Face à la mort …

… Facebook se révèle très déshumanisé

Carte blanche à Sophie GOURION.

Article paru dans l’hebdo N° 1837 de Politis

Sophie GOURION a découvert, après la mort de sa mère, la décision unilatérale de Facebook de supprimer son compte.

Quand un être cher nous quitte, la douleur est immense. Mais lorsque les traces de sa présence s’effacent aussi dans le numérique, c’est une nouvelle blessure qui s’ouvre. C’est ce qui est arrivé à Sophie GOURION, autrice jeunesse et militante féministe, qui a découvert, après la mort de sa mère, la décision unilatérale de Facebook de supprimer son compte.

Facebook propose normalement une procédure dédiée pour transformer le compte d’une personne décédée en profil « En souvenir de », un espace mémoriel où les proches peuvent continuer à honorer sa mémoire. Mais dans mon cas, la plateforme s’est trompée et a purement et simplement supprimé le compte. Cette erreur de leur part, alors que je n’avais pas demandé cette suppression, représente une lourde responsabilité.

Bien qu’ils disposent d’un délai de 30 jours pour restaurer un compte supprimé, les jours défilent et je vis dans l’angoisse de perdre définitivement ces précieux souvenirs. Face à cette situation, l’absence de réponse à mes multiples demandes d’assistance sur leur site web a rendu cette disparition de plus en plus irréversible.

Ce n’est malheureusement pas un cas isolé. Sur les forums, j’ai croisé plusieurs autres personnes confrontées à la même problématique, errant sans succès pour tenter de restaurer les comptes de leurs proches disparus. Derrière chaque demande de commémoration, il y a des familles endeuillées, mais le modèle de Facebook se révèle ici très déshumanisé.

Par le passé, Facebook a déjà été critiqué pour son inaccessibilité dans des situations graves. Des utilisateurs avaient signalé l’existence de groupes fermés où des photos non consenties de femmes étaient partagées, mais la plateforme s’était révélée peu réactive. Cette inaccessibilité montre à quel point le modèle de Facebook est souvent inadapté lorsqu’il s’agit de gérer des situations éthiques ou émotionnelles sensibles.

Les réseaux sociaux sont devenus des espaces de mémoire, où les publications, photos et échanges sont comme des fragments de vie qui nous aident à faire notre deuil. En perdant ces traces, c’est une partie de notre processus de deuil qui s’envole. Cette absence est très violente, car elle efface les traces de la vie de nos proches, nous privant d’un ancrage précieux. Mais ce drame personnel soulève aussi des enjeux politiques plus larges.

Facebook, comme les autres géants du numérique, a construit un modèle économique basé sur la déshumanisation de ses services. Derrière chaque problème rencontré sur le site, il y a des utilisateurs mais la plateforme les traite comme de simples numéros. Ses réponses automatiques et son absence d’interlocuteurs humains ne font qu’ajouter à la souffrance.

Ce manque d’empathie n’est pas un accident, c’est le résultat de choix stratégiques. Récemment, Meta a licencié 11 000 employés, soit 13 % de ses effectifs, pour préserver ses marges bénéficiaires. Cette réduction des équipes dédiées notamment à l’assistance des utilisateurs montre que la rentabilité passe avant le soutien humain, en particulier dans des situations aussi délicates que le deuil.

J’espère que cette carte blanche, qui vise à nous interroger tous sur les agissements des plateformes numériques, incitera un interlocuteur humain chez Facebook à me contacter rapidement afin de remédier à cette erreur et me permettre de restaurer le compte de ma mère. Le numérique ne doit pas devenir un outil d’oubli et de déconnexion, mais bien un espace de mémoire et de lien social, y compris dans les moments les plus douloureux.

** **

La carte blanche est un espace de libre expression donné par Politis à des personnes peu connues du grand public mais qui œuvrent au quotidien à une transformation positive de la société. Ces textes ne reflètent pas nécessairement la position de la rédaction.

Sur le même sujet : «Il faut casser le monopole des plateformes en ligne et inciter les utilisateurs à partir»

** **

Commentaire à la carte blanche de Sophie GOURION

Envoyé à Politis le 25 novembre

S. GOURION est scandalisée par le fonctionnement de Face de bouc mais elle ne souhaite pas, pour autant, le quitter. Elle tente de négocier avec son bourreau … restant enfermée dans ce système qui la détruit.
On est vraiment immergé dans le monde du numérique. On ne conçoit pas sa vie sans passer par les fondamentaux de l’internet.

Face de bouc fait partie de notre inconscient ! On a bien régressé.

Mes souvenirs les plus marquants sont dans ma tête ; d’autres également dans les photos prises et éventuellement répertoriées dans un classeur-papier.

Cette fascination pour tous ces réseaux dits sociaux est difficilement compréhensible. C’est peut-être le lieu de rencontre pour certaines et certains mais c’est surtout un endroit où se déchaînent les haines.

On est connecté en permanence. On ne cherche plus à se rencontrer physiquement car on va sur les réseaux dits sociaux ! Le capitalisme a gagné car il a réussi à faire de nous des individus et non des personnes sociales. On a perdu le collectif dans beaucoup de domaines.

On est déjà bien dans ce monde de solitude quand on voit ce qui se passe dans les trains : pratiquement tout le monde se sert de son smartphone, de sa tablette. Peu lisent. Il fut un temps où il était facile de lier conversation avec des inconnus que l’on ne reverrait plus par la suite. Trop enrichissant.

Il fut un temps où les personnes déambulaient dans les rues sans être collées à leurS gadgetS.

Il est inutile d’insister sur les dégâts causés chez les jeunes : pour résumer, cette smartphonisation est une catastrophe culturelle et sociale.

Les anciens ne sont évidemment pas en reste.

Ce processus de numérisation à outrance est le grand scandale de notre époque … scandale qui n’est pas dénoncé par les élus, par les responsables politiques, qui est même ignoré. Et pourtant, à forcer dans ce sens, on va d’une part arriver à consolider cette société de surveillance, de dronisation, notamment aux dépens des militants. D’autre part, on va tellement numériser que les robots prendront la place des humains ; on le voit déjà dans le domaine social avec la catastrophe des licenciements…
Ce sera encore pire avec la mise en place progressive de l’IA. Tellement de personnes trouvent cela génial !

On oublie de parler de ce que sous-tend en amont cette évolution. Il suffit d’aller en République démocratique du Congo (RdC) pour constater que cette nouvelle époque esclavagiste est marquée par un néo-colonialisme méchant. Tout ceci se passe dans le silence presque complet des médias, notamment occidentaux. On en est aussi toutes et tous responsables dans nos pays dits civilisés : on a besoin de ces minerais pour nos joujoux connectés. Donc, on se tait. Un livre devrait d’ailleurs nous réveiller sur ce sujet ; il est écrit pas Fabien LEBRUN qui, après avoir sorti son premier livre, « On achève bien les enfants » – c’est déjà tout un programme –, vient de récidiver avec « barbarie numérique ». Il montre en détail ce qui se trame en RdC. Il serait d’ailleurs bien que Politis l’invite pour la thématique en page 6 de l’hebdomadaire.

Par ailleurs, le titre de l’article – provenant de Politis ? – est à la fois évocateur et réducteur : « Face à la mort, Facebook se révèle très déshumanisé » ; s’il n’y avait que face à la mort …..

Comme le dit si bien un de mes amis : « Pas d’autre moyen de tenter d’enrayer ça que de jeter nos sabots dans la Mégamachine infernale en réclamant un droit universel, constitutionnel, à la non connexion/déconnexion. Je me connecte éventuellement que si et quand JE le décide et pas l’État, les multinationales, les banquiers, les marchands (et les flics). »

Je voudrais aussi souligner ce qui me choque dans ce qu’écrit en substance Politis : la carte blanche ne reflète pas nécessairement la position de la rédaction. C’est un peu hypocrite. Je n’ai pas vu – heureusement – dans cette page un éloge du RN. Je suppose que cette page est acceptable et est publiée parce qu’elle a reçu l’assentiment de beaucoup de personnes travaillant à Politis.

Enfin, il est étrange que Politis profite de cette carte blanche pour proposer de lire un autre article qui n’est pas du tout sur la même longueur d’ondes : « Il faut casser le monopole des plateformes en ligne et inciter les utilisateurs à partir » ; article par ailleurs très intéressant.

Dernières remarques à propos du courrier d’un lecteur, Dominique FROGEZ (page 4 du même numéro). Il commence ainsi : « d’après une pseudo-étude scientifique … » ; et il raconte la fable de la grenouille. D’après une nouvelle étude qui aurait des vertus scientifiques, cette fable est fausse ; la grenouille sort de l’eau lorsqu’elle devient trop bouillante. Comme le dit D. FROGEZ, il faut effectivement que nous sautions de cette marmite.