Quels Jeux ! version Paralympiques 

Dix jours de gêne en plus !

L’émission, présentée par Léa Salamé, avait été massivement critiquée au moment des JO. Questions plates, enthousiasme forcé, invisibilité des athlètes étrangers… Tir malheureusement bien trop peu rectifié pour les Paralympiques.

Le bruit de fond ressemble un peu à celui d’un robinet qui laisserait échapper une goutte d’eau toutes les dix secondes. On peut s’y habituer et ne plus entendre, à force, ce « ploc ». Mais il suffit qu’on y prête attention pour qu’il redevienne insupportable. Dans l’émission Quels Jeux !, les plocs, ce sont les applaudissements, et il n’y a pas de plombier. Ils reviennent, mécaniquement, inexorablement, impossible de les faire taire, chaque intervention d’un consultant, d’un journaliste, ou de n’importe quel invité est ponctué d’une salve du public mais aussi de cris, de « Ouaiiiiiiis ! », histoire de vraiment prouver à la France entière que ce qui vient d’être dit est « incroyable », « exceptionnel », « magnifique », tout autant que les athlètes français des jeux Paralympiques.

Juste avant la cérémonie d’ouverture, Sami El Gueddari, le super-consultant de France Télévisions, nous avait dit l’importance de traiter ces sportifs comme ceux d’il y a quinze jours. Qu’il faudrait mettre en valeur leurs exploits mais aussi souligner leurs échecs, « distinguer les performances des contre-performances ». Ce n’est pas l’ambition de Quels Jeux !, où il n’y a que des gagnants, et que des Français. L’Américain Matt Stutzman a certes surgi du néant mardi 3 septembre, mais c’est vraiment parce que cet homme fait du tir à l’arc avec les pieds, et on n’a pas analysé la prestation du champion mais juste son absence de bras (ce qui n’est pas loin du « validisme », cette façon de s’émerveiller des personnes handicapées au point de ne pas les considérer comme des humains normaux).

Un manque de culture sport

À mi-parcours, toujours pas un mot des cent quinze médailles chinoises ni des soixante et une britanniques. Ni même de ceux qui ont affronté nos héros. Lundi 2 septembre, personne ne prononcera le nom de Suhas Yathiraj, défait par Lucas Mazur en finale du badminton. Laurent Luyat : « Il avait en face le numéro 1 mondial, qui n’a pas existé pendant deux sets ! » Claire Vocquier Ficot : « C’était le même qu’il avait battu à Tokyo, et ce même… euh… ce même Indien qu’il avait battu à Tokyo lui a piqué le titre aux championnats du monde. » Léa Salamé : « Et maintenant je voudrais qu’on revoie la démonstration de Lucas Mazur face à l’Indien. » Quant au nageur Ihar Boki, vingt et une médailles d’or paralympiques, dont cinq à Paris, qui aurait pu conjuguer des sujets passionnants de sport et de géopolitique en tant que Biélorusse, « il a battu le record du monde, oui, OK, mais Alex Portal… »

Est-ce aimer le sport que de n’aimer que les Français ? Personne de chez personne n’a été « incroyable », « exceptionnel » ou « magnifique » par ailleurs ? Ce ne serait pas un tout petit peu méprisant pour les jeux Paralympiques cette affaire ? On va dire que non, et qu’il s’agit simplement d’un manque de culture sport. Globalement, Léa Salamé n’a pas beaucoup plus que trois ou quatre questions en stock (1. « Il vous a bluffé hein ? » 2. « Le public vous a aidé ? » 3. « Qu’est-ce que vous avez ressenti ? »), et Laurent Luyat remplace les points d’interrogation par des « quand même » (« C’est beau quand même », « C’est impressionnant quand même », « C’était un finish incroyable… quand même »).

Dans ce contexte, l’émission réussit parfois le miracle d’être intéressante. Ce n’est pas tout à fait un miracle pour être honnête, plutôt le fruit de bonnes décisions : la rédaction en chef a su retenir les deux principales critiques formulées au début des JO, en écartant les people au profit des sportifs, et en injectant plus de reportages. Or les sujets sont bien fichus, et les athlètes de ces jeux Paralympiques se révèlent souvent passionnants. Dimitri Jozwicki et Antoine Praud, coureurs de 100 m et de 1500 m, ergothérapeute et étudiant en école d’ingénieur, ont illuminé le numéro du samedi 31 août, tout comme le journaliste Matthieu Lartot, avec sa remarquable explication des problèmes rencontrés par les personnes handicapées dans notre pays. Lui qui n’a pas été invité à fabriquer cette émission, comme une bonne partie du service des sports de France Télé, est venu y délivrer un message fort. Ça méritait de longs applaudissements.

Telerama