Désastre écologique, guerres, génocides, finance débridée, inégalités en flèche, désertion des pouvoirs publics, attaques des Casques Bleus…
Où es-tu humanité ? Les attaques israéliennes contre les Casques Bleus d’interposition entre les territoires occupés par Israël et le Liban constituent le déni méprisant de l’autorité et de l’existence même de l’ONU, l’organisation politico-institutionnelle majeure de la communauté internationale.
Inadmissible. Une condamnation claire de la part de l’ONU ne doit plus tarder, Elle doit être au nom de l’Humanité, et faire en sorte que l’inadmissible ne puisse plus se produire à l’avenir. Car ce n’est plus « seulement » un non-respect du droit international (ONU, Cour Internationale de Justice, Cour pénale internationale… ) et, donc, un déni violent de l’existence de la communauté internationale. C’est désormais le déni de l’humanité elle-même, bafouée, piétinée, sacrifiée sur l’autel des objectifs de domination et de spoliation de la vie des peuples et de la nature, sous l’alibi insensé et pervers d’assurer sa propre sécurité.
Les limites à l’inadmissible ont été balayées
Les agissements des fanatiques dogmatiques à la tête de l’Etat d’Israël ne sont pas les seules formes de transgression des limites (certains utilisent le concept de « frontières » pour exprimer la même idée) qui marquent le monde en cette troisième décennie du XXIe siècle. Depuis les années 80, d’abord doucement puis avec une violence grandissante, les habitants de la Terre subissent une volonté délibérée des groupes sociaux dominants de ne plus respecter les limites établies par la communauté internationale. Les limites concernent tous les domaines. La communauté y a eu recours pour protéger le vivre ensemble, la justice, les droits universels collectifs, les biens communs essentiels pour la vie, la sauvegarde et le soin de la nature, la liberté et la dignité des peuples, l’esprit de fraternité planétaire.
Le dépassement des frontières planétaires
6 des 9 « frontières planétaires » définissant l’espace de sécurité pour la vie des habitants de la Terre, selon les travaux du groupe international de recherche piloté par le Stockholm Resilience Center, ont été dépassées. Les neuf frontières sont : le changement climatique, l’érosion de la biodiversité, la modification des usages des sols, la pollution chimique, la perturbation des cycles biochimiques, l’acidification des océans, les aérosols atmosphériques, la dilution de la couche d’ozone, l’utilisation d’eau douce. (Les trois frontières non dépassées à ce jour sont soulignées).
Ces auteurs disent que ce n’est pas possible à ce stade d’en mesurer les conséquences sur le long terme, mais qu’on peut analyser les processus en cours dont la puissance de déstabilisation et de dévastation est sous nos yeux. Ceci, alors que de nombreux gouvernements sont en train de retarder, voire réviser à la baisse, les contraintes, plutôt modestes, approuvées en 2015 avec l’Accord de Paris dans le cadre de la lutte contre le changement climatique. En particulier, la « fameuse » limite à l’augmentation de 1,5 – 2,0 C° de la température moyenne de l’atmosphère terrestre par rapport à celle du début de l’ère industrielle.
Les prétentions de l’industrie chimique, des maîtres de l’IA et des seigneurs de la guerre
Ainsi, l’industrie chimique européenne, sous l’impulsion de la multinationale allemande BASF, la première entreprise chimique au monde, a affirmé dans la Déclaration d’Anvers en mars 2024, qu’elle doit être laissée libre du choix des voies et moyens de ses activités, s’arrogeant la liberté de continuer à empoisonner la terre, l’eau, l’air et les êtres humains.
Les maîtres de l’intelligence artificielle, quant à eux, prétendent que « tout ce qui est technologiquement possible » doit être fait au nom de la liberté de la recherche et du progrès. Par exemple, on doit être libre de concevoir et de produire des robots soldats (d’ailleurs avec le soutien financier public). Les drones guerriers – dont peu de monde conteste l’usage – constituent un avant-goût amer de ce que les armées de robots pourront provoquer.
Concernant les armes, les 10 États nucléaires ont rejeté avec arrogance le Traité d’interdiction des armes nucléaires approuvé le 7 juillet 2017 par l’ONU. Ils continuent, en outre, à ignorer son entrée en vigueur le 22 janvier 2021 comme partie intégrante du droit international après la ratification de plus de 50 États au monde. En date du 16 janvier 2024, 94 États l’ont signé et 73 l‘ont ratifié par les parlements nationaux. Il est inadmissible que 10 États, même s’ils sont parmi les plus puissants au monde, puissent empêcher que soient promues et respectées la justice, la sécurité et la paix pour des milliards d’êtres vivants. Cela signifie que l’humanité, son existence, son devenir, sont prisonniers d’un groupe d’oligarchies « nationales » dont la puissance est basée sur les armes nucléaires. Or, personne n’a démontré à ce jour l’utilité de ces armes pour le bien-être commun mondial ni des entreprises qui les produisent et les font « proliférer ». Cela vaut aussi pour les armes chimiques et bactériologiques. et pour le commerce des armes.
Le cas des limites transgressées par la finance globale
La liberté de fixer ses propres règles a été aussi revendiquée par la finance privée globale depuis la crise financière internationale de 1971-73 et les chocs pétroliers de 1977-78. Cette liberté
L’accaparement de la liberté par la finance elle-même, sans demander aucune autorisation aux pouvoirs publics (qui ont laissé faire), a été opéré d’abord par le développement des marchés des dérivés, véritables prédateurs de l’économie réelle. Ces marchés ont consacré, d’une part, la « légitimité » de la souveraineté acquise par les Bourses, devenues de puissantes entreprises privées et, d’autre part, l’explosion du pouvoir des fonds d’investissements actionnaires privés. Les trois principaux fonds actuels possèdent un pouvoir d’influence financière sur l’économie mondiale uniquement dépassé par deux États, les États-Unis et la Chine. Il y a des limites infranchissables à des telles acquisitions de souveraineté économique par des sujets privés. Dans un système démocratique, la souveraineté appartient au peuple. La désertion de l’État est inadmissible. L’État ne peut pas démissionner de ses responsabilités et obligations liées à des fonctions relevant de l’autorité publique, non susceptibles d’être déléguées à des sujets privés..
La finance a fait, en outre, sauter une autre limite fondamentale concernant la conception de la nature en faisant approuver par la COP15-Biodiversité de l’ONU (Montréal, décembre 2022) le principe de réduire tout élément du monde naturel à un capital naturel, un avoir financier.
On ne peut pas jeter aux orties la conception de la nature en tant que cadre de référence fondamental de la vie, dont nous les humains faisons partie intégrante, nous sommes le résultat de ses évolutions et nous nous considérons comme l’une des expressions les plus marquantes. La réduire à une catégorie de l’économie capitaliste de marché – un capital productif/un avoir financier – constitue un outrage intolérable à la valeur de la nature. Sa valeur ne saurait être réduite à la valeur donnée par le prix de marché. Une telle réification de la nature par la finance se traduit par une mutation absurde de l’essence de la nature et de son immense valeur pour la vie. À cet égard, le peuple Maori en Nouvelle Zélande a une civilisation bien plus avancée par rapport à la conception « occidentale » de la vie et du monde, lorsqu’il affirme avec conviction et solennité « Le fleuve c’est nous », Il le fait pour défendre l’intégrité vitale du fleuve, Wanganui, contre les dévastations prédatrices provoquées par une économie qui a réduit la nature à une ressource/capital productif/financier au service de la croissance des intérêts économiques des plus puissants. Les Maoris croient dans la sacralité de la vie et considèrent l’eau, notamment le fleuve, comme une forme de vie sacrée. Les sociétés occidentales croient surtout dans l’essentialité de l’argent et estiment que le rôle essentiel de la nature, qu’il s’agisse d’une molécule ou d’une forêt, est de permettre aux humains d’extraire d’elle la quantité maximale d’argent. Une forme extrême de cette conception s’est affirmée au sein des groupes dominants aux USA. Depuis des décennies, ils cherchent à imposer l’idée que « the world is ours » (le monde est à nous), dans la ligne de la déclaration du début XXe siècle (Doctrine Monroe) « America is ours ». Les Maoris se sentent partie de la nature et habitants du monde. Les dominants états-uniens (heureusement, seulement une partie du peuple américain) se considèrent les propriétaires de la nature et prétendent d’être les seigneurs du monde. Il faut défendre et renforcer les limites à cette double vision de la vie.
En en ce qui concerne la liberté octroyée à la finance par les pouvoirs publics, on doit faire référence, entre autres, à la décision prise par l’Union européenne en juin 1998 lors de la création de la Banque Centrale européenne, Les gouvernements des Etats membres, avec le soutien de tous les Parlements nationaux, ont attribué à la BCE le statut d’une organisation juridique propre indépendante de toute autre institution politique européenne et nationale. Or, la BCE a toujours affirmé qu’elle ne fixait pas la valeur du capital, le taux d’intérêt à payer pour que les acteurs économiques aient accès à l’argent, cette capacité appartenant au marché. La BCE intervient uniquement pour éventuellement « corriger » le taux d’intérêt du marché en vue de garantir une meilleure stabilité monétaire et soutenir la croissance économique. Le cas de la BCE confirme que l’une des fonctions régaliennes de l’Etat a été confiée au marché, l’indépendance politique de la BCE étant un instrument solide pour promouvoir l’indépendance politique du marché dans le domaine monétaire et financier.
Pas de limites à l’appropriation de la connaissance et à son utilisation
Pour terminer l’énumération non exhaustive des limites pour la vie bafouées et piétinées, un dernier exemple. Soutenu par une bonne partie du monde scientifique et technologique (sciences humaines, sociales et, surtout, économiques comprises), le monde du business et de la finance s’est opposé à toute révision de la réglementation existante, depuis 1980, concernant le droit de propriété intellectuelle (les brevets). La législation sur les brevets autorise l’octroi d’un droit exclusif de propriété privée à but lucratif pour une période de 18 à 20 ans (susceptible de prolongement) sur les nouvelles connaissances « acquises dans le domaine des organismes vivants, y compris les éléments et les processus cognitifs (info-communication) ». Or, les brevets représentent le transfert de la responsabilité publique de la régulation du pouvoir de traitement et d’usage de la vie à des sujets privés. Un transfert insensé.
On a pris la mesure de l’importance cruciale des brevets pour les droits universels à la santé et pour une politique mondiale de la santé à l’occasion de la pandémie COVID-19. Rappelons que 4 milliards de personnes au monde n‘ont encore aucune couverture de base en matière de santé. Eh bien, les vaccins anti Covid étaient, évidemment – et restent – sous la propriété des grands groupes de l’industrie pharmaceutique occidentale. Certains pays du Sud (Afrique du Sud, Inde…) ont demandé de suspendre provisoirement l’application des règles sur la propriété intellectuelles concernant les vaccins pour permettre aux populations du Sud d’accéder aux vaccins par eux- mêmes, Une suspension prévue, d’ailleurs, par les articles 31-33 du traité constitutif de l’OMC (Organisation Mondiale du Commerce).
Ls grandes entreprises pharmaceutiques mondiales occidentales avec le soutien inconditionnel de leurs États (États-Unis et Royaume-Uni en tête) ont rejeté avec force et cynisme la suspension provisoire. Les populations pauvres du monde du Sud ont dû attendre 2 ans, à savoir le temps que les populations des pays riches aient été vaccinées, avant de pouvoir accéder à l’achat des vaccins.
La libération
Le constat est douloureux, porteur de devenirs inquiétants.
Les citoyens doivent cesser de croire aux thèses et aux conceptions des dominants et prendre conscience qu’ils doivent défendre bec et ongle les règles et les limites qui visent à délimiter les champs du possible et leurs évolution dans le but de sauvegarder et promouvoir les droits de et à la vie de tous, pour tous. Les limites sauvent et protègent la vie, la liberté et la dignité des êtres vivants. La liberté sans limites ou selon les règles autodéterminées par les dominants est une liberté de l‘injustice, de la prédation, de la guerre. La liberté des puissants opprime et tue.
Ce qui précède montre un fait majeur. Aujourd’hui l’enjeu crucial concerne l’existence et la liberté de l’humanité et son devenir. J’ai l’impression que nous sommes en train de passer de l’ère de la libération « nationale » des peuples colonisés, mal ou bien réalisée, à l’ère de la libération de l’humanité contre la domination globale et planétaire des nouvelles oligarchies mondiales, dont l’objectif primordial est de maintenir leur puissance et leur domination avec la complicité de leurs États. Il est urgent que les citoyens expriment leur dissidence et leur résistance de manière à libérer l’humanité du système actuel d’oppression et d’injustice.
Riccardo Petrella
https://pour.press/les-dominants-ne-respectent-plus-aucune-limite/