» En 2017, aux Etats-Unis, on a livré les porcs au bûcher. En France, on préfère encore les cacher »
Dans sa chronique, Sylvie Kauffmann, éditorialiste au « Monde », rappelle que 2017 aura été l’année de la libération de la parole des femmes mais que, déjà, se profile le retour de bâton.
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A l’heure du bilan annuel géopolitique, soyons honnêtes, 2017 fut riche et complexe – et les chroniqueurs comblés. L’Europe en hausse, l’Amérique de Trump en baisse. La Chine de Xi toujours plus ambitieuse pour sa route de la soie version XXIe siècle. « Mission accomplie » en Syrie, version Poutine. Dégagisme à Riyad, version saoudienne. Désamour dans la Silicon Valley – Facebook, Google, Uber en position d’accusés.
Année faste pour les chroniqueuses, aussi. Aux Etats-Unis, 2017 s’est ouverte sur des manifestations de millions de femmes, le 21 janvier, révoltées par l’investiture, la veille, de Donald Trump. Ce président-là n’est pas seulement l’homme qui a ravi la Maison Blanche à la première femme arrivée si près du but, il incarne surtout, aux yeux des manifestantes, la vieille garde sexiste, le milliardaire-animateur-de-télé-réalité surpris par une caméra en train de se vanter de pouvoir « attraper les femmes par la chatte » car « quand on est célèbre, on peut faire n’importe quoi ».
Toute l’année, la révolte féministe a couvé. Porté au pouvoir par une insurrection électorale, Trump, écrivait-on, avait surfé sur une vague de colère. Dans l’inconscient collectif, cette colère était masculine.
Mais voilà que début octobre, celle des femmes a été réveillée par la publication de deux enquêtes explosives : le New York Times et le New Yorker révélaient l’affaire Weinstein. Harvey Weinstein, roi d’Hollywood, l’homme qui faisait la pluie et le beau temps dans le cinéma, était en fait un obsédé sexuel de la pire espèce. Un serial harceleur, violeur, manipulateur, briseur des carrières de celles qui se refusaient à lui. Tout le monde savait, ou presque. Et tout le monde se taisait.
La fin de l’impunité
Les vannes étaient ouvertes, déversant sous le hashtag #MeToo un torrent de boue trop longtemps retenu. Le mouvement a signé la fin de l’impunité, emporté d’autres Weinstein, petits ou grands, indifféremment auteurs de viols ou de simples gestes déplacés, dans une sidérante hécatombe. Après le monde du spectacle, #MeToo a envahi celui des médias, puis de la politique.
En décembre, Donald Trump a senti le vent du boulet, lorsque le candidat au poste de sénateur de l’Alabama qu’il avait activement soutenu, le républicain Roy Moore, a perdu une élection partielle réputée imperdable : victime collatérale de #MeToo, Roy Moore avait été accusé d’avoir abusé de jeunes filles. Pour sa traditionnelle couverture consacrée à « l’homme de l’année », Time Magazine a choisi des femmes, « les briseuses de silence » ; le Financial Times a aussi distingué une femme, Susan Fowler, la jeune ingénieur high-tech qui avait dénoncé, en février, la culture du harcèlement sexuel chez Uber.
Voilà pour le monde protestant anglo-saxon. Chez les Latins, comme toujours, cela a été plus compliqué. Confrontées à l’affaire Strauss-Kahn il y a six ans, les Françaises avaient manqué l’occasion d’une grande explication nationale sur les rapports hommes-femmes. L’affaire Baupin, en 2016, provoqua quelques frémissements, mais les accusations contre le député écologiste étaient prescrites : on ferma le ban.
« Que la honte change de camp est essentiel »
Lorsque #MeToo a franchi l’Atlantique cet automne, la vague a été d’autant plus brutale qu’elle était tardive : au lieu de se rallier à un #MoiAussi consensuel, elles ont plébiscité #Balancetonporc. Cru, vengeur. Ça a choqué, bien sûr. « Balance » est un mot connoté. C’est vrai, ont répondu les balanceuses, balancer, ce n’est pas joli. Mais harceler non plus.
Avant de nous quitter le 15 novembre, la grande anthropologue féministe Françoise Héritier a vu naître le mouvement #MeToo ; elle l’a apprécié à sa juste valeur : « Je trouve ça formidable, a-t-elle confié à Annick Cojean, dans La Matinale du Monde le 4 novembre. Que la honte change de camp est essentiel. C’est ce qui nous a manqué depuis des millénaires : comprendre que nous n’étions pas seules ! Les conséquences de ce mouvement peuvent être énormes. »
Oui, elles « pourraient » être énormes. Ce mouvement a permis depuis deux mois une libération de la parole sans précédent. Des femmes qui n’avaient jamais osé rien dire ont signé des pétitions, porté plainte quand c’était possible. Des journalistes ont enquêté avec une énergie nouvelle. Des pères, des maris, des amis ont découvert, incrédules, des pans d’existence féminine insoupçonnés. D’autres hommes, protégés depuis toujours par un système masculin, ont subitement essayé de se faire oublier. Le président de la République a solennellement proclamé l’égalité hommes-femmes « grande cause du quinquennat ».
Mais déjà se profile le retour de bâton. L’ignoble lynchage, sur les réseaux sociaux, de femmes qui ont osé identifier leurs agresseurs est hautement dissuasif. Des accusatrices réfléchissent, puis reculent. Des hommes regardent ailleurs, se disent que la tempête va s’apaiser – et tout, après, redeviendra comme avant ? Les institutions se protègent, les journalistes heurtent un mur.
Construit et dominé par les hommes, le système se fissure, mais il résiste redoutablement bien. Comme résiste cette image si française et si commode, celle d’une culture de la séduction bien à nous : où donc fixer la limite ? Bonne question, alors parlons-en. Non, la France n’est pas les Etats-Unis. Aux Etats-Unis, en 2017, on a livré les porcs au bûcher, parfois hâtivement. En France, on préfère encore les cacher.
http://abonnes.lemonde.fr/idees/article/2017/12/20/2017-metoo
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VIOL-ENCE
Sur les violences faites aux femmes
« On peut jouir lors d’un viol », affirmait hier Brigitte Lahaie, une des signatrices de la pétition « Pour la liberté d’importuner », qui ainsi en dévoile bien l’esprit : nier la violence subie par les femmes, pour le plus grand bonheur des hommes arc-boutés sur leurs privilèges, trop heureux de trouver de telles alliées. N’oublions pas de citer, parmi eux, ceux qui, au Monde, ont fait le choix de publier cette désastreuse pétition. Nous recommandons la lecture ou relecture du texte qui suit, qui souligne un peu plus, s’il était nécessaire, l’abjection de cette tradition toute française d’antiféminisme.
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Catherine Deneuve, #MeToo et les «baisers volés»
Le texte de cent femmes dénonçant le mouvement #MeToo n’est que le nouvel avatar d’une vieille antienne : il existerait, dans ce domaine aussi, une exception française, à rebours d’une vague « puritaine » venue des États-Unis.
https://www.mediapart.fr/journal/france/120118/catherine-deneuve-
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Catherine Deneuve, laissez-moi vous expliquer en quoi
le mouvement #metoo n’a rien d’une chasse aux sorcières
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2018/01/13/
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Violences sexuelles : aux Etats-Unis, un «torrent» de révélations
Plus d’un mois après la révélation des viols et agressions d’Harvey Weinstein, les scandales s’accumulent. Hollywood est forcé de contempler sa culture machiste. La notion de consentement sexuel s’invite au cœur des discussions.
https://www.mediapart.fr/journal/international/131117/violences-