Expulsion de la Gaîté lyrique à Paris : violence d’État face à des jeunes isolés
Lundi matin, la préfecture annonçait l’expulsion du théâtre de la Gaîté Lyrique, un lieu culturel appartenant à la mairie de Paris, dans lequel étaient réfugiés entre 400 et 500 jeunes isolés dans l’attente de faire reconnaître leur minorité devant un juge des enfants.
Moins de 24h après – à 5h40 mardi matin – près de 400 policiers et CRS quadrillaient le quartier. Un dispositif démesuré face à des jeunes, parfois très jeunes, arrivés seuls en France il y a quelques semaines ou quelques mois, survivant avec presque rien et portés par l’espoir de faire respecter leurs droits en tant que mineur en danger.
Alors qu’ils n’avaient pas l’intention de se maintenir dans les lieux, que tous les jeunes étaient sortis et attendaient les informations de la préfecture sur les potentielles propositions de mise à l’abri, ils se sont retrouvés face à une vague de violences.
Les soutiens rassemblés devant le théâtre ont été nassés (pratique illégale selon la CEDH), gazés, frappés. Après plusieurs heures d’attente, les CRS ont chargé à l’aveugle, des jeunes et des soutiens sont tombés, ont été piétinés, frappés à coups de matraque. Plusieurs ont fait des malaises, de nombreuses personnes ont dû être prises en charge par les équipes médicales et les pompiers.
Malgré les promesses de la mairie de Paris, aucune solution adaptée n’a été proposée, la préfecture a simplement débloqué des places dans des centres d’hébergement temporaires pour adultes à Rouen, soit à 150 km de la capitale, et où ils ne pourront rester que trois semaines. Des propositions qui montrent la volonté de les sortir de leur recours de minorité, de les isoler et les invisibiliser alors que tous ont leur avocat ici, certains vont à l’école, ont des rendez-vous de prévu, et un réseau bienveillant autour d’eux.
Les jeunes ont été menacés de contrôles, une soixantaine d’entre eux ont été emmenés dans les commissariats alentours, certains sont repartis avec des OQTF malgré leurs papiers attestant de leur recours de minorité, encore une fois, des pratiques illégales.
Les personnes restant sur place ont été violemment dispersées. Pendant plusieurs heures, des policiers ont continué de traquer les jeunes dans les rues de Paris, ne leur laissant aucun répit.
Près de 450 jeunes se sont retrouvés à la rue, d’autres au commissariat ou à l’hôpital : une expulsion “réussie” selon le gouvernement qui s’est félicité pour cette opération, sans un mot pour les blessés, ni un regard pour les nombreux témoignages de violence.
Dans la Manche, deux décès en moins de 24 heures
Mercredi matin, les secours sont intervenus pour une embarcation en mer au large de Boulogne. Un jeune homme a été récupéré inconscient dans l’eau et déclaré décédé peu de temps après. L’embarcation était partie plus tôt de la plage d’Hardelot et devait embarquer un nouveau groupe de personnes au niveau d’Equihen.
Le lendemain matin, à nouveau, nous apprenons le décès d’un homme. Le groupe avait embarqué vers Gravelines, sur une embarcation partie plus tôt de Dunkerque. Il y avait entre 80 et 100 personnes, dont plusieurs familles. Les secours en mer sont intervenus pour trois personnes dans l’eau, puis ont récupéré douze personnes à bord de l’embarcation. L’une d’entre elles était inconsciente et n’a pas pu être réanimée.
Ce système de taxi boats est de plus en plus utilisé pour éviter l’intervention de la police (qui ne peut intervenir sur une embarcation déjà en mer avec des personnes à bord), mais il oblige le groupe de personnes à avancer dans l’eau, parfois jusqu’à n’avoir plus pied, pour ensuite se hisser à bord, dans une embarcation déjà surchargée.
Abandonné après avoir été secouru en mer
Nous sommes présents à de nombreux retours de sauvetage dans les ports de Dunkerque, Gravelines, Calais et Boulogne, et si les communiqués officiels affirment que “les personnes secourues en mer […] sont ensuite prises en charge par les secours à terre”, la réalité est bien différente.
Mercredi, une dizaine de personnes n’a pas réussi à monter à bord de l’embarcation plage d’Equihen. Elles sont revenues à la nage sur la plage, trempées. Une jeune femme qui connaissait l’homme décédé ce jour-là, faisait partie de ce groupe. Policiers et pompiers étaient présents, mais aucune distribution n’a été possible, les associations ont été tenues à l’écart et après plus d’une heure d’attente, les personnes ont finalement été embarquées par la Police Aux Frontières, toutes portant encore leurs vêtements mouillés.
Jeudi, les personnes secourues en mer et ramenées au port n’ont eu aucune prise en charge. Lorsque nous sommes arrivés, les policiers et pompiers présents en ont profité pour partir, laissant les personnes trempées et choquées. Il y avait deux familles avec six enfants de 2 à 15 ans. C’est l’un d’eux qui nous a prévenu qu’une personne était morte.
Aucun accompagnement psychologique n’est proposé aux personnes qui ont parfois cru mourir, ou ont vu des personnes mourir. Rien non plus pour les proches des victimes.
Ce sont donc souvent les équipes d’Utopia 56 qui se retrouvent à écouter, tout en distribuant des vêtements secs, de l’eau et des biscuits, et tenter de répondre aux premiers besoins de ces personnes venant de vivre un sauvetage. Régulièrement, et notamment lorsqu’il y a des décès, la Police Aux Frontières est présente, et interpelle plusieurs personnes pour les interroger pendant des heures, bien souvent, sans eau ni nourriture.
Depuis maintenant plusieurs années, nous dénonçons ce qu’il se passe en mer, mais aussi à terre : si l’intervention de l’État est flagrante pour tenter d’empêcher les départs et a pour conséquences de faire prendre plus de risques aux personnes ; il y a un grand vide quant à l’accompagnement et les secours à terre, les personnes sont abandonnées, comme si leur détresse était moins valable que celle d’autres personnes.