les rebelles entrent dans Goma dans l’indifférence de la communauté internationale
Le mouvement rebelle M23 soutenu par l’armée rwandaise est entré dans la ville d’un million d’habitants, sans parvenir pour l’heure à la contrôler totalement. Ni les forces internationales déployées sur place, ni les États partenaires du Rwanda n’ont pu – ou voulu – empêcher la catastrophe humanitaire qui s’annonce.
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Cela faisait des jours qu’ils progressaient vers Goma, la capitale du Nord-Kivu, à l’est de la République démocratique du Congo (RDC). Ce 27 janvier au matin, les combattants du Mouvement du 23 mars (M23) sont entrés dans la ville.
Des vidéos amateurs les montrent progressant à pied, en colonnes, à la lueur orangée des lampadaires. D’autres images, prises alors que le jour s’était levé, les montrent rassemblés en groupes de plusieurs dizaines, casques sur la tête et fusils en bandoulière, circulant à l’arrière de pick-up ou de camionnettes.
« L’entrée des rebelles a été signalée vers 6 h 30 par le quartier Majengo, au nord de la ville », rapporte à Mediapart Ronely Ntibonera, journaliste congolais habitant Goma. Les combattants du M23 ont depuis été vus dans plusieurs autres quartiers de la capitale provinciale, notamment à l’ouest de la ville (vers le rond-point dit CCLK), et sur la colline où est installé le siège de la Radio-Télévision nationale congolaise, non loin du lac Kivu.
s la ville de Goma, dans la nuit du 26 au 27 janvier 2025. © Montage Sébastien Calvet / Mediapart
Les rebelles sont appuyés par des soldats de l’armée régulière rwandaise, qui soutient militairement et politiquement la rébellion depuis sa création, en 2012.
Si leur entrée dans Goma au petit jour, ce 27 janvier, a semblé se faire sans combats majeurs, les rebelles ont depuis affronté les forces armées congolaises et leurs alliés à plusieurs endroits. La déclaration de victoire du M23, qui assure avoir « pris Goma », est pour l’instant prématurée – même si cela peut être une question d’heures. Pour montrer que la ville n’est pas encore entièrement contrôlée par leurs adversaires, des soldats congolais se sont filmés en train de défendre l’aéroport de Goma.
D’autres vidéos moins flatteuses, dont Mediapart a pu prendre connaissance, montrent des soldats congolais possiblement abandonnés par leur commandement errer en ville. « Ils ne savent plus où aller… Ils sont dans une confusion totale. Aucun officier n’est avec eux », commentent, dépités, les habitants qui les filment depuis leur balcon.
« Il semble y avoir des problèmes de coordination des opérations, ainsi que des problèmes au niveau des transmissions et du renseignement » du côté de l’armée congolaise, analyse Josaphat Musamba, doctorant à l’université de Gand et chercheur au Groupe d’études sur les conflits et la sécurité humaine (GEC-SH). Le chercheur, fin connaisseur des groupes armés congolais, invite à relativiser la supériorité numérique de l’armée congolaise : « Certes, l’armée congolaise est plus nombreuse. Mais les 4 000 soldats du M23 peuvent compter sur l’appui d’environ 4 000 à 6 000 soldats de l’armée rwandaise, ainsi que des combattants récemment recrutés par le M23 dans les zones qu’il contrôle. »
Des affrontements étaient également signalés, à la mi-journée, dans le centre de Goma, notamment dans le quartier dit des Volcans. « Cela tire beaucoup aux Volcans, des armes légères et des armes lourdes, depuis ce matin », indiquait en fin d’après-midi lundi 27 janvier Catherine Batende, une habitante du quartier jointe par Mediapart. Goma, ville de plus d’un million d’habitants, abrite également depuis 2022 plusieurs centaines de milliers de personnes ayant fui les combats dans le reste du Nord-Kivu.
« Des jeunes sortis de chez eux pour regarder ce qui se passait ont été blessés par balles », relate Ronely Ntibonera en début d’après-midi. « Il n’y a pas d’activité en ville. Les boutiques sont fermées, les stations-services aussi. On voit juste quelques motos-taxis transportant des hommes en armes. »
Plus préoccupant encore : des échanges d’artillerie ont eu lieu de part et d’autre de la frontière avec le Rwanda voisin. L’armée rwandaise a confirmé avoir procédé à des tirs de mortier et d’artillerie sur le territoire congolais, en réponse à des tirs en provenance du Congo qui auraient tué cinq civils. Les villes se trouvant des deux côtés de la frontière (Goma côté RDC, Gisenyi côté rwandais) sont toutes les deux densément peuplées, laissant craindre un nombre important de victimes si ces bombardements se poursuivaient.
Impuissance internationale
Après avoir pris une première fois Goma en novembre 2012, le M23 était entré dans une phase de négociations avec les autorités de Kinshasa, puis avait déposé les armes en 2013. Le groupe armé a repris ses opérations en 2021, sur fond de tensions entre les gouvernements congolais, rwandais et ougandais, de désintérêt des acteurs internationaux et de sentiment de marginalisation des Tutsis congolais (dans les rangs desquels le M23 recrute largement).
Car même si les conflits de l’est de la RDC ont des racines locales, le M23 est largement utilisé comme un moyen d’influence par le Rwanda, son principal soutien. « L’impulsion principale de [la] résurgence du M23 [en 2021] est extérieure à la RDC », estiment dans un rapport conjoint sur le M23 les deux principaux instituts de recherche sur la RDC – l’institut Ebuteli et le Congo Research Group Center de l’université de New York (États-Unis). Si « la faiblesse de l’État congolais a aggravé la crise », explique le rapport, le M23 « est surtout apparu comme un moyen pour le Rwanda de projeter son influence contre son voisin du nord, l’Ouganda ».
Pour faire face au M23, les Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC) peuvent, théoriquement, compter sur l’appui de Casques bleus de la Monusco et d’une force régionale de maintien de la paix, la force régionale d’Afrique australe. Mais cette présence internationale n’a manifestement pas empêché les rebelles d’arriver jusque dans Goma. Treize soldats issus de ces forces de maintien de la paix ont été tués dans des combats avec le M23 ces derniers jours.
Le conseil de sécurité des Nations unies, réuni en urgence le 26 janvier, était suivi de près par les Congolaises et Congolais qui espéraient le voir déboucher sur des actions concrètes afin de stopper la progression rebelle. Mais les déclarations condamnant fermement l’incursion du M23 et de l’armée rwandaise n’ont pas suffi à y mettre un terme.
De quoi nourrir l’incompréhension et la colère, ainsi que les observateurs de cette guerre. « Il serait facile de mettre fin aux agissements du Rwanda en RDC », car « le principal instigateur du conflit du M23 est le gouvernement du Rwanda, un pays dépendant de l’aide étrangère », relève le chercheur Jason Stearns, ancien membre du groupe d’experts des Nations unies sur la RDC et professeur associé à l’université Simon Fraser (Burnaby, Canada).
L’échec des donateurs internationaux à faire pression sur le gouvernement rwandais afin qu’il cesse ses opérations en RDC « leur donne une responsabilité considérable dans la crise actuelle », estiment dans le même sens les chercheurs d’Ebuteli. Malgré son soutien au M23 et malgré son entrée en guerre désormais à visage découvert au Congo, le Rwanda de Paul Kagame entretient une coopération militaire avec la France.
Officiellement, Paris donne peu de détails à ce sujet. Mais on en trouve trace dans plusieurs documents. Le rapport annuel 2024 sur les exportations d’armement français mentionne ainsi une licence pour une « formation opérationnelle » accordée au Rwanda pour un montant de 600 000 euros, sans donner de détails sur la nature de cette formation.
L’armée française participe également à la formation d’officiers des forces armées rwandaises. En mars 2024, le Rwanda était mentionné parmi les pays d’origine des élèves officiers et des cadets en formation à l’Académie militaire de Saint-Cyr Coëtquidan (promotion 2023-2024) par le bulletin interne de l’école.
À la fin 2023, le Rwanda était également mentionné parmi les pays ayant envoyé des stagiaires lors d’une formation de cinq semaines aux écoles militaires de Draguignan, qui incluait « l’apprentissage des fondamentaux du combat interarmes », selon une autre publication interne de l’armée de terre française.
Interrogé plus en détail sur le contenu de cette coopération militaire, le ministère des armées français n’a pas souhaité nous répondre. Également sollicité, le Quai d’Orsay nous a renvoyée vers les déclarations françaises condamnant l’offensive du M23 et des forces armées rwandaises.
Sans préciser si les derniers événements étaient de nature à remettre en cause la coopération bilatérale avec Kigali.
Mediapart
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Un article de deux pages sur la RdC dans le numéro de « l’âge de faire » de février : une intervention de Fabien LEBRUN