Les conséquences au niveau de l’université
La politique de soutien à l’alternance a été initiée par M. Macron en 2017-2018, malgré l’opposition de Bercy. Elle a conduit à une augmentation du nombre d’apprentis de trois-cent-mille à un million en six ans au prix de prélèvements abyssaux dans les finances publiques et d’abus non régulés. La réforme de l’alternance a profité aux entreprises, qui trouvent dans les apprentis une main-d’œuvre bon marché: « ce contrat reste celui actuellement disponible sur le marché du travail dont le coût du travail est le plus faible » d’après l’OFCE. En particulier, la réforme permet aux entreprises, même florissantes, de s’offrir des diplômés à bas prix. Ainsi, 61,6% des entrées en apprentissage concernent désormais des étudiants préparant un diplôme d’études supérieures, alors qu’ils étaient minoritaires avant 2020. Les jeunes ni en emploi ni en formation (Neet) n’ont pas bénéficié de cette dynamique.
La dérégulation de l’alternance, auparavant gérée par les régions, a surtout profité aux centres de formation privés. Les fonds d’investissement ont tiré profit de cette situation, en se dotant d’organismes de formation permettant des taux de profit record, du fait de la générosité des subventions publiques. Ainsi, chez Galileo Global Education, l’employeur de Mme Pénicaud, ministre du travail au moment où fut votée la réforme de l’alternance (Loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel, LCAP 2018), un cadre rapporte que 20% seulement du financement d’une formation par le contribuable vont à l’enseignement. Un apprenti coûte environ 26 000 euros à l’État, soit deux fois plus que ce qui est consacré à chaque étudiant du supérieur, auquel il faut ajouter les subventions différées de la protection sociale. Les escroqueries sont légions : centres de formation virtuels, écoles pratiquant le surbooking, etc. Les garde-fous mis en place, comme la certification Qualiopi, sont insuffisants et facilement contournés. Les inspecteurs du travail, comme partout, sont en sous-effectifs.
France compétences (sic), l’organisme public gérant le budget de l’apprentissage, a vu son déficit se creuser, atteignant 5,9 milliards d’euros en 2022. L’État a dû renflouer les caisses à plusieurs reprises pour éviter la cessation de paiement. Les rapports de l’Inspection Générale des Finances et de la Cour des Comptes montrent que l’alternance a surtout permis d’arroser les entreprises d’argent public sans contrepartie, avec un effet limité sur l’accès à l’emploi. En somme l’alternance est l’homologue pour l’enseignement universitaire de ce qu’est le Crédit d’Impôt Recherche (7 milliards d’euros) pour la recherche scientifique. Le coût de l’aide aux entreprises embauchant des apprentis a été multiplié par 3,5 entre 2018 et 2024, atteignant environ 25 milliards d’euros par an. Ce calcul n’inclut pas certaines dépenses comme les cotisations de retraite, évaluées à 12 milliards d’euros par an.
Cette débauche d’argent public explique le succès du dispositif, avec 850 000 nouveaux contrats signés en 2023. Cependant, une grande partie de ces emplois sont attribuables à un effet de substitution, où des emplois classiques sont transformés en contrats d’apprentissage en raison de leur coût moindre pour l’employeur. Il faut également noter que l’apprentissage est pointé par plusieurs rapports comme principale source de la baisse de la productivité nationale.
En plus du Crédit d’Impôt Recherche, il faut d’urgence réformer le financement public de l’alternance (20,4 milliards d’euros auxquels il faut ajouter 7,2 milliards d’euros d’apprentissage) et le réallouer au service public. Les économies budgétaires réalisables sur les aides directes aux actionnaires sont considérables : les CFA en société commerciales redistribuent 32,5 % des excédents sous la forme de dividendes.
Elles permettraient facilement de sanctuariser le budget de l’enseignement supérieur et de la recherche, dont la baisse programmée est de 1,3 milliards d’euros, une fois prise en compte l’inflation autour de 2,1%. La subvention pour charge de service public baisse de 430 millions d’euros alors qu’il manquait déjà 1 milliard d’euros de SCSP pour couvrir la masse salariale de l’ESR.
L’Université est sur la paille, c’est un fait. Nous n’en sortirons qu’en construisant un modèle alternatif à celui qui a conduit à 20 ans de décrochage scientifique, de précarisation, de paupérisation et d’insignifiance bureaucratique. Et non pas en cherchant refuge dans les feintes alertes ou la cécité volontaire.
https://rogueesr.fr/investir-recherche-universite/
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Alors que nous sommes lourdement taxé.es, nos services publics sont gravement défaillants, aussi est-il légitime de nous demander où va l’argent de nos impôts. L’analyse qui suit met en évidence l’invraisemblable gabegie d’argent public de la formation en alternance, argent qui fait défaut à l’Université.