L’Algérie sous séquestre

Alors qu’à Paris, la jeune Troisième République massacre les Communards, en Algérie, l’armée réprime les Kabyles révoltés

Didier Guignard ne s’intéresse pas à l’insurrection et à sa répression, mais à une mesure exceptionnelle prise par le gouvernement français : châtier les Kabyles en

Alors qu’à Paris, la jeune Troisième République massacre les insurgés de la Commune sous le regard intéressé du chancelier Bismarck, en Algérie, l’armée réprime les Kabyles révoltés. Avec 1871. L’Algérie sous séquestre, Didier Guignard ne s’intéresse pas à l’insurrection et à sa répression, mais à une mesure exceptionnelle prise par le gouvernement français : châtier les Kabyles, impliqués ou pas dans la révolte, en accaparant leurs terres et en leur imposant des amendes extrêmement lourdes. Comme la prise des biens appartenant aux révoltés ne garantit nullement que l’État va mettre la main sur des terres intéressantes pour la colonisation, il est plus pertinent de punir tout le monde. Aux séquestres nominatifs touchant les réfractaires, la puissance coloniale y ajoutent donc des séquestres collectifs. L’occasion a donc fait le larron.

Cette mesure, prise en urgence et portée davantage par les colons que par le pouvoir central, donne une nouvelle impulsion au projet colonial en « libérant » des terres de leurs usagers locaux. Ce sont près d’un million de colonisés qui sont victimes de cette politique, et un demi-million d’hectares qui changent de propriétaires, alors que Paris n’en attendait que 100 000 pour les futurs colons.. Mais la volonté de vengeance se heurte rapidement à l’impossibilité de mettre en œuvre cette politique brutale dont les conséquences sociales peuvent être dévastatrices : outre la chute des recettes fiscales, la misère, le banditisme et les risques de nouvelle révolte. Pensant se sortir d’affaire, les autorités jugent alors plus judicieux de négocier avec les autorités villageoises… qui ne sont guère en position de force : 20 % des terres appartenant aux tribus sont séquestrées, et d’autres terres intéressant les colons leur sont achetées à vil prix.

La région kabyle des Issers, à l’est d’Alger, fut particulièrement frappée par cette punition collective. En s’y intéressant, l’auteur « modifie radicalement notre compréhension » de cette crise, en soulignant que cette séquestration fut en réalité un « processus long et fastidieux », la puissance coloniale devant affronter des populations rurales profondément attachées à leur lieu de vie et de travail. Long et fastidieux car la brutalité coloniale et libérale se heurte à son propre droit qui protège la propriété privée. La commission mise en place pour organiser le séquestre se heurte aux us et coutumes locales, au droit d’usage comme de propriété, en somme au droit foncier kabyle, mais aussi aux divergences quant à l’appréciation de la qualité et l’utilité des terres à séquestrer. Les conséquences de cette politique ? « La privation des ressources foncières et numéraires est évidemment dramatique dans une économie de subsistance » nous dit l’auteur, mais cela ne se traduit pas par un exode rural massif comme on l’a longtemps pensé, mais plutôt par l’émergence d’un prolétariat rural, les anciens fermiers ou petits propriétaires les plus chanceux devenant les ouvriers agricoles ou métayers des nouveaux possédants, provoquant des tensions au sein des communautés rurales précarisées. Les colons européens qui s’installent sur les anciennes terres tribales sont conscients, écrit l’auteur, qu’ils vivent entourés d’« autochtones toujours pauvres ou appauvris, n’ayant rien oublié des violences passées » ; des autochtones, qui loin d’être des victimes accablées de la violence coloniale, lui résistèrent de mille façons pendant des décennies.

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