Comment faire le bonheur des agricultrices et agriculteurs ?
Les agriculteurs et agricultrices ont le moral en berne. 71 % se disent pessimistes. Et l’image de ce métier est si dégradée que les trois quarts des Français·es ne veulent pas que leurs enfants optent pour ce choix professionnel. Faire rêver d’agriculture est pourtant urgent, car d’ici six petites années, la moitié des 400 000 agriculteur·ices français·es vont partir à la retraite.
Parmi les ingrédients qui font le bonheur de ceux et celles qui travaillent la terre, on retrouve le fait de vivre à la campagne, de passer ses journées en plein air et de côtoyer des animaux. « Aller chercher les vaches [pour les emmener à la traite depuis le champs où elles pâturent, ndlr] c’est un moment vraiment sympa, sourit ainsi Sylvie, installée en Loire-Atlantique depuis cinq ans. Je n’ai pas l’impression de travailler, je prends mon vélo, je prends mon chien et puis je dis à mes vaches « venez on y va ! ». » Au passage, elle jette un œil attentif à l’herbe des champs qu’elle traverse, pour organiser les futures pâtures.
Tous les éleveurs ou éleveuses ne peuvent pas profiter de ces moments privilégiés. Car nombre de bêtes ne sortent jamais de leurs étables. On ignore la proportion exacte des systèmes dits « pâturant », comme celui de Sylvie – dans lesquels on nourrit les bêtes avec ce qui pousse dans les champs plutôt qu’avec du soja brésilien.
Mais on sait que cette pratique diminue à cause de l’augmentation de la taille des exploitations et des aléas climatiques. La France ne fait pas exception et la toute récente loi d’orientation agricole, qui ne prévoit rien de sérieux pour lutter contre l’agrandissement des fermes, ne risque pas d’encourager ces systèmes « pâturant ».
C’est dommage, car ils sont plus costauds économiquement et ils rendent les éleveurs et éleveuses (plus) heureuses. Selon une étude des centres d’initiatives pour valoriser l’agriculture et le milieu rural (Civam) menée en octobre 2023, les agriculteurs et agricultrices qui ont fait ce choix « témoignent de leur plaisir au travail ». « Il y a une satisfaction d’avoir réussi à construire et gérer un outil permettant de se rémunérer », dit l’un des éleveurs interrogé. Question centrale dans la crise qui a secoué la France au cours de l’hiver, la rémunération n’a toujours pas été réglée par le gouvernement.
Autre source de bonheur, pour les agriculteurs et agricultrices : « Disposer d’un outil respectueux de l’environnement », comme le dit Fabrice, éleveur en système « pâturant » dans une enquête sur l’élevage réalisée par le WWF et le réseau Civam. Ce point est particulièrement saillant chez les producteurs et productrices qui ont choisi de s’installer en bio, qui sont dans leur grande majorité « fier·es » de ce qu’iels font.
86 % déclarent même qu’être en bio « contribue à leur bonheur ». L’information n’est, hélas, pas arrivée jusqu’au ministère de l’Agriculture. Celui-ci a publié début mai un plan Ecophyto 2030 – censé diminuer l’usage de pesticides, mais largement insuffisant.
« Le fait de passer en agriculture biologique m’a refait découvrir l’amour que j’avais pour ce métier. C’est-à-dire revenir aux bases, à l’essentiel, parce que de tout façon, on n’a pas le choix. On est obligé de se remettre en question sur nos pratiques », témoigne une agricultrice dans le baromètre 2023 de l’Agence bio. Reprendre du pouvoir sur les décisions techniques et agronomiques est une source de satisfaction importante pour les agriculteurs et agricultrices.
« Il faut reconnaître que avec les pesticides, on a moins besoin de réfléchir. T’as une ligne avec les problèmes, l’autre avec la solution, c’est à dire un produit, c’est quand même très pratique », se souvient Christian, éleveur à la retraite, atteint d’un cancer professionnel, et qui s’est converti au bio en fin de carrière.
Pour continuer à aimer travailler, les agriculteurs et agricultrices ont aussi besoin d’avoir du temps libre. C’est hélas encore trop rare pour de nombreux paysans et paysannes. Parmi celles qui ont répondu au sondage lancé par Basta! le mois dernier, la moitié prennent moins de deux semaines de vacances par an et font des semaines de plus de 45 heures. Un tiers sont même à plus de 55 heures. Du côté des maraîchers, les semaines de travail peuvent grimper à 70 heures !
Pour se ménager du temps, il y a les services de remplacement et le travail en collectif. Beaucoup des personnes non issues du milieu agricole qui se lancent dans ce métier choisissent cette forme collective pour s’installer. En groupement agricole d’exploitation en commun (Gaec), en Scop (société coopérative de production) ou autres modèles coopératifs. « Le modèle des fermes collectives est actuellement très étudié par les sociologues ruraux. C’est un modèle qui rend heureux !, rapporte la sociologue et agronome Catherine Darrot. Parce que ça paraît être un mariage possible entre les néo-installations, l’énergie de jeunes qui ont envie de faire quelque chose, qui ont une vision, un sens des communs (se concerter, faire ensemble, contribuer au lien avec le vivant) et une solution de transmissions pour des exploitations familiales qui cherchent des repreneurs. »
Ces modèles semblent si prometteurs que des start-ups se sont engouffrées dans le créneau. Pour aider ces nouveaux modèles agricoles, garants de notre future alimentation, on pourrait aussi imaginer un large soutien public.
Basta.media