Le pouvoir [en sursis] profite des JO pour installer la surveillance de tous
Comme le notait Naomi Klein, les dirigeants du capitalisme mondial, de plus en plus attirés par un ordre dictatorial, profitent voire créent des événements propices à la mise au pas des populations par la surveillance numérique.
C’était, spécifiquement en France, le cas des confinements autoritaires lors de la pandémie de covid, ça l’est plus encore à l’occasion de ces JO.
Le pouvoir macroniste, à la suite d’autres (sarkoziste, hollando-valsiste…) a délibérément intensifié la mise sous surveillance par le biais de caméras (première à Levallois-Perret en 1994, triplement à l’occasion des JO des subventions versées au communes par le fonds interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation [FIPDR]).
Il y est fortement incité par un lobby très organisé, l’Association nationale de la vidéoprotection (AN2V, justement créée en 1994, 150 entreprises adhérentes) [1], avec de solides relais politiques et d’industriels (Thales…).
La VSA, « antichambre » de la reconnaissance faciale permanente
L’AN2V a notamment poussé à la promotion des outils numériques de surveillance dans les lois Sécurité globale (2020), LOPMI (2022) … et JO 2024 (2023), cette dernière a permis de passer à l’étape de la vidéosurveillance automatisée (VSA, antichambre de la reconnaissance faciale permanente). La France est le seul pays européen à l’avoir adoptée, confirmant bien la volonté du pouvoir macroniste d’une surveillance de sa population qui la rapproche des pires régimes répressifs.
Or, comme le notait début avril la sénatrice LR Agnès Canayer dans son rapport dédié à la sécurisation des Jeux olympiques, « la vidéoprotection augmentée ne sera pas optimale au moment des JO, mais les JO seront un beau terrain de jeu pour l’expérimenter. » Donc, pour résumer, elle ne sert à rien pour ces JO mais elle permet de tester une surveillance permanente de la population … et fournit une vitrine, très lucrative à terme, aux producteurs de ces équipements.
Elle est en phase d' »expérimentation » jusqu’en mars 2025 (soit bien au-delà de la fin des jeux), « lors d’événements sportifs et culturels« , par la police, la gendarmerie mais aussi les services de sécurité de la SNCF et de la RATP. Dans la région Auvergne-Rhône-Alpes, Laurent Wauquiez a même fait voter le 21 mars pour deux ans (jusqu’en mars 2026 !) l’expérimentation de la reconnaissance faciale (illégale) dans les gares, TER, cars scolaires et intercités, lycées … avant son départ comme député de la Haute-Loire !).
Pour une loi – française ou internationale – d’interdiction de l’identification biométrique
Fin juin, la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) a rendu un avis sur la surveillance de l’espace public, notamment sur l’usage d’algorithmes de surveillance lors des JO. Elle souligne les risques de discrimination induits : « La machine pourrait donc être amenée à associer un certain niveau de risques à certaines caractéristiques récurrentes dans ces images (par exemple le port d’une capuche)« . La CNCDH promeut l’interdiction de l’identification biométrique à distance en temps réel dans l’espace public et les lieux accessibles au public.
Amnesty International est sur la même position. Pour Katia Roux, « Ces algorithmes sont extrêmement intrusifs. Ils vont évaluer des situations en analysant des données corporelles et comportementales, qui sont des données personnelles protégées. Nous craignons qu’ils limitent le droit de manifester ou la liberté d’expression, puisque se savoir surveillé peut amener les personnes concernées à s’autocensurer. » Pour elle, toute surveillance dans l’espace public est une ingérence dans le droit à la vie privée.
« Une personne sans abri ou une personne qui joue de la musique dans la rue pourrait-elle un jour être considérée comme « suspecte » parce que son comportement ne correspondrait pas à la « norme » définie ?«
Katia Roux diagnostique que, « de la vidéosurveillance algorithmique à la reconnaissance faciale [qui va croiser les données biométriques avec une base de données] il n’y a qu’un pas. Techniquement, il ne s’agirait que d’une fonctionnalité à activer. » Et que ces « expérimentations » seront maintenus d’une manière ou d’une autre (nouveau danger évoqué ?), comme pour les caméras après les JO de Londres de 2012.
Elia Verdon, doctorante en droit public et en informatique, et directrice scientifique de l’Observatoire de la surveillance en démocratie, qui dépend de l’Université de Bordeaux, cite l’exemple de PARAFE, dispositif de reconnaissance faciale pour le passage de frontière, expérimenté en 2005, pérennisé en 2007 puis étendu en 2016. Pour elle, l’accoutumance à ces outils, comme l’effet cliquet — selon lequel il est difficile de revenir en arrière une fois un cap passé — rendent tout retour en arrière encore plus illusoire.
Les JO de Paris servent à légitimer un ensemble orwellien de technologies de surveillance
Autre membre de l’Observatoire de la surveillance en démocratie, Yoann Nabat voit, lui, dans les Jeux olympiques un usage unique de ces technologies. « Elles ont toutes été déjà utilisées de manière ponctuelle : les drones en manifestation, la vidéosurveillance algorithmique lors de compétitions sportives, les scanners corporels dans les aéroports, les QR codes pendant la pandémie. Mais c’est la première fois que l’on associe ces technologies de surveillance au cours d’un même événement, les Jeux olympiques. »
Ainsi des drones, pour lesquels la préfecture de police de Paris a publié plusieurs arrêtés autorisant leur usage sans trop de restrictions… Pour Philippe Latombe, ancien député (Mouvement démocrate), coauteur de la Mission d’information sur les « enjeux de l’utilisation d’images de sécurité dans le domaine public dans une finalité de lutte contre l’insécurité« , « Les drones ont été très utiles lors des manifestations contre les mégabassines le week-end dernier (les 21 et 22 juillet 2024) puisqu’ils ont permis d’avoir une vue d’ensemble, qui a empêché que les policiers soient encerclés par les manifestants et les agriculteurs« . Et bien sûr ils peuvent être dotés de VSA, voire de reconnaissance faciale, de haut-parleurs pour interpeller les manifestants…
Une technique plus ancienne, le fichage systématique (déjà Alphonse Bertillon à la fin du XIXe…), rendu plus inquisiteur avec la numérisation, est massivement utilisée à l’occasion des JO. Il sert notamment au « criblage » de tous les participants (sportifs et encadrants, spectateurs et même habitants des zones d’accueil des épreuves), et a servi à en écarter plus de 4000, sur des motifs arbitraires.
Un logiciel, ACCReD, a été créé pour mener ces « enquêtes administratives de sécurité« , défini par l’article L.114-1 du code de la sécurité intérieure. Il
interconnecte 14 fichiers, dont le fameux TAJ (traitement des antécédents judiciaires), qui rassemble les informations de toute personne ayant eu affaire à la police, même si elle n’a pas fait l’objet de poursuite ou a été ensuite relaxée. Cela concerne donc ceux interpellés à l’occasion de manifestations ou d’actions politiques… Le TAJ (environ 20 millions de fiches, dont près de la moitié avec des données biométriques permettant la reconnaissance faciale) est un fourre-tout comprenant de nombreuses données incorrectes. Des fichiers internationaux (comme ceux d’Europol, tous aussi problématiques), sont aussi consultés.
Comme le souligne La Quadrature du net, ce fichage de masse – à très grande échelle – conduit à « exclure, isoler, contraindre des individus et à les priver de leurs libertés en dehors de tout cadre judiciaire et par des décisions administratives arbitraires ». L’association démontre, grâce à de nombreux interviews, que « la principale cause potentielle de la mise à l’écart de certaines personnes réside dans leur activité militante« .
« Cette discrimination politique s’accompagne de la répression et invisibilisation de toute forme de critique des Jeux Olympiques. Des personnes ont été assignées à résidence, des manifestations ont été interdites sur le parcours de la flamme, des militant·es ont été arrêté·es notamment pour avoir collé des stickers dans le métro ou ont été considéré·es comme saboteurices pour des bottes de paille, tandis que des journalistes ont été en garde à vue pour avoir couvert une visite symbolique des dégâts causés par les Jeux en Seine-Saint-Denis, menée par Saccage 2024.«
« Cette répression inquiétante s’inscrit dans la continuité des discours et volontés politiques visant à criminaliser toute forme d’activisme. Malgré une machine répressive lancée à pleine vitesse, malgré l’inquiétude légitime, il est néanmoins toujours plus urgent et crucial de continuer à militer, de continuer à organiser des actions pour se faire entendre. Cela demeure la meilleure méthode pour dénoncer les abus de pouvoirs et les dérives liberticides aujourd’hui amplifiées au nom de « l’esprit olympique« . »
https://halteaucontrolenumerique.fr
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Note
[1] Voir article dans La Brèche n°9, août-oct. 2024