Retour sur l’interprétation des faits
Au moment où l’on commémore le 86e anniversaire de la Nuit de Cristal (9-10 novembre 1938), une mise au point nécessaire sur l’interprétation des événements survenus avant et après le match Ajax Amsterdam-Maccabi Tel Aviv.
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Dans la nuit du 7 au 8 novembre, de nombreux supporters israéliens du Maccabi Tel Aviv ont été agressés physiquement dans les rues d’Amsterdam. Certains des auteurs de ces actes motivés par le contexte géopolitique devront en répondre devant la justice. Comment pourrait-on cautionner le fait de s’en prendre à des personnes en raison de leur appartenance nationale ?
Mais qualifier ces agissements de « pogrom antisémite » (comme a pu le faire Isaac Herzog, le président israélien, dont les propos sur l’absence supposée de civils innocents à Gaza sont bien connus et cités dans la requête sud-africaine accusant Israël de génocide devant la Cour internationale de justice [1]), ou de « chasse aux juifs » (comme a pu le faire Laurent Wauquiez, président du groupe parlementaire de La Droite républicaine ; mais aussi Geert Wilders, le chef du Parti pour la liberté, le principal parti d’extrême-droite néerlandais), relève d’une manipulation grossière des faits.
Celle-ci a été entretenue par les dirigeants, représentants et propagandistes de l’État d’Israël, ainsi que par ses soutiens inconditionnels en Europe (au premier rang desquels on trouve des politiciens français de droite et d’extrême droite, ainsi que de nombreux responsables politiques en France, en Allemagne et aux Pays-Bas). C’est aussi une insulte à la mémoire des victimes des pogroms − réels − qui se sont multipliés en Europe centrale et orientale entre la fin du XIXe s. et les années 1940. Le roi des Pays-Bas est allé jusqu’à comparer la situation de la communauté juive dans son pays occupé par les Nazis pendant la Seconde Guerre mondiale avec celle des supporters du Maccabi pourchassés et molestés par des « Arabes », un terme souvent utilisé dans les témoignages [2].
Les descendants des victimes du judéocide nazi apprécieront cette analogie pour le moins honteuse. Yad Vashem, le musée officiel de la Shoah en Israël, a fait le parallèle entre le prétendu pogrom d’Amsterdam et la Nuit de Cristal, qui a marqué le début de l’élimination physique des Allemands juifs par le régime nazi [3]. Cette institution a constamment servi, depuis sa création en 1953, à instrumentaliser la mémoire des 6 millions de Juifs européens assassinés au service du projet d’État colonial et d’apartheid en Palestine [4], alors même que le sionisme était un mouvement minoritaire au sein du monde juif de la première moitié du XXe siècle. On peut aussi rappeler que le Mémorial de Yad Vashem jouxte les ruines du village palestinien de Deir Yassin, où les milices sionistes ont massacré plus de 250 hommes, femmes et enfants en avril 1948, durant l’épuration ethnique qui a accompagné la création d’Israël. La même institution a rejeté la requête d’une cinquantaine de spécialistes de la Shoah et des études juives lui demandant de condamner les multiples incitations publiques à la destruction de Gaza et de ses 2 millions d’habitants [5].
On sait à quoi sert l’amalgame intentionnel entre les Israéliens et les Juifs : polir l’image internationale d’un État occupant et génocidaire, lequel a battu tous les records, durant le premier quart du XXIe s., en termes de meurtres d’enfants, de journalistes et de professionnels de santé. Les ressortissants israéliens attaqués après le match sont issus du même groupe de supporters surpris avant la rencontre en train d’arracher un drapeau palestinien sur la façade d’un immeuble aux cris de « Fuck you Palestine ! » et d’entonner des chants en soutien à leur armée qui s’applique à raser Gaza et à massacrer et mutiler chaque jour des dizaines − au minimum − d’hommes désarmés, d’enfants et de femmes (« Laissons Tsahal gagner et niquer les Arabes ! » ; ou encore « Il n’y a pas d’écoles à Gaza parce qu’il n’y a plus d’enfants ! ») [6]. La chasse à l’homme − condamnable − dont ils ont fait l’objet par la suite suffirait donc à blanchir de telles apologies de crimes contre l’humanité (celles-ci ne font que s’ajouter à la très longue liste d’appels à commettre des actes génocidaires contre un peuple occupé et déshumanisé par Israël depuis des décennies, des appels qui se matérialisent sur le terrain depuis 13 mois) ? A la différence des auteurs des violences arrêtés par la police de leur pays, ces ultra-nationalistes israéliens ne seront jamais traduits en justice.
[1] https://www.icj-cij.org/sites/default/files/case-related : page 73 ; le président Herzog est aussi l’un des nombreux Israéliens à avoir écrit des messages sur les bombes destinées à être larguées sur Gaza.
[3] https://www.yadvashem.org/press-release/08-november-2024-07-53.html
[4] D’après l’historienne israélienne Idith Zertal (Université hébraïque de Jérusalem), dans son ouvrage Israel’s Holocaust and the Politics of Nationhood (Cambridge University Press, 2005, p. 100) : « Le transfert de la situation [des Juifs d’Europe] durant la Shoah dans la réalité du Moyen-Orient… n’a pas seulement créé le faux sentiment d’un danger imminent de destruction massive. Il a aussi complètement déformé l’image de la Shoah, éclipsé l’ampleur des atrocités commises par les Nazis, banalisé l’agonie incomparable des victimes et des survivants, et diabolisé totalement les Arabes et leurs dirigeants. »
[5] https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/10/29/amos-goldberg-historien-i
[6] https://www.liberation.fr/sports/footba ; https://www.lemonde.fr/international/article/2024/1; https://www.nouvelobs.com/sport/2024
Aurélien VW ; abonné de Mediapart
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Qui sont les supporters du Maccabi Tel Aviv
Depuis les violences, massivement relayées, qui ont suivi le match Ajax – Maccabi Tel Aviv ce jeudi 7 novembre, on assiste à un cas d’école d’instrumentalisation. Des éléments de contexte sciemment éludés, parallèles historiques douteux avec les heures sombres des pogroms ou encore la proximité de la maison d’Anne Frank : tout est fait pour coller au narratif du gouvernement israélien. L’énergie mise par un nombre important d’éditorialistes pour faire passer les supporters du Maccabi Tel Aviv pour de simples citoyens pris pour cible “parce que juifs”, est un procédé dangereux.
La juste lutte contre le poison de l’antisémitisme mérite mieux que l’instrumentalisation grotesque qui en est faite par les extrêmes droites occidentales. Il est confortable pour les éditorialistes pro-israéliens de balayer d’un revers de main la responsabilité des franges radicales et racistes des supporters visiteurs dans ce qui s’est passé à Amsterdam. Pas moins de 2700 supporters du Maccabi Tel Aviv étaient présents en ville. Les autorités avaient pris des dispositions mobilisant de nombreux policiers dans des zones ciblées, comme les abords du stade.
Le Maccabi Tel Aviv FC, fondé en 1906, est le club le plus titré du football israélien. Ses supporters sont habitués aux ambiances des déplacements européens. Ils ne sont pas du genre à venir “en touristes”. Il y a quelques mois à Athènes, à l’occasion du match de Conference League face à Olympiakos en mars 2024, les hooligans du Maccabi Tel Aviv avaient à nouveau fait parler d’eux en agressant sauvagement trois personnes sur la place Syntagma à Athènes. Un lynchage en règle qui avait envoyé une des victimes, d’origine arabe, à l’hôpital.
“Il n’y a pas d’écoles à Gaza parce qu’il n’y a plus d’enfants !”
La plateforme “Week 4 Palestine” avait lancé un appel à y manifester, jugeant “immoral et inacceptable que le Maccabi Tel Aviv soit le bienvenu à Amsterdam et dans la compétition européenne”. Les organisations qui la composent demandent l’exclusion d’Israël du concert des compétitions sportives internationales, comme un moyen de pression pour faire cesser le massacres de la population palestinienne. Sur le modèle du sort réservé à la Russie dans la foulée de l’invasion de l’Ukraine. La tension entourant ce match était donc palpable.
En réaction, le F-Side – groupe radical historique de l’Ajax – avait prévenu qu’il ne tolérerait aucune “manifestation politique à l’intérieur comme à l’extérieur du stade” et s’était déclaré prêt à “intervenir si nécessaire”. S’il se définit comme “apolitique”, le groupe défend une identité attachée aux racines juives de l’Ajax, ce qui oriente son positionnement et certaines de ses amitiés, notamment avec le Jude Gang du KS Cracovie. Pour compléter le tableau, il est à noter que les Maccabi Fanatics ont été liés à la VAK 410, un autre groupe de supporters de l’Ajax, auto-dissout en 2016.
Les violences qui ont eu lieu après le match ont en réalité commencé la veille dans le centre d’Amsterdam, où de nombreux fans radicaux du Maccabi Tel Aviv s’étaient retrouvés. Ils se sont alors distingués par des incidents majeurs : agressions de passants ou de chauffeurs de taxi d’origine arabe, arrachage de drapeaux palestiniens, chants racistes et à la gloire des criminels de guerre. Sur les vidéos qui circulent sur les réseaux sociaux, on les entend clairement chanter “Que Tsahal gagne et nique les Arabes !”, ou encore “Il n’y a pas d’écoles à Gaza parce qu’il n’y a plus d’enfants !”.
Maccabi Fanatics, racistes bien avant le 7 octobre
Ces chants pro-génocide entonnés dans les rues d’Amsterdam, relativisés par le traitement médiatique, sont ancrés dans l’idéologie des Maccabi Fanatics qui n’ont pas attendu le 7 octobre 2023 pour déverser leur racisme anti-arabe. A quelques nuances près, le groupe est parfois considéré comme le pendant à Tel Aviv du groupe La Familia, hooligans d’extrême-droite du Beitar Jérusalem. Comme eux, ils n’ont pas hésité à jouer les gros bras du régime comme lorsqu’ils ont attaqué et blessé des manifestants anti-Netanyahu au moment des mobilisations qui avaient suivi la crise du Covid-19 en 2020.
Ce qui est tout aussi insupportable, ce sont les médias et les responsables politiques qui reprennent l’idée que ce groupe de hooligans criminels israéliens auraient été attaqués « parce que juifs ». Non, ces hooligans n’ont pas été attaqués pour ce qu’ils sont, mais pour ce qu’ils ont fait, c’est à dire terroriser une ville dans l’impunité la plus totale en scandant des chants génocidaires et pro-Netanyahou.
Ce que les médias et la classe politique veulent vous cacher :
https://blogs.mediapart.fr/henri-giorgetti/blog/091124/dans-le-port-damsterdam
https://blogs.mediapart.fr/yves-faucoup/blog/101124/l-extreme-droite-pervertit-le-sens-des-mots
https://contre-attaque.net/2024/11/09/des-nouvelles-rassurantes-des-victimes-du-pogrom-damsterdam/
https://npa-revolutionnaires.org/amsterdam-attaques-antisemites-ou-provocations-sionistes/
https://x.com/TSDKcollectif/status/1855179349533532545
Amsterdam : retour sur un cas d’école de propagande
https://www.youtube.com/watch?v=y-vheVW_O18
Source : Rebellyon.info