Quand cessera la farce des COP ?… suite et fin

Troisième partie

 

Une pétromonarchie en mer de Barents

Comme on le sait, la Norvège est une pétromonarchie finissante avec l’épuisement de ses puits en Mer du Nord. L’aventure avait commencé vers la fin des années 1960 avec la découverte d’un glissement au beau milieu de la Mer du Nord. Par chance il se situait dans la zone économique exclusive de la Norvège. Quelques dizaines de miles nautiques plus à l’Ouest c’est la pétromonarchie britannique avec sa future Dame de Fer qui bénéficiait des royalties du pétrole. Pour le pays Scandinave la manne pétrolière non monopolisée, les pétrodollars non détournés vers les paradis fiscaux ont  plutôt favorisé les largesses de l’Etat providence… Mais toute bonne chose a une fin, le social biberonné au pétrole arrive au moment du sevrage. Avec l’épuisement des gisements, un savoir-faire accumulé dans l’offshore des conditions difficiles de mer du Nord se retrouve en friche. Une page de l’histoire du pays est en train de se tourner. Que faire en ces temps de menace climatique ? Prendre enfin conscience du désastre environnemental de l’industrie pétrolière et tourner la page du pétrole ou faire comme la France dans se friche nucléaire, s’accrocher en rêvant à de nouveaux horizons pétroliers.

La question a été immédiatement tranchée après la COP 21. En bon stratège du Greenwashing, la Norvège signait l’Accord de Paris mais, un mois plus tard, les démons du grand large et du pétrole offshore avaient repris le dessus à Oslo. Plus loin, plus profond, plus dévastateur mais aussi plus guerrier… Au-delà de la Mer du Nord, lorsqu’on remonte vers Est et le cercle polaire il y a l’Eldorado de la Mer de Barents. Un espace maritime où la Norvège peut mettre à contribution sa zone économique exclusive. Mais en ce lieu hautement inhospitalier on s’avance vers les chasses gardées de l’empire de Russie, lui aussi en marche vers les hydrocarbures arctiques. Le Welfare State scandinave doit se transformé en Warfare State. Dans ses prospections extrêmes, le travailleur scandinave s’avance discrètement sous la bannière de l’OTAN. Cependant les conditions climatiques à ces latitudes complexifient l’analyse. La prise de risque environnementale extrême de l’aventure arctique rebat les cartes géostratégiques. Elle est telle qu’elle favorise plus les complicités que la concurrence au sein de la communauté des géants pétroliers.

Même s’il est évident que la « communauté internationale » se fiche tout autant des écosystèmes arctiques que du climat, paradoxalement ces questions préoccupent au premier point tous les Etats impliqués dans la conquête pétrolière circumpolaire. Aucun d’eux ne veut faire seul le premier faux-pas. Aucunes compagnies pétrolières ne peut seule assumer la responsable d’un Deep-Water Horizon incontrôlable dans l’Arctique… Et, surprise de taille, il se trouve que, dans la conquête pétrolière circumpolaire, la pétromonarchie norvégienne apparaît comme l’Etat le plus entreprenant. Le géant Russe à côté fait grise mine et reste loin derrière, même avec son exploit symbolique en 2007 du planté de drapeau sous la banquise dans les abysses au pôle Nord.

Avec Statoil, la compagnie nationale norvégienne, on est par contre dans le concret du panache pétrolier ; elle nous offre un vertigineux tour du propriétaire. Le lecteur peut réviser sa géographie du cercle polaire. Presque toutes les mers libres de banquise au-delà du cercle polaire ont au moins un projet de prospections de pétrolier. Mer des Tchouktches, au nord du détroit de Bering, Mer de Beaufort au nord de l’Alaska, Mer de Baffin entre l’île de Baffin et le Groenland, un projet, mer du Groenland et pour clore le tour du pôle Nord, la Mer de Barents. Statoil est partout, dans les partenariats pour tous les coups, son expérience dans l’offshore de Mer du Nord rend ce groupe incontournable. En janvier 2012 la pétromonarchie régalait la communauté internationale avide d’hydrocarbures avec ses mises en bouche à la conférence « Arctic Frontiers » (11)…

Pendant ce temps, coté feux de la rampe et grand spectacle, le paravent « responsabilité environnementale » de la Norvège fonctionne à merveille à l’échelle européenne…

Mais en 2017, l’écran de fumée médiatique était soudain dissipé. Par une plainte de deux ONG environnementales contre l’Etat norvégien, on redécouvrait à la veille de la COP 23 le double langage d’Oslo et l’unité du monde sous le modèle pétrolier étasunien.

Les deux ONG « accusent le gouvernement d’avoir violé la Constitution du royaume ainsi que l’accord de Paris sur le climat en autorisant, le 18 mai 2016, la prospection pétrolière dans une zone jusque-là inexploitée, en Mer de Barents. Trois licences couvrant au total 40 blocs ont été attribuées à treize compagnies, dont le norvégien Statoil, dans une région longtemps disputée à la Russie, jusqu’à la signature d’un accord en 2010. » (12) L’Etat providence d’un temps s’efface et s’inscrit désormais en première ligne dans la nouvelle géostratégie polaire de la Guerre du Pétrole.

Les GPII survivent à l’Accord de Paris

Après ce tour du monde Candide des bonnes intentions, retour dans l’Hexagone avec l’œil lucide de Voltaire. Dans l’Hexagone, les « éléphants blancs » prolifèrent, on est donc loin du « meilleur des mondes possible ». Accord de Paris ou pas, l’indéboulonnable statu quo des affaires est à la manœuvre. Autour des juteux marchés publics, les spéculations foncières et immobilières vont bon train, la routine du désastre durable de l’aménagement du territoire. Pendant les négociations les bulldozers sont à l’œuvre… Que dire face à autant d’inconséquences environnementales ?

Rappelons avec calme le b.a-ba et les lignes de front des combats en cours.  Plutôt que de lever le nez  au ciel pour quantifier les nuées menaçantes, c’est vers la terre ferme qu’il faut porter un regard lucide, car en définitive la question fondamentale de l’instant c’est quelle place laissons-nous à la biodiversité pour qu’elle chasse la menace proche du dérèglement climatique.

A ce jour et après le dit « Accord de Paris » l’Etat français est passé sous la houlette de la clique « République En Marche » mais n’a toujours pas renoncé au projet d’aéroport  à Notre Dame des Landes et aux nombreux Grand Projet Inutile Imposés (GPII) comme EuropaCity  dans le Triangle de Gonesse.  Passons sur les très innovants projets d’autoroutes en métropole et la future « nouvelle route littorale » prévue  l’Ile de la Réunion…

Pour ne rien arranger, à la vingtaine de chantiers inutiles et « climaticides » déjà répertoriés dans « Le Petit Livre noir des Grands Projets inutiles (13) » sont venues s’ajouter en France les bombes climatiques de la coupe du monde de Rugby en 2023 et des « Jeux Olympiques de 2024 » ; sans oublier la ruée vers l’or de Guyane.

Business as usual, sans surprise, le triomphal « Accord de Paris », n’a pu en désamorcer aucun. Espérons que la France ne décroche pas le chantier de l’exposition universelle de 2025. Le projet est déjà prévu sur le Plateau de Saclay en Essonne, haut-lieu du nucléaire tricolore célèbre pour ses futs fissurés de sa décharge sauvage. Comme l’EPR au début, le coût de départ du nouveau chantier est de 3,5 milliards…

Pour l’or en Guyane, on entre par son ordre de grandeur dans le modèle dévastateur d’extraction des « terres rares » en Chine : récupérer 0,6 gramme de métal jaune par tonne de roche pulvérisée… Avec un cratère de 400 mètres de profondeur en pleine forêt vierge amazonienne française, inutile de faire le bilan carbone de l’exploit. Dans tous les cas, la Chine peut désormais s’estimer vertueuse dans ses pratiques extractives domestiques.

Avec ces Grands Projets Inutiles Imposé, ces « éléphants blancs » de la République française généreusement offerts au BTP, on a la caricature brutale de ce qu’il faut au plus vite cesser de faire, des chantiers doublement climaticides. Dans leur principe, eu égard aux origines de l’effet de serre, on détruit ce qu’il faut préserver- la biodiversité, puits de carbone par excellence – pour ériger à la place des structures artificielles massivement énergivores et émettrices de gaz à effet de serre…

Qu’aurions-nous pu espérer ? En plus de la souris Fidji, le gouvernement français dit « antisystème »  aurait pu lui aussi créer la surprise et sauver in extremis du fiasco prévisible la COP 23. L’avenir du fameux « Accord de Paris » était en jeu. Au nom de la France souvent consciente des moments décisifs où s’écrit l’Histoire et au bord du précipice climatique, le chef de l’Etat aurait pu annoncer l’abandon définitif de tous les GPII. Des experts auraient fait le calcul et les chiffres astronomiques cumulés par la perte des puits de carbones de la biodiversité détruite et les installations émettrices auraient réussi à convaincre le gouvernement  à agir dans le bon sens et sauver les écosystèmes… Par le sacrifice historique des « éléphants blancs » devant la communauté internationale, La France reprenait le leadership et sauvait l’Accord de Paris

Après ce tout d’horizon de Candide sur l’état du  « meilleur des mondes possible », revenons à nos moutons puisqu’une brebis galeuse mène le troupeau.

Quand cessera donc la farce des COP ?

Le 1er juin 2017, sans réelle surprise, le gouvernement des Etats-Unis annonçait officiellement son retrait de « l’Accord de Paris ». A en juger par les commentaires dans la presse, la nouvelle, même prévisible, avait fait l’effet d’une bombe. Dans les chancelleries l’émotion était à son comble et beaucoup d’Etats, Chine en tête et pays européens, ne se sont pas privé de condamner par voie de presse la position délibérément désastreuse des Etats-Unis.

Puisque ce grand pays, première puissance pétrolière militaro-industrielle et plus grand pollueur du monde depuis un siècle, se retire de l’Accord de Paris, la question qui se posait, pour être à la hauteur de cet affront, était : quand les pays d’Europe se retireront ils du pacte climaticide de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord ?

Car ne nous y trompons pas, à Washington, ce n’est pas la Maison Blanche qui a décidé de se retirer de l’Accord de Paris mais bien le Pentagone. Derrière l’énergumène Trump de service il faut voir l’Etat profond (14), l’union sacrée des compagnies pétrolières et du complexe militaro-industriel étasunien toujours à son aise au stade avancé du capitalisme du désastre.

Rien ne s’est passé de cet ordre à la COP 23. Comme l’unité foncière du monde se maintient  sur le modèle du Black Friday et du Cyber Monday venus des Etats-Unis, on en est réduit aujourd’hui à une interrogation désabusée : quand cessera donc la farce des COP ?

Jean-Marc Sérékian ; Novembre 2017

Pour lire le document complet :  QuandCOP

Note

 (11) Le Monde Mercredi 25 janvier 2012, Oliver Truc « La course au pétrole et au gaz de l’Arctique s’accélère. La Norvège, la Russie, le Canada et les Etats-Unis multiplient les annonce de forage »

(12) LE MONDE | 14.11.2017 | Par Anne-Françoise Hivert (Malmö (Suède), correspondante régionale) : « La Norvège attaquée en justice sur le climat »

http://www.lemonde.fr/climat/article/2017/11/14/la-petromonarchie-norvegienne-attaquee-en-justice-sur-le-climat_5214472_1652612.html

(13) Camille « Le petit livre des grands projets inutiles » Ed. Le Passager clandestin 2013

(14) Peter Dale SCOTT « L’Etat profond américain La finance, le pétrole, et la guerre perpétuelle » Ed. Demi-Lune 2014.