Macron l’américain

Juste après l’élection présidentielle, je rappelai l’aventure de Charles-Louis Napoléon Bonaparte.

Les amis qui lurent mon article y virent le portrait craché du jeune Rastignac qui venait de faire exploser le landerneau politique national.

Un an après cette élection, nous pouvons mieux cerner la personnalité d’Emmanuel Macron. Il n’y a plus aucun doute sur son ambition : sa volonté inconditionnelle de casser les codes de l’appareil législatifs et des normes sociales n’est plus contestable. Il s’appuie sur une majorité de circonstance recrutée suivant des techniques entrepreneuriales. Ce résultat qui lui donne (dans l’immédiat) un pouvoir quasi absolu crée des conditions politiques qui mettent le contrôle de l’exécutif hors de portée de la représentation nationale. Serait-il aussi en train de travailler à une « modernisation » de la loi de 1905 ?

Avant d’aller plus loin dans l’analyse, nous devons nous rappeler une évidence qui, pourtant, est rarement l’objet d’une communication dans les média : Les religions occidentales, notamment chrétiennes sont de moins en moins pratiquées, même si elles sont encore fortement enracinées dans les cultures, mais il n’est pas un chef d’état qui exclue ce paramètre de ses discours et décisions. En France, champion de la laïcité, aucun gouvernement ne se prive d’un ministre des cultes. Si la notion de droit divin a été combattue par les philosophes des lumières, la plupart d’entre eux n’étaient pas Athées et se proclamaient Déistes ou Théiste.

Quel est donc le ressort qui anime notre Président ? Il se pourrait que sa prestation – remarquée – devant les évêques catholiques comme quelques temps avant devant des responsables protestants1 éclaire une face mal connue de son engagement personnel.

Ce bourgeois, issu d’une famille non croyante, baptisé à 12 ans de sa propre volonté2 , élevé dans un collège jésuite, avec une formation complétée à Sciences Po puis à l’ENA et finalement dans les bureaux de la banque Rothschild est un exemple parfait de cette culture oligarchique à l’américaine mélangeant ultra-libéralisme et religiosité. Dans cette culture, le dollar symbole de la puissance séculaire n’oublie jamais de mentionner « in God we Trust » (en Dieu nous croyons) sur ses billets verts, ce qui peut poser question dans une France ou la loi de 1905 écarte les religions de l’expression politique dans les institutions.

M Macron serait-il en train de trahir l’idéal laïc de l’expression républicaine ? Tout en se gardant des excès de certaines réactions, d’une opposition non dénuées d’arrières pensées, il convient d’examiner avec un peu d’attention les tenants et aboutissants de l’offensive « macronienne » sur « l’exception française » dans une organisation sociale, économique et culturelle mondiale guidée par la pensée unique de l’ultralibéralisme.

Dans les états de la vieille Europe, chacun a développé ses propres relations avec les religions installée sur son sol, certains instituant une religion d’état comme en Angleterre ou aux pays bas, d’autres établissant des relations contractuelles ou concordataires.

Seulement en France le principe de la laïcité est inclus dans la constitution.

Aux états unis, une civilisation furieusement matérialiste s’est développée dans un cadre sociétal où la spiritualité tient une place importante, ne serait-ce que par l’influence lobbyiste qu’y exercent les différentes chapelles. La doctrine religieuse est évoquée comme loi coutumière à Washington ou Dieu est invoqué dans le moindre discours comme dans le plus petit des villages, chez les Mormons ou chez les Pentecôtistes.

En fait, cette prégnance religieuse au sein d’une culture fortement individualisée apparaît, comme dans un kaléidoscope, sous l’apparence des multiples apports culturels des immigrants européens souvent chassée de chez eux par les guerres de religion des XVIe et XVIIe siècles, venus chercher dans le nouveau monde l’espoir d’un nouvel eldorado. En quelques années, après 1945, le libre-échange et la culture américaine ont envahi la planète dans ses moindres recoins et dans ce monde la confrontation a remplacé la compétition, moins vite peut-être en France grâce à l’élan donné aux services publics par le programme du CNR solidement ancré sur une notion de contrat social solidaire.

La France n’est évidemment pas la seule qui ait promis à ses administrés la protection d’un système social : Il n’est pas inutile de se rappeler que notre sécurité sociale, service public dont nous pouvons à juste titre être fiers a été d’abord développé dans l’Allemagne du IIème Reich sur l’impulsion de Bismarck, «l’ennemi Prussien » pour répondre à la pression du mouvement syndical alors en expansion dans l’empire Allemand.

La construction de l’Union Européenne, fut avant tout pensée comme un vaste marché de libre échange dont les institutions sont devenues un appareil technocratique centralisateur et néolibéral, mais les difficultés qui s’y développent affectent les états différemment suivant leur culture et leur contexte local.

En France, depuis 1969, Georges Pompidou et Giscard d’Estaing, puis leurs successeurs ont accompagné, quelle que soit leur couleur politique, l’intégration du pays à l’UE, à contre-courant des politiques de services publics et d’état providence devenues part de notre culture nationale. De cette attitude schizophrénique résulte un malaise permanent entre la France populaire attachée à ses vieilles lunes sociales et ses dirigeants convertis à l’ultralibéralisme, avec une évolution de l’opinion moins idiote qu’on pourrait le croire, finissant par vouer à ses représentants un tel mépris que la moitié de ses citoyens ne prend même plus la peine d’aller voter pour les élire.

Heureusement, Macron est venu prendre la relève : Souvent, le succès d’une pièce à l’affiche réside dans le casting. Dans une France qui n’avait à nous offrir, de droite comme de gauche qu’une social-démocratie usée par les compromissions, la perspective électorale en 2017 apparaissait bien morose .avec l’épouvantail soigneusement entretenu d’une extrême-droite réceptacle de tous les mécontentements, et une « nouvelle gauche » attractive mais plus riche de volonté que de projet structuré,

L’arrivée bien orchestrée de ce jeune homme à tête de gendre idéal va changer la donne : Il nous livre sur un plateau la vision colorée d’un rêve américain réincarné dans une Europe « ni de droite ni de gauche » qu’il prétend réactiver. Certes, ce n’est pas un raz de marée mais, le système électoral aidant, nous héritons d’un Président à poigne avec une majorité confortable qui, dans les premières heures de son intronisation pousse sur la touche le chef d’état-major des armées, pour bien montrer qu’il n’y a qu’un chef et que c’est lui.

Après presque un an d’exercice du pouvoir, ce président autocrate ne cache pas son intention de faire rentrer le pays dans une orthodoxie libérale plus ou moins incarnée par l’Allemagne de Mme Merkel. Il n’est pas certain qu’il y réussisse car la crise sociale se développe dans les autres états d’une Union qui devient difficilement gouvernable. En ce moment par exemple, il y a aussi comme en France des grèves dans la compagnie aérienne nationale allemande et sur le réseau ferré germanique dont nos media nationaux se gardent bien de parler.

J’ai signalé plus haut l’importance de la culture et entre autres de la culture religieuse dans l’expression des politiques menées. Une nouvelle donne se développe avec l’importance des migrations devenues conséquentes depuis plusieurs années, apportant en Europe des populations importantes d’une culture différente pour lesquelles un aggiornamento n’existe pas encore partout comme il a pu s’établir entre les états et les religions occidentales.

Ce problème relativement nouveau est de nature à remettre en cause les équilibres établis dans la laïcité ou le concordat. C’est en particulier vrai en France ou pour certains le laïcat est vécu comme un sacerdoce.

L’attitude du Président Macron, exprimée devant les représentants de la plupart des religions qu’il a rencontré change en effet la donne : Il ne s’est certes pas départi d’une expression laïque dans la liberté religieuse et la libre pensée, mais son invitation adressée aux citoyens croyant d’apporter leur concours à la réflexion sur la politique, même si l’on sait que leur influence s’exerce déjà par bien des canaux, est une épine dans le pied de beaucoup de citoyens. Il est peu probable que cela aide à réduire les tensions dans les quartiers ghettoïsés.

Sur un plan plus politique, l’attitude « américaine » de notre Président avec l’adaptation du droit du travail au gré des entreprises, la politique de transfert de la charge de l’impôt des entreprises vers les contribuables, les atteintes aux systèmes sociaux et désormais la démolition des institutions comme la SNCF, si elle n’est pas fondamentalement différente de celle de ses prédécesseurs a désormais l’allure d’un passage en force vers une normalisation sur des bases néolibérales. Cette normalisation établit un rapport de forces, comme aux USA, entre une oligarchie propriétaire de la planète et une population aux droits limités au maintien de sa capacité de production, avec une classe moyenne devenue l’idiot utile3 du maintien d’un système profondément inégalitaire.

Nous sommes à la croisée des chemins : beaucoup des réformes engagées par Macron pourront difficilement être remises en cause une fois intégrées dans le passif culturel. On en voit l’exemple aux USA dans des régressions civilisatrices comme le port d’arme considéré comme une liberté, le refus d’un service de santé solidaire au nom de la liberté du médecin entrepreneur ou encore la limitation au droit syndical dans les entreprises de certains états.

Ainsi devons-nous maintenant décider si une mandature présidentielle conçue comme une direction d’entreprise magnifiant l’autorité du chef au détriment des corps intermédiaires et du sentiment des populations est bien le type de gouvernement dont nous avons besoin pour assurer à nos enfants une vie meilleure dans un monde apaisé.

La question se pose à Notre Dame des Landes ou après avoir dû abandonner le projet imbécile d’un aéroport inutile le gouvernement Macron/Philippe envoie une armée démolir le projet généreux des zadistes qui dans le combat contre les bétonneurs ont rêvé de rétablir la nature dans ses droits et d’y vivre une utopie différente de l’univers de Vinci.

Vera-t-on une fois le conflit apaisé par la force arriver sur le terrain de la ZAD les promoteurs de Vinci qui avaient rêvé d’un vaste projet immobilier sur l’espace libéré par la disparition de Nantes Atlantique, pour l’instant orphelins de leur projet de paradis de béton ?

La question se pose aussi à la SNCF ou sur un terrain préparé par ses prédécesseurs en faisant grimper la dette par l’aventure TGV et en détruisant le fonctionnement du service public par le manque d »entretien du réseau populaire, le gouvernement Macron apporte la touche finale en livrant dans un premier temps le réseau à la concurrence, avant d’organiser la vente à la découpe de ce qui en est rentable et en laissant au contribuable et à l’usager ce qui restera d’intérêt général sans lequel la vie économique ne serait plus possible.

Quid de l’agitation dans les universités ? Le charme personnel du fringant Président ne semble pas impressionner les étudiants qui bloquent une par une leurs universités pour stopper une évolution amorcée par la présence des lobbies industriels dans le processus de Bologne en 1998, avec l’objectif de faire du parcours universitaire un parcours compétitif ?

La question se pose enfin au parlement ou la loi Collomb répond comme un écho au projet fou de Trump d’ériger un mur entre le Mexique et les USA pour interdire l’invasion migratoire au nom de « pas de ça chez nous », un ostracisme qui inclue femmes, enfants et malades au mépris de toute humanité et bien sûr, du droit d’asile directement mis en cause.

Le réaménagement de l’institution publique du parlement « pour augmenter son efficacité » en en supprimant les débats semble être la prochaine œuvre majeure du Président Macron , qui, descendu de son piédestal élyséen utilise la puissance médiatique de la télévision privée pour venir sur les étranges lucarnes nous persuader que le meilleur des mondes, si bien décrit par Orwell en 1931, est le summum du modernisme à l’entrée de l’ère de l’intelligence artificielle, au mépris de la « commun decency » que cet auteur prophétique proposait pour s’opposer à l’autorité et la dictature.

Claude Layalle

Notes

1 C’était à l’hôtel de ville à l’occasion du 500ème anniversaire de la réforme

2 Dixit Wikipédia

3 Expression attribuée à Lénine d’une personne qui sert inconsciemment une cause opposée à la sienne propre

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Commentaire récent de Claude Layalle

Sous le titre « Macron l’Américain » j’analysais il y a moins d’une semaine sur mon blog Mediapart le caractère messianique de notre jeune Président auto investi dans la mission de nous convertir à la culture oligarchique à l’américaine (ici). Je ne m’attendais pas à voir mon sobriquet repris par le huffingtonpost ()
Je ne pensais pas si vite avoir confirmation de cette empathie de notre Jupiter local avec le tonitruant Trump ni démonstration qu’elle est partagée par son homologue étasunien dont il a su conquérir le respect nous dit- on en l’invitant en juillet dernier à un déjeuner au premier étage de la Tour Eiffel
Une belle rencontre entre deux nouvelles étoile apparues à l’horizon d’une nouvelle olympe qui élargit le champ des ambitions Elyséennes.
Un contact très positif puisque lui rendant son invitation le président Trump a invité en retour le Président Macron à Washington dans une véritable visite d’état en cours en ce moment même, ce qui va lui permettre de se détendre un peu en n’entendant plus le bruit de casseroles que font ses décisions politiques en France.
Comme l’article du Washington post le rappelle, les deux hommes sont très différents et bien entendu ont des avis divergents sur bien des points mais ils ont en commun cette idéologie néolibérale et entendent bien la faire partager à toute la planète.
L’apparente conversion au protectionnisme de Trump ne doit pas faire illusion: les USA ont toujours su se montrer protectionnistes chaque fois que c’est de leur intérêt et le protectionnisme comme l’imposition du libre-échange au partenaire le plus faible ne sont que deux des éléments qui animent toute négociation dans le monde de la concurrence. Quand à Macron, à la façon dont il entend régler tous les problèmes à la hussarde au mépris des citoyens et des corps intermédiaires, tout montre que pour lui l’essentiel est de gagner et garder le pouvoir et on peut s’attendre à ce que ces deux coquins s’entendent très bien pour prendre la tête d’une mondialisation sur mesure pour eux, profitant de la relative faiblesse du moment de l’appareil politique allemand et le caractère encore dispersé des égoïsmes nationaux se traduisant dans des glissades vers l’extrême droite.
Ce qui va sortir des entretiens de Washington pourrait bien signifier la destruction de quelques codes supplémentaires et l’été pourrait bien devenir encore plus chaud.