrondissement, rive droite, entre le Pont Neuf et le Pont des Arts, un autre dans le 4e arrondissement, rive droite, entre le pont Notre Dame et le pont au Change, et le dernier dans le 12e arrondissement, rive droite, entre le pont de Bercy et la passerelle Simone de Beauvoir.
Une fiction savamment entretenue depuis des années qui ne cesse de tomber en lambeaux.
L’héritage empoisonné d’Haussmann et de l’ingénieur Belgrand
Pour mieux comprendre le piège infernal dans lequel sont enfermés les organisateurs des baignades olympiques, promues par la mairie de Paris comme un grigri magique, ce qui lui a en partie permis d’emporter les JO, après avoir « dédommagé » sa concurrente Los Angeles à hauteur de 500 000 dollars, il faut revenir au XIXe siècle. Quatre épidémies de choléra ont fait 80 000 morts, il faut assainir la ville. On va donc y construire des égouts, qui iront déverser des décennies durant les eaux usées de la capitale dans la plaine d’Achères, dans les Yvelines, via un gigantesque collecteur relié aux innombrables réseaux de collecte installés sous les rues de la capitale.
Or ce réseau, qui n’a cessé de s’étendre jusqu’en proche banlieue, recueille indifféremment depuis l’origine les eaux usées des égouts et les eaux de pluie qui ruissellent sur les toits et les chaussées.
Aujourd’hui, par temps sec, les eaux usées de 9 millions de Franciliens, gérées par le Syndicat interdépartemental de l’assainissement de l’agglomération parisienne (SIAAP), représentent un volume quotidien de 2 millions et demi de mètres cubes, qui sont ensuite traités par les cinq gigantesques stations d’épuration venues compléter depuis les années 1980 la station historique d’Achères construite en 1940.
Mais en cas d’épisode pluvieux, et à fortiori quand survient un violent orage, en l’espace de quelques heures, c’est un volume équivalent d’eaux de pluie, polluées par des hydrocarbures et des métaux lourds, qui s’engouffrent dans les bouches d’égout installées dans toutes les rues de l’agglomération parisienne.
Le réseau d’assainissement dit « unitaire » ne peut recevoir cet afflux supplémentaire, sauf à faire sauter les bouches d’égout et à inonder tout le centre de Paris…
La solution ? Les « déversoirs d’orage » (DO), 47 tuyaux branchés sur le réseau d’assainissement souterrain, implantés sur les rives de la Seine, à Paris de Nation à Suresnes, qui, en cas d’orage violent, rejettent directement dans le fleuve eaux usées et pluviales, non traitées. Une hérésie pour les défenseurs de l’environnement ? Incontournable, pourtant, car on ne peut restructurer les milliers de kilomètres de réseaux enfouis sous terre depuis le XIXe siècle, qui ont coûté des dizaines de milliards d’euros. Voilà pourquoi la fable des baignades en Seine est une menterie extravagante, comme on vient de le découvrir en ce mois de juillet pluvieux…
Quelle qualité de l’eau de la Seine à Paris ?
Les eaux du fleuve sont analysées de manière continue depuis le début du XXe siècle pour contrôler certains paramètres. Ceux permettant la mesure du risque de maladie immédiate lors d’une baignade sont principalement les paramètres microbiologiques, suivis grâce aux indicateurs fécaux que sont les E. coli et les entérocoques. Ces indicateurs sont depuis plus d’un siècle le témoin de la présence de matières fécales dans les eaux.
Des études épidémiologiques ont permis de faire la relation entre la concentration de ces indicateurs et la probabilité d’apparition d’une maladie lors d’une baignade. Études qui se sont traduites dans la réglementation européenne et qui permettent, grâce à une analyse statistique des résultats, de classer les zones de baignade selon leurs qualités. Les zones trop contaminées sont déclarées impropres à cette activité.
La présence de cyanobactéries à l’origine de pathologies neurologiques (Anabaena, Microcystis…), de phytoplancton toxique (Dinophysis, Alexandrium) sont également mesurées.
Cependant, ces critères légaux de la détection des micro-organismes semblent en l’état de nos connaissances actuelles très insuffisants car ne sont recherchées en utilisant des indicateurs bactériens que les bactéries d’origine intestinale, coliformes, entérocoques fécaux trop spécifiques. Et sont ignorés le suivi direct des Campylobacter, Helicobacter, Legionella et plus embêtants encore les virus entériques (Norovirus, Rotavirus, Astrovirus, Adenovirus, Reovirus), enterovirus (poliomyélite, méningite) et Hépatite A et E (infections hépatiques), les protozoaires zoonotiques, à l’origine de dysenterie et diarrhée (Giardia, Cryptosporidium, Cyclospora, etc.), et enfin les vers helminthes (Ascaris…).
Or, des travaux d’analyse sur ces micro-organismes, réalisés ces dernières années, ont montré que certains d’entre-eux étaient présents, notamment les virus entériques et les parasites Giardia.
Quel impact sur la santé ?
Les bactéries Escherichia Coli (E. coli) sont l’une des causes les plus connues d’intoxications alimentaires, souvent impossibles à traiter et parfois avec des conséquences mortelles. Il s’agit d’une grande famille de bactéries, dont beaucoup sont présentes dans le système digestif humain, qu’elles aident même à fonctionner.
Mais certaines variétés peuvent provoquer des intoxications. Celles-ci sont souvent alimentaires, généralement provoquées par l’ingestion d’aliments crus ou mal cuits. Pour cette raison, la présence d’E. coli est aussi surveillée par les autorités sanitaires dans les eaux — de mer ou douces — qui servent à la baignade. Il y a en effet un risque d’ingérer ces bactéries et de subir une intoxication de type alimentaire.
En matière d’intoxications alimentaires, E. coli est loin de provoquer autant de morts que d’autres bactéries telles les salmonelles ou la listeria. Reste qu’elle tue régulièrement : lors de la pire épidémie enregistrée en Europe, en 2011, plusieurs dizaines de personnes en sont mortes. Plus récemment, en 2022, les autorités françaises soupçonnent que deux décès d’enfants soient liés à la consommation de pizzas contaminées de la marque Buitoni.
Mais le risque peut aussi être une infection des voies urinaires par contact avec des eaux contaminées, les femmes étant nettement plus à risque. Les infections à E. Coli, qui peuvent dégénérer en « syndrome hémolytique et urémique » (SHU) avec notamment une insuffisance rénale, sont aussi particulièrement dangereuses pour les enfants et les personnes âgées. Elles sont aussi difficiles à traiter : contrairement à la salmonellose et la listériose, une intoxication alimentaire à E. Coli ne se soigne généralement pas avec des antibiotiques, même s’ils peuvent être utilisés en cas d’infection urinaire.
Si on a pu observer une amélioration de la qualité depuis la fin des années 1980, les analyses microbiologiques récentes montrent que des épisodes de concentration élevée des indicateurs fécaux ont encore régulièrement lieu, et encore plus après de fortes pluies.
De Paris Plages à Paris baignades
Pour en savoir plus … lire la suite !
Dans le cadre des JO 2024, Paris a donc proposé que des épreuves comme le triathlon ou les 10 km nage libre soient organisées dans la Seine parisienne. La ville a popularisé l’idée d’une baignade possible en 2025, tout en organisant chaque été des baignades encadrées dans le bassin de la Villette.
Or les scientifiques et spécialistes de la gestion de l’eau savent que les conditions d’une baignade telles que définies par la Directive européenne « Eau de baignade » ne seront pas atteintes en 2024 ni en 2025.
Depuis 1970, l’état sanitaire de la Seine s’est amélioré mais de grosses menaces perdurent, soit aléatoires — les orages violents qui débordent les usines d’assainissement en amont et le fonctionnement des déversoirs d’orage parisiens —, soit durables, liées aux milliers d’erreurs de branchements des eaux vannes (provenant des toilettes) sur les tuyaux des eaux de pluie et à la trop grande imperméabilisation de la capitale, dont 70 % des sols ne permettent pas à l’eau de s’infiltrer.
Les études entreprises par le SIAAP, l’Agence de l’eau Seine-Normandie, la ville de Paris et les départements de la petite couronne chiffraient les travaux urgents à réaliser à 1,5 milliard d’euros.
Le SIAAP a entrepris depuis les années 2000 d’importants travaux pour diminuer les déversements d’orages à Paris en créant dans le sous-sol parisien des tunnels (TIMA) pour capter une partie de ces eaux d’orage. Les trois grands réservoirs ont une capacité totale de 200 000 m3. Or, une pluie d’orage de 10 mm (pluie faible) déverse en quelques heures 600 000 m3 d’eau sur Paris (sans les deux bois) en tenant compte d’une imperméabilisation des sols de 70 %. Et il a fallu plus de 10 ans et 200 millions d’euros pour créer ces trois réservoirs à dater du milieu des années 1990. Sauf qu’ils s’ensablent à vitesse grand V, et ne servent donc quasiment à rien.
Pour rappel, le cumul des deux débits (Marne d’une part, et Seine-amont à Alfortville d’autre part) nous donne avec une grande exactitude la valeur du débit moyen de la Seine à l’entrée de Paris, qui se monte donc à 328 m3 par seconde, et ce pour un bassin versant de 43 500 km2.
Dernier épisode en date de la saga, la construction d’un quatrième tunnel-réservoir en lisière de la gare d’Austerlitz, censé stocker l’eau de pluie excédentaire en cas d’orage, est promue depuis un an comme un élément majeur du « plan baignade ». D’une capacité de 50 000 m3, il ne représente en fait qu’une part infime du volume d’eau que charrie le fleuve tous les jours. Cent millions d’euros dépensés en pure perte, et un chantier qui aura été endeuillé par la mort d’un ouvrier.
Le Plan pluie de Paris
Un plan conçu dans les années 2010 définit les zones où la pluie peut s’infiltrer et prévoit que les nouveaux projets urbains doivent comprendre des zones de pleine terre. Malheureusement, toute une série de facteurs s’y opposent. La présence d’anciennes carrières de gypse sous certaines zones, notamment tout le nord est de la capitale. Les gestionnaires de réseaux souterrains, RATP, SNCF, ENEDIS, Fibre optique, Gaz, Egouts, qui y sont opposés craignant de mettre en péril leurs installations. Les promoteurs immobiliers, qui ne veulent pas perdre un mètre carré à urbaniser. Un plan mort-né !
Anecdote significative : quand le Plan pluie fit l’objet d’une enquête publique préalable affichée dans chacune des 20 mairies d’arrondissement de la capitale, pas un seul parisien n’émit un avis ! Il fallut réitérer l’opération en douce en forçant la participation de contributeurs « professionnels de la profession »…
Parallèlement, l’État, les collectivités territoriales, l’Agence de l’eau Seine-Normandie, le SIAAP et le gestionnaire des ports parisiens HAROPA ont décidé en 2018 de créer une « task force », placée sous l’égide du préfet de région pour tenter d’améliorer la qualité de l’eau du fleuve.
La « Task Force » du préfet Cadot
Le 12 juillet 2019 l’Agence de l’eau Seine-Normandie adoptait une délibération actant la création de cinq groupes de pilotage (GT) qui s’engagent en novembre 2019 à rendre la Seine « baignable » en 2024.
Le GT1 « priorisation des rejets », piloté par le SIAAP visait à mettre en place un traitement bactériologique des eaux usées à la sortie des stations d’épuration.
Ces stations éliminent 99 % des bactéries indicatrices fécales ce qui est insuffisant tant la charge microbienne est importante. Le 1 % restant est encore très polluant. « Un litre d’eau rejetée dans le milieu pollue 10 mètres cubes [soit 10 000 litres] du cours d’eau au plan bactériologique », signalait en 2016 Jacques Olivier, alors directeur général du SIAAP.
En amont de Paris, le SIAAP pilote deux stations d’épuration : l’une sur la Marne, à Noisy-le-Grand, l’autre sur la Seine, à Valenton. La première (dite « Marne-aval ») était dotée d’une unité de désinfection par UV à sa mise en service, en 2009, mise en sommeil en 2013 pour limiter le coût de la facture électrique (150 000 € par an) en l’absence de baignade alentour. Resterait encore à équiper Valenton, pour une fourchette de coût grossièrement évaluée par le SIAAP entre 50 et 80 millions d’euros en 2016.
Mais le SIAAP a renoncé à cette technique à l’automne 2019 (contre la volonté de Paris) pour lui préférer un traitement chimique à « l’acide performique. »
Le chimiste finlandais Kemira commercialise en effet depuis 2013 le procédé DesinFix pour la désinfection des eaux usées. Solution qui nécessite la production in situ d’acide performique dit « Dex », un oxydant très puissant mais instable, qui élimine les bactéries par réaction radicalaire. Les deux précurseurs, à base de peroxyde d’hydrogène et d’acide formique, doivent être mis en contact directement dans la station d’épuration pour initier la réaction. Enregistrés par la directive Biocides, ces composés sont autorisés en désinfection des eaux usées par le ministère de l’environnement.
Le SIAAP a donc opté pour cette seconde option alors que la solution Kemira n’avait été implantée en France en vraie grandeur qu’à Biarritz, dans un cadre qui demeure largement expérimental, assorti d’un suivi de l’IFREMER. Depuis le syndicat multiplie les déclarations fracassantes (et multiplie les publications scientifiques dans le journal de l’Intenational water association (IWA) autour de sa solution miracle). Rappelons qu’il s’agit, pour un coût d’une centaine de millions d’euros, de désinfecter 600 000 m3 d’eaux usées par jour. On est loin du milliard et demi promis par les promoteurs des « baignades en Seine ».
Les mauvais branchements
Avec le GT2 « suppression des mauvais branchements », piloté par le Conseil départemental du Val de Marne, il s’agissait de créer les réseaux d’assainissement manquants et de résoudre les erreurs de branchements des immeubles dont les eaux usées se déversent dans le réseau d’eau pluviale, et réciproquement, pour aboutir ensuite dans la Seine et la Marne. Les études conduites depuis plusieurs années avaient conduit à estimer que ces mauvais branchements du Val-de-Marne, en amont de Paris, sont à l’origine de 80 % de la pollution bactériologique de la Seine dans Paris intra-muros.
Selon les estimations alors rendues publiques, ces mauvais branchements seraient au nombre de 50 000 à 100 000 pour le seul département du Val-de-Marne, et 300 000 pour la région. On en a au mieux réparés quelques centaines par an depuis une dizaine d’années, comme l’a établi il y a deux ans un remarquable documentaire de France 3 Île-de France pour lequel nous avions communiqué à ses auteurs les éléments en notre possession. Aucun instrument réglementaire ne permet de faire mieux. Sur ce seul poste, le budget des mises en conformité avait été évalué à près de 300 millions d’euros dont personne ne dispose aujourd’hui.
Du coup, dans le cadre de la seconde loi JO, le gouvernement a décidé que c’étaient les propriétaires des bâtiments qui allaient payer la note ! Environ 10 000 euros par tête de pipe. Là encore on cherche désespérément le milliard et demi d’euros de la bande à baignade…
Le GT3 « gestion des eaux pluviales », piloté par le Conseil départemental de Seine-Saint-Denis, avait lui pour objectif de maîtriser les rejets de temps de pluie des réseaux d’assainissement. Il s’agit principalement de réduire les apports d’eaux pluviales dans ces réseaux et d’améliorer leur gestion pour limiter les déversements d’un mélange d’eaux usées et d’eaux pluviales.
La ville de Paris, nous l’avons vu, n’a formellement adopté un « zonage pluvial » qu’en 2018… Il s’agit d’un ensemble de mesures destinées à réduire l’apport des eaux de pluie dans les réseaux. Mais Paris est la capitale la plus minéralisée (bétonnée) d’Europe. Il faudrait désimperméabiliser le sol, mais nous l’avons vu tout le monde s’y oppose : les services de la voirie, la RATP, les promoteurs… En l’état, l’espoir de gagner en capacité d’infiltration dans Paris intra-muros parait donc vain.
Feu sur les péniches
Le GT 4 « bateaux et établissements flottants », piloté par HAROPA-Ports de Paris, visait à traiter les sources locales de pollution, en supprimant les rejets d’eaux usées des bateaux logements.
Or les 200 bateaux logements présents dans Paris intra-muros ne représentent (eaux noires + eaux grises) que 2 à 3 % de la pollution bactériologique enregistrée dans la Seine à Paris. HAROPA voulait pourtant à toute force imposer la création de stations de raccordement au réseau d’assainissement sur les berges, pour un coût unitaire de 200 000 euros, ce qui imposerait en sus à chaque propriétaire des travaux d’aménagement intérieur pour un coût de 40 000 euros ! Alors que des solutions moins onéreuses existent (toilettes sèches, phyto-épuration…). Ces bateaux logements ont en fait servi de boucs émissaires faciles pour la ville de Paris et Haropa qui rêvent de s’en débarrasser pour les remplacer par des restaurants et des boites de nuit, pourvoyeurs de taxes.
Le GT 5 « amélioration de la connaissance » portant sur la qualité des cours d’eau en vue de la baignade, était lui piloté par la Ville de Paris.
La directive européenne « baignade » qui a été révisée il y a quelques années stipule que l’obtention du label « qualité baignade » est subordonnée à l’établissement d’un « profil ». Celui-ci est établi via une campagne de mesures approfondies d’une durée de 4 ans avant l’obtention dudit classement.
Comme il n’y avait pas l’ombre d’une chance d’y parvenir, les Machiavel au petit pied de la mairie de Paris ont tout bonnement envisagé d’obtenir une dérogation en arguant que les baignades des JO étaient « expérimentales »…
Cette invraisemblable mascarade vient donc de se fracasser sur des mois de juillet et d’août anormalement pluvieux. Et notre bande à baignade n’a pas même le recours d’aller brûler des cierges à Notre-Dame, qui a malencontreusement été emportée par les flammes. Là c’était un accident. Avec les baignades en Seine des JO ça relève de l’escroquerie en bande organisée.
Marc Laimé ; le monde diplo