Ils ne sont ni souhaitables ni tenables »
Stéphane Passeron, ancien skieur de fond de l’équipe de France, s’est engagé contre les Jeux olympiques et paralympiques d’hiver 2030 dans les Alpes.
Son amour pour l’environnement alpin a pris le dessus sur sa passion, qu’il ne considère plus comme durable. Il défend un modèle adapté au changement climatique afin de préserver sa terre natale.
Les Alpes françaises sont candidates à l’organisation des Jeux olympiques et paralympiques d’hiver 2030. Laurent Wauquiez, président de la région Auvergne-Rhône-Alpes, et Renaud Muselier, président de la région Sud Paca, ont promis des jeux « sobres, respectueux de l’environnement, inscrits dans un héritage durable ». Un vœu pieux ?
Passionné de montagne, je suis né dans les Hautes-Alpes en décembre 1968, année des Jeux de Grenoble. Sur mes langes, ma grand-mère avait brodé les anneaux olympiques ! Imaginait-elle que je consacrerais ma vie au ski de fond et au sport de haut niveau ? Après avoir été membre de l’équipe de France de ski de fond durant vingt ans, j’ai été entraîneur de l’équipe de France de ski nordique handisport pour les JO de Vancouver en 2010, et je continue à transmettre ma passion en tant que moniteur dans le Champsaur. Comme beaucoup ici, j’ai été bercé toute ma vie dans un paradis blanc.
Imaginer des Jeux d’hiver en 2030 dans les Alpes est un anachronisme.
Aujourd’hui je suis l’un des porte-parole du collectif No JO, qui s’oppose à la tenue des Jeux d’hiver en France et ailleurs. J’aime le sport et ses valeurs, et cela a été un grand bonheur de participer à des coupes du monde. Mais nos priorités doivent changer : dans un monde au bord du chaos, organiser ces grands événements, très coûteux et catastrophiques sur le plan environnemental, n’est plus souhaitable ni tenable. Imaginer des Jeux d’hiver en 2030 dans les Alpes est un anachronisme.
Cette candidature, outre un déni de réalité, est un déni démocratique. La décision a été prise par trois personnes, les deux présidents de région et David Lappartient, président du Comité national olympique (CNOSF), sans concertation avec la population ni le monde politique ou scientifique. Et cette candidature a été entérinée le 21 novembre 2023 par le CIO lors d’un simple oral de 45 minutes, appuyé sur un maigre dossier d’une dizaine de pages. Les JO d’hiver en 2030, c’est leur vision pour l’avenir des Alpes, mais elle ne fait pas l’unanimité. Et à aucun moment les élus régionaux n’avaient affiché cette ambition dans leur programme électoral !
Cette candidature est aussi un déni climatique. Les Alpes sont une des régions du monde qui se réchauffent le plus : + 2 °C au cours du XXe siècle, contre + 1,4 °C dans le reste de la France (Météo France). Cette année, le manque de neige est criant et de nombreuses stations de ski sont contraintes de fermer leurs pistes. Des compétitions sont annulées ou organisées dans des conditions déplorables. La revue Nature Climate Change publiait en août 2023 une étude alarmante sur le devenir des stations de ski. Nous vivons la fin de l’or blanc.
Cette candidature est enfin un déni économique. L’aveuglement des élus de montagne et du monde économique alpin mène à une marche en avant déconnectée de la réalité, comme l’indique la Cour des comptes dans son rapport de février 2024. C’est toujours plus d’infrastructures, de consommation d’électricité et de retenues d’eau collinaires pour fabriquer de la neige artificielle, au détriment de l’équilibre fragile de l’écosystème alpin et de la ressource en eau.
C’est toujours plus de résidences secondaires au détriment des habitants permanents, avec un prix de l’immobilier qui ne cesse de grimper. Des saisonniers dorment dans leur voiture. Et partout où les JO sont passés, le prix de l’immobilier n’a fait qu’exploser. Ne devrions-nous pas utiliser l’argent public pour financer des services publics, des écoles, des hôpitaux ? Pour reprendre un slogan de manif : les Jeux, c’est « trois semaines de fête et trente ans de dettes » !
Les Alpes sont un symbole des nécessaires transformations du modèle économico-touristique.
Pour toutes ces raisons, nous avons fondé le collectif No JO. Par des actions militantes, festives ou plus sérieuses, des débats publics ou des conférences, nous dénonçons cette vision de la montagne qui ne correspond plus aux contraintes actuelles, une montagne privatisée pour un spectacle sportif et un milieu social favorisé. En pratiquant le « ski sur goudron » lors de manifestations, nous tournons en dérision le projet de nos décideurs régionaux et nous alertons l’opinion.
Les Alpes sont un symbole de la vulnérabilité au changement climatique et des nécessaires transformations du modèle économico-touristique. Il est temps de dessiner ensemble un nouvel avenir pour les Alpes, respectueux de l’environnement et de ses habitants. Il nous faut du courage, de la volonté, car mieux vaut prendre le changement climatique en main avant qu’il ne nous prenne à la gorge !