Coups de fouets sur le corps d’une femme ; elle se promenait en blouse rouge
Roya Heshmati, d’origine kurde, arrêtée la nuit du 21 avril 2023, après avoir publiée sa photo sans voile sur les réseaux sociaux et détenue pendant 11 jours. Elle fut d’abord condamnée à 13 ans et 9 mois d’emprisonnement, une amende et 74 coups de fouets, pour « atteinte aux mœurs publiques » et « non-port du voile ».
La peine d’emprisonnement fut annulée par la cour d’appel, mais l’amende et le châtiment corporel maintenus. Fouettée le 3 janvier, elle publia une note décrivant son expérience de façon détaillée. Cette note fut largement relayée sur les réseaux sociaux et repris par d’autres prisonniers de consciences tels que Sepideh Roshnou et Hossein Ronaghi.
« A propos de l’exécution de ma peine de 74 coups de fouet »
J’ai contacté mon avocat et nous nous sommes présentés au procureur du 7e district.
Lorsque nous avons traversé le portail, j’ai retiré mon voile. Nous sommes entrés dans la salle. Les cris et hurlements d’une femme nous parvenaient du couloir. Ils étaient en train de la faire descendre pour l’application de sa peine.
Mon avocat m’a dit : penses-y une dernière fois, le fouet va te marquer pour longtemps.
Nous nous sommes présentés devant le bureau N°1 de l’exécution des peines. L’employé m’a dit : remets ton voile pour éviter les problèmes. Je lui ai dit calmement : c’est précisément pour cela que je vais être fouettée, je ne le porterai pas.
Ils ont prévenu le bourreau. Il est monté et m’a dit : mets ton voile et suis-moi. J’ai répondu : je ne le ferai pas. Il m’a dit : tu ne le feras pas ? Je vais te fouetter si fort, pour que tu comprennes où tu es. Et on t’offrira 74 coups de fouets supplémentaires. Je n’ai pas mis mon foulard.
Nous sommes descendus. Plusieurs hommes avaient été arrêtés pour consommation d’alcool. Le bourreau m’a dit sur un ton autoritaire: je te dis, mets-le ! Je ne l’ai pas fait.
Deux femmes en tchador sont venues me mettre le voile sur la tête. Je l’ai enlevé. Cela s’est répété à plusieurs reprises. Elles m’ont menottée les mains dans le dos et m’ont remis le voile.
Nous sommes descendus par le même escalier par où ils avaient emmené la femme au sous-sol. C’était une petite pièce au bout du parking. Le juge, le bourreau et la femme en tchador se tenaient à mes côtés. La femme était clairement émue. Elle a soupiré plusieurs fois en disant, je comprends… je comprends… Le juge enturbanné m’a ri en face. Il m’a fait penser au vieux fripier de la Chouette Aveugle (Ndlr: Personnage du roman culte de Sadegh Hedayat). J’ai détourné le regard.
Ils ont ouvert la porte métallique. Les murs de la pièce étaient en béton nu. Un lit se trouvait au fond de la pièce, auquel on avait soudé des menottes à la tête et au pied. Un autre objet, comme un grand chevalet métallique rouillé, avec des menottes qui pendouillaient, gisait au milieu de la pièce. Plus une chaise et une petite table couverte de fouets. D’autres fouets pendaient du mur, derrière la porte.
On aurait dit une chambre de torture médiévale.
Le juge m’a demandé : Vous allez bien ? Pas de problème de santé ?
Je l’ai ignoré.
Il m’a dit : je vous parle !
Je n’ai pas répondu.
Le bourreau m’a dit : enlève ton manteau et allonge-toi sur le lit. J’ai accroché le manteau et le voile au chevalet de torture. Il a dit : mets ton voile. J’ai dit : je ne le ferai pas, mets ton Coran sous le bras et frappe. Et je me suis allongée sur le lit.
La femme s’est approchée et m’a dit : ne t’entêtes pas, s’il te plaît. Elle m’a couvert la tête avec mon châle. Le bourreau a choisi un fouet en cuir noir parmi les fouets accrochés derrière la porte, l’a tourné deux fois autour de sa main et s’est avancé vers le lit.
Le juge a dit, ne frappe pas trop fort. L’homme a commencé à frapper.
Sur mes épaules, mes omoplates, mon dos, mes fesses, mes cuisses, les mollets, et a recommencé ce cycle. Je n’ai pas compté les coups.
Je chantais tout bas : au nom de la femme, de la vie… le voile de la soumission sera arraché… notre nuit se transformera en aube et les fouets deviendront des haches.
Puis c’était fini. Nous sommes sortis. Je n’ai même pas voulu montrer que j’avais eu mal. Ils sont plus insignifiants que ça. On est remonté chez le juge d’exécution des peines. La femme me suivait au pas et faisait attention pour que mon foulard ne glisse pas. Devant le bureau du juge, j’ai jeté le foulard. La femme m’a supplié de le remettre. Je n’ai pas voulu. De nouveau, c’est elle qui me l’a mis sur la tête.
Dans le bureau, le juge m’a dit : nous ne sommes pas contents de ces faits, mais c’est une condamnation et la peine doit être exécutée. Je n’ai pas répondu.
Il a dit : si vous voulez vivre autrement, vous pouvez vivre à l’étranger. J’ai dit ce pays nous appartient à tous.
Il a dit : oui, mais il faut respecter la loi. J’ai dit : que la loi fasse son travail, et nous, continuerons à résister.
On a quitté la pièce. J’ai retiré mon voile.
Merci cher Monsieur Tâtâie. Si vous ne m’aviez pas accompagné, il aurait été beaucoup plus difficile de traverser cette période. Et désolée de ne pas avoir été une cliente facile. Je suis certaine que quelqu’un de votre magnanimité me comprendra. Je vous remercie pour tout.
Jin, Jiyan, Azâdi (Femme, vie, liberté)
Roya Heshmati
moineau persan ; Sepideh Farsi, Cinéaste ; abonné de Mediapart