Les Maîtres-philanthropes de notre Mouvement climat

Il fallait que l’étau se resserre sur notre « Mouvement climat »

Cette année, deux enquêtes contribuèrent à saisir l’influence des industriels et des milliardaires sur les Conférences des Parties (les COP), Le Grand sabotage climatique de Fabrice Nicolino et Fin du monde et petits fours d’Edouard Morena . Un dernier coup de manivelle devait coincer leurs subsides aux associations françaises pour le climat. Notre affaire à tous, Oxfam, Réseau Action climat, Reclaim finance, Amis de la Terre, Alternatiba : toutes émargent auprès des mêmes philanthropes, investisseurs du climat ou évadés fiscaux. Quand elles ne sont pas subventionnées directement, les fonds transitent par l’European Climate Foundation, le lobby des industriels pour la « transition » dirigé par l’ancienne ambassadrice française pour le climat et organisatrice de la COP21, Laurence Tubiana. Ce lien de subordination se traduit ensuite en tractations et actions de désobéissance afin d’obtenir des chefs d’État des « accords ambitieux ». Notre soumission à leur égard s’intensifie dès lors que nous réclamons des responsables du désastre qu’ils prennent soin de notre survie.

« Le schéma de représentation du monde que j’ai a déjà gagné. Le nucléaire a pris 15 points de soutien en dix ans. La seule question c’est : quel panachage entre nucléaire et renouvelable ? » Le constat est de Jean-Marc Jancovici, lobbyiste du climat et auteur de la célèbre BD Le Monde sans fin. Difficile de ne pas lui concéder que la question climatique a recouvert l’écologie, ni qu’elle passe désormais pour une affaire technique à résoudre techniquement. Jancovici est un polytechnicien, fondateur de deux sociétés de conseil pour le climat, Carbone 4 et Shift Project. Cette dernière est financée par EDF, SPIE, Bouygues et Alstom, c’est-à-dire le cœur de la filière atomique française. Dans un élan commun contre les « énergies carbonées », Jancovici promeut l’atome, EDF soutient Jancovici. Shift Project a ensuite donné naissance à la Fresque du Climat, fameux « outil » d’éducation au réchauffement climatique qu’EDF, Suez, L’Oréal, TF1 et jusqu’à la première Maison de l’environnement venue offrent à leurs salariés comme des moments de formation citoyenne. Leur point de vue technique sur le climat les place naturellement comme partenaires ou conseillers des décideurs. Plus militant, depuis la COP15 à Copenhague en 2009, un mouvement « pour le climat » interpelle les décideurs par des actions de désobéissance civile – la qualification de « jeunes pour le climat » leur consacrant une réputation d’innocence qui mérite attention.

Des partenaires particuliers

Le 26 mai dernier, une coalition d’associations perturbe l’assemblée générale des actionnaires de Total pour en dénoncer les projets climaticides. Assis devant l’entrée, accrochés les uns aux autres ou les mains en l’air en signe de non-violence, les militants attendent d’être gazés, frappés et délogés par la police – qui tient avec zèle son rôle historique de gardien du capital.
L’action est menée notamment par la branche française de 350.org, une association américaine créée en 2007. Son inspirateur-fondateur est un climatologue de la NASA, James Hansen, partisan de l’atome et des techniques de séquestration du CO
2. On lui doit le seuil-limite de 350 ppm de CO2 dans l’atmosphère qui inspira le nom de son asso. Pourquoi pas. L’association surprend avant tout par le nombre et la qualité de ses financeurs. Une liste d’industriels que l’on retrouve peu ou prou dans les rapports financiers des associations du Mouvement climat français : Rockefeller, Bloomberg, Velux, OAK, Soros, Ford ou encore l’Energy Transition Fund, un fonds d’investissement dans le renouvelable et le nucléaire. Dès lors, tout s’éclaire, et pas à la bougie. On comprend pourquoi 350.org célèbre l’Inflation Reduction Act de Joe Biden, ses 369 milliards de dollars débloqués l’an dernier pour le renouvelable, le nucléaire, les voitures électriques, leurs gigafactories, etc.

Un autre mouvement d’origine américaine est devant Total ce jour-là. Plus ancien, il est même précurseur de l’écologie dans les années 1970 : Les Amis de la Terre, 16 salariés en France, 1,5 millions d’euros de budget en 2022, dont 792 000 viennent du privé (plus de la moitié). Le reste est allongé par l’État (ADEME et Ministère de l’environnement). De quoi entacher l’indépendance d’action. Parmi les donateurs privés : la fondation KR de l’entreprise danoise Velux, le fonds américain Open Society du spéculateur-fraudeur – et parfois objet de fantasmes – Georges Soros, et notre Emergency Climate Foundation (ECF) que l’on étudiera plus bas. Leurs amis de ANV-COP21 (Action non-violente COP21) et d’Alternatiba sont aussi du blocage. Les uns et les autres reçoivent des fonds de l’ECF et de la fondation « 1 % pour la planète », créée par le patron de Patagonia, cette marque américaine de matériel d’alpinisme fabriqué en Asie. Quant aux « Scientifiques en rébellion », si rien n’indique qu’ils émargent à des fondations, la liste de leurs signataires dévoile son infiltration par le Commissariat à l’énergie atomique, nos criminels de l’atome engagés contre le crime climatique.

Excusez l’inventaire, mais le tableau du Mouvement climat serait incomplet sans Notre Affaire à tous, célèbre depuis son procès de l’État pour inaction climatique, et dont la fondatrice Marie Toussaint est devenue eurodéputée sous la bannière EELV. L’association renseigne un budget de 342 000 euros dont 304 000 proviennent de l’ECF et de la Rockefeller Brothers Foundation – oui, du pétrolier américain Rockefeller.
Reclaim Finance, fondée en 2020 par une ancienne salariée des Amis de la Terre, Lucie Pinson, entend « mettre la finance au service du climat ». L’association présente déjà 41 salariés sur son site internet. Leurs salaires sont notamment rétribués grâce aux subventions de Velux, de la néerlandaise Laudes Foundation (les vêtements C&A), de l’ECF et de Patagonia, et encore du Sunrise Project, un réseau australo-néerlandais d’investisseurs dans les renouvelables.
Enfin, la branche française de
Stay Grounded, mobilisée contre les extensions d’aéroports, est elle aussi financée par Velux, mais encore par la Swiss Philanthropy Foundation. Cette fondation est abondée par OAK, que l’on retrouve fréquemment auprès des associations pour le climat. OAK est la fondation d’un avocat fiscaliste et milliardaire, Alan Parker, réfugié fiscal sur les bords du lac Léman, qui fit fortune dans le commerce détaxé des Duty free shops puis en revendant sa boîte à Bernard Arnault. La situation est cocasse : un spécialiste de l’évasion fiscale, riche à milliards de son business aéroportuaire, finance un mouvement citoyen contre l’aviation.
Toutes ces associations se retrouvent enfin dans un Réseau Action Climat (RAC) que des fondations privées alimentent pour plus de la moitié de ses 1,8 millions d’euros de budget en 2022 : encore OAK, mais aussi l’ECF et l’Agence Française de Développement (AFD), dirigées par la même Laurence Tubiana – on y vient.

Combien de médias, de journalistes de l’environnement et de politiques savent tout ça ? Le non-dit est énorme. Il apparaît pourtant évident que la « question climatique » n’eut été poussée à l’agenda jusqu’à recouvrir le mouvement écolo anti-nucléaire sans que des fonds conséquents ne financent tout un personnel d’encadrement, des organisateurs, formateurs, juristes, chargés de plaidoyers, de communication digitale, de communication médias, mais encore des locaux, des t-shirts, des banderoles, etc. A contrario, on imagine assez peu les philanthropes financer des associations pour la décroissance, des anti-nucléaires, anti-éoliennes, anti-bagnoles, mobilisés contre le déferlement numérique ou le génie génétique.

L’écologisme efficace

Le nombre de salariés mais encore leur fonctionnement venu de l’entreprise, du management, de la gestion des RH, de la communication, auraient pu mettre la puce à l’oreille. Leurs nombreuses formations à l’action collective ou à la communication réseaux invitent davantage leurs militants à être « efficaces » pour maximiser leur « impact » qu’à susciter le questionnement et la contradiction. Difficile de ne pas voir l’empreinte de ces fondations anglo-saxonnes versées dans l’« altruisme efficace », cette méthode managériale appliquée à la philanthropie.
Un article de sciences sociales nous offre un témoignage de la culture managériale d’Alternatiba (13 salariés et 380 000 euros de budget en 2022). L’association fut créée au Pays Basque par des déçus de la COP15 à Copenhague en 2009, des proches des Amis de la Terre et d’ATTAC. Devant ce qu’ils considéraient comme un « échec », leur parti-pris fut de relancer une mobilisation exemplaire, par le bas, au niveau des citoyens. Un premier « village des alternatives » rassemble 12 000 personnes à Bayonne en 2013. Une cinquantaine d’autres suit autour de la COP21 à Paris en 2014-2015. Les auteurs parlent de cette association comme d’une « franchise » offrant à ses « bénévoles » du « prêt à militer » : des fiches projet avec organisation par compétence, comme un kit « Action locale et campagne citoyenne » ou un kit de « mobilisation », élaborés par le bureau central :

Le ‘’Kit méthodologique Alternatiba’’, qui sera rédigé à partir de l’expérience bayonnaise en vue de son exportation, résume bien ‘’l’état d’esprit Alternatiba’’ : il s’agit de ‘’préférer une approche positive’’ cherchant moins à ‘’traiter les problèmes’’ qu’à mettre en lumière les ‘’solutions’’. Cette posture a donc contribué à faire du message d’Alternatiba un discours ‘’sans adversaires’’.

Les auteurs notent « une rhétorique de l’efficacité, ayant comme corollaire l’évacuation des questions idéologiques. » Leur compte-rendu du « Village des alternatives » organisé à Lille en 2014 relate un conflit entre, disons la branche des organisateurs, défenseurs d’un activisme orienté sur le discours positif des alternatives, et la branche politique qui regrette les discussions volontairement limitées à « l’organisationnel ». Ils en concluent à une « dépolitisation » de l’écologie par sa « déconflictualisation ».
Depuis, Alternatiba s’est tout de même fait remarquer par des actions de désobéissance comme l’organisation d’un cortège de portraits d’Emmanuel Macron préalablement subtilisés dans les mairies, lors du G7 de Bayonne en 2019. Alternatiba représente en quelque sorte la branche activiste du Mouvement climat.

L’action de lobbying est davantage portée par le Réseau Action Climat (ou RAC), qui chapeaute le reste des assos. Ce réseau est une création de WWF, Greenpeace, Les Amis de la Terre et France Nature Environnement en 1996. Il est dès l’année suivante agréé pour participer comme « ONG » à la COP3 de Kyoto. Il n’en manquera aucune. C’est même sa raison d’être : le propos est sérieux, le constat est scientifique, les perspectives sont chiffrées et les solutions industrielles. A l’image de son personnel. Le conseil d’administration du « RAC » rassemble un économiste à l’École des Mines, un ingénieur-conseil en environnement, par ailleurs membre du GIEC et du Conseil économique, social et environnemental (le CESE), un chercheur au CNRS, un polytechnicien des Eaux et forêts, une économiste diplômée de la London School of economics, une juriste, bref : des profils dont la légitimité vient de leur diplôme, qui n’est pas celui des Beaux-arts. La logique veut qu’à la mise en cause du système économique, le RAC négocie des « scénarios » de décarbonation savamment établis.

Exemple. Plutôt que la critique du système bagnoliste, de ses ravages sanitaires, de son organisation industrielle du travail (le fordisme !), ou de l’enlaidissement généralisé des paysages, le RAC défend la voiture électrique, qu’elle range dans l’« électromobilité » comme n’importe quelle sous-préfecture. La voiture électronucléaire serait « un des leviers pour opérer la transition écologique dans le secteur des transports ». À conditions de quelques garanties sur l’origine des métaux et le recyclage des batteries, exprimées pour la bonne conscience : on ne verra aucun militant du climat s’accrocher aux grilles du chantier, ni même dénoncer publiquement, la prochaine usine de batteries à Douai, quand bien même elle consommerait en énergie nucléaire l’équivalent d’une ville de 800 000 personnes, du cobalt et du lithium extraits dans des conditions scandaleuses, et l’eau d’une région en « alerte sécheresse » depuis bientôt dix ans. Non plus qu’on les verra sur les chantiers des trois autres usines de batteries dans le Nord, chez ArcelorMittal qui s’étend d’une ligne de production d’acier dédié, aux usines d’hydrogène et d’éoliennes offshore qu’EDF projette encore à Dunkerque. Les pollueurs d’hier sont les sauveurs d’aujourd’hui par la grâce de la « décarbonation ».

Autre exemple. Plutôt qu’une critique de la société électronucléaire, de son mode de gouvernement autoritaire, de son idéologie de toute-puissance, ou de sa menace apocalyptique, l’atome n’est au mieux dénoncé qu’au titre de « mauvaise solution pour le climat », trop cher et trop long à mettre en œuvre. Il sera préféré un plaidoyer positif et scientifiquement établi pour l’industrie des « renouvelables ». Si le RAC devait exprimer une critique de la « loi d’accélération des énergies renouvelables » votée en mars dernier, il dirait qu’elle manque d’ambition :

Des inquiétudes demeurent sur certaines propositions qui ralentiraient voire empêcheraient le déploiement des énergies renouvelables comme l’avis conforme des maires pour définir les zones d’accélération (plutôt que les intercommunalités) ainsi que des Architectes des Bâtiments de France.

Et tant pis pour les paysages et les bâtiments classés, et tant pis pour l’exploitation des métaux jusque dans les fonds marins, et tant pis pour la transformation des campagnes et des côtes en zones industrielles, et encore tant pis pour les terres transformées en usines agrivoltaïques. Quand Emmanuel Macron et Élisabeth Borne entendent accélérer les procédures, le RAC met le pied au plancher pour les doubler.
La ministre de la transition énergétique Agnès Pannier-Runacher ne promet pas moins qu’une « transformation comparable à celle de la première révolution industrielle. » Comme s’il s’agissait d’une référence heureuse. L’intention ferait normalement bondir un écologiste. Mais pour un mouvement qui ne voit son destin que par le climat, le projet est sans doute salutaire : doublement du rythme actuel d’installations solaires, quadruplement de celui de la géothermie, promesse de 36 usines éoliennes
offshore et de six réacteurs EPR, la référence au Plan Marshall aurait tout aussi bien fonctionné.

Enfin et pour tout dire. Plutôt qu’une critique de la croissance, de l’idéologie du développement, de la société de consommation, du mode de production industriel, le RAC soutient l’effort de réindustrialisation. Le 16 mai 2023, après une première lecture à l’Assemblée nationale du projet de loi « Industries vertes » (un oxymore peut-être ?), le Réseau Action Climat salue « la volonté de conjuguer les ambitions climatiques et industrielles mais appelle le Parlement à renforcer le texte, trop timoré en l’état en regard des enjeux environnementaux et sociaux actuels. » Le RAC réclame plus de réindustrialisation verte de l’État français comme il réclame plus du Green Deal d’Ursula Von der Leyen, cette technocrate de la CDU qui dirige la Commission européenne. Son « paquet climat est historique dans son ampleur et ouvre les chantiers indispensables à l’accélération de la transition écologique. » Tel est le fond idéologique de la « transition » : changer l’énergie sans changer la société, qui nous va bien comme elle est, avec ses faux besoins, son travail aliéné, et sa production industrielle de masse.
Le RAC défend d’autant mieux son programme auprès des négociateurs des Conférences sur le climat qu’il parle le même langage technocratique : fondé scientifiquement, le plaidoyer s’égrène de « neutralité carbone », « adaptation », « compensation », « mix énergétique », « transition juste », « énergies décarbonées », « industrie verte », sans oublier l’immanquable « sobriété » depuis que les technos l’associent au « réemploi », à l’« éco-conception » et à l’« économie circulaire ».
En dépit de ses limites flagrantes, le RAC s’est rendu à la COP28 de Dubaï, une occasion immanquable de négocier avec les dirigeants du monde une « sortie » de « toutes les énergies fossiles » grâce au « triplement des énergies renouvelables », une meilleure « efficacité énergétique » et une meilleure « sobriété » des biens et des infrastructures. Et puis… c’est l’occasion de discuter au bar de l’hôtel avec Laurence Tubiana de la subvention 2024-2025.

Défiscaliser et verdir : Tubiana, pasionaria du capitalisme climatique

Pour en savoir beaucoup plus :

https://chez.renart.info/Les-Maitres-philanthropes-de-notre-Mouvement-climat