L’avenir de l’agriculture française, c’est l’industrie des biocarburants !
Un article de Jean Marc Sérékian
extraits
La FNSEA l’avait bien compris ! Rien n’avait été laissé au hasard et tout est allé très vite. En une décennie le décor était planté dans le paysage français. Les trémolos et envolées lyriques des élus dans l’hémicycle sur « l’indépendance énergétique » et l’emploi, les succions assurées des subventions de la PAC et de l’Etat, sans oublier l’image de marque affinée au greenwashing… bref le package promotionnel de lancement de son nouveau réseau de biocarburants fut très tôt irréprochable à tous les points de vue. Le Syndicat de l’agrobusiness avait tout prévu et planifié avec brio à l’échelle nationale… sauf peut-être que Total partage aussi vite son point du vue et décide de faire cavalier seul en lançant au national sa filière végétale internationale. Le géant pétrolier tricolore, lui aussi, a su accélérer son aggiornamento dans le « renouvelable » pour faire du blé et de l’oseille dans la filière des biocarburants.
On les avait presque oubliés dans le bruitage médiatique des bonnes intentions des COP au chevet du « réchauffement climatique » et, durant les années 2000, elles s’étaient retrouvées éclipsées par la brutale ruée générale sur les hydrocarbures non-conventionnels -gaz de schiste et sables bitumineux. Ainsi avec la puissance de frappe politique de la FNSEA, et, contrairement aux autres « énergies vertes », ils ont pu discrètement et très rapidement s’intégrer dans le paysage agricole français.
Dans le même temps, presque aussi vite, mais pas suffisamment pour arrêter l’imposture, le vrai visage mortifère de la filière avait été démasqué. Nul ne l’ignore aujourd’hui, les biocarburants font des ravages à l’échelle de la planète et avec l’huile de palme on a la totale : la déforestation, l’écocide, la pollution bien sûr mais aussi la ruée actuelle d’accaparation des terres, la guerre aux chaumières, les expropriations et, spécificité culturelle française du temps, de sordides marchandages de l’industrie de l’armement tricolore avec les juntes militaires. Et, facteur aggravant, contrairement aux hydrocarbures non-conventionnels qui ne peuvent être exploités que là où sont les gisements, les biocarburants, huile de palme en tête, arrivent avec le potentiel d’expansionnisme qu’on peut déjà y voir un nouvel impérialisme avec ses millions de victimes à l’échelle planétaire.
Malgré l’extension rapidement visible du désastre, le juteux business était entré en France dans une routine paisible, au grand désespoir des ONG environnementales. Aujourd’hui les biocarburants reviennent au-devant de la scène, mais, signe du crime tranquille, ce n’est toujours pas par la prise de conscience de l’écocide. Un confit au sommet entre géants de l’énergie autour du magot défraie la chronique franco-française. La bio-raffinerie de Total mise en branle en ce début d’été 2018 à La Mède dans les Bouches-du-Rhône a semble-t-il mis le feu aux poudres en venant bousculer la routine bien huilée des riches laboureurs du nouveau affairisme agro-industriel tricolore. L’huile de palme, forcément importée et concurrentielle de la filière vertueuse française serait à terme l’ingrédient favori de Total. Alors, les gros bras de la FNSEA et des JA ont pris d’assaut les raffineries et dépôts de carburant du groupe pétrolier. Mais, surprise significative, un autre syndicat agricole, la Coordination rurale, nous révèle que tout n’est pas vert ni rose dans le monde des biocarburants tricolores. A l’encontre de la FNSEA, ce petit syndicat a pris pour cible le groupe Avril, un géant de l’agrobusiness hexagonal peu connu du grand public. Par cette action syndicale, on découvre que l’huile de palme coule à flot dans les alambiques de la douce France bucolique. Pour que les présentations soient complètes, rappelons le nom de l’emblématique président du groupe Avril : Xavier Beulin. Comme le monde de l’oligarchie agricole tricolore est petit, c’est le même homme qui, avant sa mort soudaine en février 2017, était le président (quasi à vie) de la FNSEA. Par sa voracité affairiste et son envergure médiatico-politique, il n’est pas abusif de dire que Mr feu Xavier Beulin était le Christophe de Margerie des biocarburants. Comble de ressemblance (ou peut-être de prise de conscience environnementale) les deux hommes décidèrent soudain de quitter ce bas-monde au sommet de leur pouvoir de nuisance planétaire.
Ainsi tout est remis à plat, cette empoignade de géants pour de gros morceaux de gras nous révèle à nouveau qu’il n’y a rien de vertueux dans la filière des biocarburants. Le filon flairé par Total dérange Avril et, désormais, tous les coups bas sont bons pour faire du pognon.
Le tableau tricolore des biocarburants se noircit encore en sombrant dans le sordide du crime organisé en col blanc. L’Etat-providence de Dassault veut vendre des Rafales à la junte au pouvoir en Malaisie, second producteur mondial d’huile de palme. Dix-huit avions de chasse et tous les contrats afférant sont en négociation. On l’imagine aisément, il faudra donc beaucoup d’huile de palme et accélérer sans état d’âme la déforestation pour éponger l’addition. « Accord de Paris » ou pas, le génocide de l’orang-outan est en jeu. Le compte à rebours a commencé pour cette espèce endémique et emblématique de la forêt humide de Bornéo ravagée par l’extension des cultures du palmier à huile. Mais il est vrai qu’avec ce marché le savoir-faire tricolore est mis en valeur à l’international et l’histoire récente a prouvé que pour ce secteur d’excellence patriotique, la France n’est plus à un génocide près. Le jeu de massacre d’une bande d’émirs de la péninsule arabique sur les populations civiles au Yémen est pour une bonne part du « Made in France »…
Il en va de même en Egypte. En 2015, la compagnie italienne ENI a découvert une grosse poche de gaz dans les eaux territoriale du pays. Quelques 850 milliards de mètres cubes de méthane seraient récupérables au gisement Zohr en Méditerranée par 1450 mètres de fond à 200 kilomètres de la côte égyptienne. Ce n’est pas grand-chose pour modifier la donne gazière mondiale. Mais, en terme de pétrodollars à capter, vu de France « En marche », c’est largement suffisant pour ouvrir une ligne de complicité de crime contre l’humanité, voire de génocide basse intensité par la vente massive d’armes et de matériels informatiques à la junte sanguinaire Al Sissi, comme le constate un rapport accablant de quatre ONG paru en juin 2018.
Que dire de plus sur ce bas-monde de géants philanthropes ?
Par rapport au drame qui se joue à Bornéo avec l’huile de palme, peut-être faut-il encore une fois rappeler l’histoire et quelques fondamentaux.
Photo de famille la main dans le sac
A première vue, Total fait tâche dans la photo de famille bucolique des géants des biocarburants sauvant le climat car, à l’origine, le greenwashing du lancement de la filière fit feu de tout bois et ne se priva pas de s’ériger en opposition farouche aux énergies fossiles. Jusqu’au déploiement des réseaux nationaux des nouveaux carburants sur le territoire, le « réchauffement climatique » fut sans cesse convoqué pour encenser l’essence verte à sa naissance puis assurer son ascension vers les marchés financiers mondialisés. Bien évidement ce ne furent pas les riches laboureurs qui eurent l’idée d’associer leurs mixtures d’huile et de sucre au sauvetage de la planète. Parmi les officines tricolores ad hoc de greenwashing il faut signaler en première ligne l’ADEME : l’agence de l’environnement et de la maitrise de l’énergie. Officiellement l’ADEME est comme l’ANDRA, l’installateur de poubelles nucléaires sur le territoire. C’est un EPIC, un établissement public à caractère industriel et commercial. En clair il s’agit d’une officine de surdiplômés à budget public chargée de la promotion et de l’extension des systèmes industriels pour la marchandisation du monde dans les secteurs énergétiques et mise au service des entreprises privées. Sans les vernissages savants de cette officine, les carburants issus du monde végétal seraient apparus tout nus dans leur froide et cruelle logique mercantile, comme l’essence ordinaire de chez Total. On sait désormais que par l’accélération fulgurante de la déforestation, l’huile de palme est pire que les hydrocarbures non-conventionnels…
Mais revenons à notre entreprise pétrolière. A bien y regarder dans le monde sordide de l’agrobusiness, Total à toute sa place sur la photo de famille puisque en définitive, après leur émergence en fanfare, les biocarburants ne subsistent qu’à la marge en tant qu’adjuvant des vrais carburants dans l’univers industriel infernal de la bagnole et du pétrole.
Et, de manière plus globale, dans l’ordre historique des choses, sans pétrole et pétrochimie, pas d’engrais, pas de pesticides, pas de machinisme gigantesque, bref pas d’oligarchie bucolique des biocarburants avec son marché glucido-lipidique mondialisé. L’agrobusiness transnational doit tout au pétrole ; comme le plastique et les pesticides il est lui aussi un produit pétrolier.
Dans l’histoire du capitalisme, les énergies fossiles ont créé les bases de l’industrialisation de toutes les productions et de l’agriculture en particulier ; les biocarburants ne sont que les héritiers du déluge planétaire du Capital fossile. Le modèle industriel qu’il a imposé au monde sert de référence à tout le reste. Aujourd’hui, les biocarburants n’ont pas d’autre choix que de s’inscrire pour leur subsistance dans les infrastructures créées au 20e siècle par le pouvoir tentaculaire des compagnies pétrolières.
L’huile de palme, Avril n’y est plus allergique
Qui connaît Avril ? En ville personne ou presque ; à la campagne, la Coordination Rurale. Avant Avril c’était Sofiprotéol, un géant de l’agrobusiness qui, sorti de terre en 1983, est devenu Avril en 2015. Pour situer la bête dans les gondoles, disons simplement que Lesieur et Puget c’est Avril. Ces deux vieux groupes de l’agroalimentaire français furent avalés tout cru au début des années 2000 par le monstre Sofiprotéol en croissance rapide grâce aux vertus vivifiantes des biocarburants.
Chez Avril tous baigne dans l’huile d’abord dans le domaine expansionniste de la « Mal Bouffe » humaine et animale de batterie ou de compagnie ; ensuite dans celui suffocant des biocarburants avec le Diester, un biodiesel bien français. Mais pas seulement, car par l’action de la Coordination Rurale on sait désormais que ses alambiques turbinent aussi à l’huile de palme. Même à la saison des pollens, Avril n’y est pas allergique.
Il y a en effet des poètes bucoliques chez Avril mais ce n’est pas du Virgil. Sur le site du groupe on peut lire la profession de foi de l’entreprise : « Avril, un nom sur mesure : Évoquant le printemps qui renaît chaque année, le rythme de la nature et, en particulier, celui de la floraison du colza, ce nom exprime la pérennité de notre mission : créer durablement de la valeur dans les filières des huiles et des protéines, contribuant ainsi à une meilleure alimentation des hommes et à la préservation de la planète. » Pour qui sait décrypter la novlangue affairiste l’énoncé est parfaitement clair : comprendre simplement que c’est exactement le contraire. Le mot pivot qui dit tout est en son centre : « valeur » ; l’enrobage rhétorique soigné dans le style poésie bucolique nous permet de deviner qu’il subsiste encore une certaine gêne à faire du blé avec du gras…
Le groupe importe quelque deux cent mille tonnes d’huile de palme. Ce qui veut dire qu’Avril charrie le crime environnemental à l’international : pollution, déforestation, accaparation des terres, chasse à l’homme, expropriation de paysans, gang armé, trafic d’armes… L’huile de palme est un business transnational en pleine expansion planétaire. Cerise sur le gâteau on apprend dans l’éclairage cru du groupe qu’il est aussi le leader mondial des semences du palmier à l’huile ; la totale.
Mais il est vrai que la bio-raffinerie de Total change radicalement la donne de l’huile de palme en France avec des importations prévues de plus de 500 000 tonnes par an.
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