L’école s’effondre, et …

… On cogne sur les profs

C’est – à peu de choses près – une petite phrase d’un ancien président de la République. Une phrase en réalité bien  petite…, à l’image de celui qui a osé la proférer. Une phrase médiocre jetée à la face de l’opinion, complaisamment reprise par les médias de masse, et qui sans doute aura fait son effet, c’est à dire beaucoup de mal auprès des enseignant.es, ces premier·es de cordée au service des élèves de la nation. Une phrase comme une insulte qui m’a instantanément replongé dans les années 2008, en un temps où Xavier Darcos était son ministre de l’Éducation nationale.

Face aux contre-réformes pédagogiques impulsées par la droite sarkoziste au pouvoir, contre-réformes qui portaient atteinte à l’éthique de nos missions d’enseignant du primaire, j’avais publiquement exprimé, un jour de novembre 2008, mon refus d’en être complice par une lettre adressée à mon inspecteur qui commençait en ses termes : « Monsieur l’inspecteur, je vous écris cette lettre, car aujourd’hui, en conscience, je ne puis plus me taire ! En conscience, je refuse d’obéir. » L’onde de choc de cette désobéissance assumée au grand jour avait suscité un vaste mouvement collectif de résistance et de désobéissance des enseignants du premier degré, que l’on nommait alors les « désobéisseurs ».

Nous disions à l’époque que les réformes que nous contestions ouvrait une brèche vers une école à deux vitesses, vers une école dominée par le culte de la performance individuelle, par la compétition des uns contre les autres, une école caporalisée où les enseignants deviendraient de dociles exécutants de dispositifs pédagogiques aussi stupides qu’inefficaces, et surtout une école de plus en plus déshumanisée et maltraitante. Nous refusions les évaluations nationales standardisées, l’aide personnalisée stigmatisante, les nouveaux-vieux programmes simplifiés à outrance. Nous défendions les milliers de postes d’enseignants du RASED, décimés du fait de choix politiques inspirés par le libéralisme le plus débridé. Et surtout nous défendions une certaine idée de l’école, une école qui émancipe et élève, une école qui apprend le respect et la tolérance, une école du progrès pour tous.

Nous avions alors conscience que c’était probablement notre dernière chance d’espérer inverser la logique mortifère de destruction de l’école. En refusant d’appliquer ces contre-réformes destructrices, non seulement nous ne voulions pas être complices du mal que nous dénoncions, mais nous avions l’ambition d’empêcher leur application dans les classes, et ainsi de permettre à l’école publique de repartir sur d’autres bases, plus justes et plus efficaces. Nous disions que les enseignants du primaire devaient reprendre la main sur leur métier en commençant à le faire dans leurs classes, dans un esprit de responsabilité, loin des injonctions contradictoires de la hiérarchie. Nous avions mille fois raison de désobéir, malgré les risques de sanction, malgré les pressions, voire les incompréhensions. L’histoire nous donne aujourd’hui dix-mille fois raison.

La petite phrase de Nicolas Sarkozy, aussi lâche que pernicieuse, survient dans un moment où l’école craque de tous côtés. Nous sommes en effet les témoins (et pour une part, les acteurs) d’un effondrement du système scolaire, effondrement qui est aujourd’hui à l’œuvre en maternelle et en élémentaire. Tous les jours, des enseignant.es du primaire sont méprisé.es, sont insulté.es, sont frappé.es par des élèves en grande souffrance psychique. Tous les matins, des enseignant.es du primaire, toujours plus démuni.es et déprimé.es, abordent la journée qui vient dans l’angoisse. Elles et ils souffrent du fait de leur impuissance à faire correctement et dignement leur métier face à l’indiscipline, la souffrance et la violence de nombreux élèves, dans un système scolaire de plus en plus inadapté et maltraitant.

L’école de la République s’effondre et, pendant ce temps, on tape sur les profs…

La majorité des enseignant.es est en effet en détresse psychologique et il faudrait faire comme si tout allait bien ? On supprime des milliers de postes, alors que des milliers de classe sont sans enseignant attitré et il faudrait se taire ? En réalité, le système scolaire ne tient que par la volonté, l’abnégation et le sacrifice de celles et ceux qui sont en première ligne, et qui inévitablement finiront par tomber un jour où l’autre. Il n’y a jamais eu autant d’arrêts maladie, de dépressions et de démissions. Quant aux suicides d’enseignants, les dernières données officielles datent de 2019 : 58 suicides pour l’année 2018-2019, soit un suicide par semaine. Combien aujourd’hui ?

L’école de la République s’effondre et, pendant ce temps, on tape sur les profs…

Dans de nombreux endroits, ce sont les parents qui pourrissent littéralement la vie de l’école et le travail des enseignants. Ceux-là seront satisfaits par la petite phrase de N. Sarkozy… qui les confortera dans leurs petites exigences quotidiennes, sans avoir la moindre connaissance de la difficulté, voire de l’impossibilité du métier d’enseignant. J’en ai été le témoin direct et aussi la victime l’an dernier. A quelques années de la retraite, j’ai soixante ans, j’ai fini par demander un poste de titulaire remplaçant afin de ne plus porter la responsabilité et la charge mentale d’une classe à l’année dans un environnement totalement dégradé et malveillant envers les enseignant.es. Et partout où je vais depuis le début de l’année, je ne vois que désarroi, grande fatigue, souffrance et désespérance.

En 2009, invité à m’exprimer au plateau des Glières lors du rassemblement annuel des Citoyens résistants d’hier et d’aujourd’hui, j’avais dit qu’il était « minuit moins cinq » avant la mort programmée de l’école de la République. J’en appelais à « l’audace » pour réveiller les consciences endormies et sauver l’école. Que faut-il dire aujourd’hui ? Qu’il est minuit moins une ? Sans doute. Et après ?

Tout converge pour affirmer que l’école est désormais en sursis. Car l’effondrement qui est en cours est aujourd’hui parfaitement assumé par les élites qui ont bien compris qu’elles étaient dans l’incapacité de « redresser » ce qui ne peut plus l’être, et mieux encore, parce que ces mêmes élites ont en réalité la volonté de ne rien faire pour sauver l’école de la République, tant les investissements nécessaires seraient considérables. L’école est condamnée à ne plus être « nationale ». A terme, elle sera privatisée ou municipalisée (ou les deux) et sera ainsi soumise à des intérêts politiques et économiques dont les valeurs sont à l’opposé de celles des fondateurs de l’école républicaine.

C’est avec beaucoup de désillusion et de désenchantement que j’écris ces lignes en guise de révérence pour un combat qui m’a apporté de grandes espérances, mais aussi pour un métier qui m’a apporté de nombreuses satisfactions, malgré les contrariétés et les difficultés. Je crois que si l’inattendu reste toujours possible, il demeure malheureusement peu probable ; du moins, à cet instant.

Viendra-t-elle l’étincelle qui apportera un peu de lumière et d’espoir à l’école de la République en ces temps de ténèbres angoissantes ?

https://blogs.mediapart.fr/alain-refalo/blog/251124/alors-que-l-e