50 000 personnes se sont retrouvées à Venaus pour le Festival Alta Felicità, contre la ligne Lyon-Turin
Des jeunes gens sauvages aux fenêtres d’un autre monde
Je veux commencer cette intervention dédiée à la magnifique réussite du Festival Alta Felicità [1] qui s’est déroulé à Venaus du 20 au 26 juillet, en volant littéralement les paroles d’un bref poème publié à l’intérieur du livret qui accompagnait, en 1999, un album du groupe américain Jefferson Starship : « Windows of Heaven ».
[Texte publié en italien ici et traduit par Serge Quadruppani]
The 21th century begins here…
OUT OF THE WEST AT THE SPEED OF LIGHT
INTO YOUR HEART AT THE SPEED OF IMAGINATION
The FUTURE is about Nerve
Who has, who does not
NOW HEAR THIS
This is the End of the usual
And these are times when worlds collide
Realize that in the Face of Chaos
In a Savage, Indifferent Universe
(Le 21e siècle commence ici
Hors de l’Occident à la vitesse de la lumière
Dans vos cœurs à la vitesse de l’imagination
Le futur c’est une question de nerfs
De qui en a, qui n’en a pas
Maintenant, écoutez ça
Voici la fin de l’habituel
Et voici le temps de la collision des mondes
Réalisez-le face au Chaos
Dans un Univers Indifférent et Sauvage)
Je crois que ce sont vraiment les paroles les plus adaptées pour désigner les dizaines de milliers de personnes qui se sont rassemblées, peut-être vaudrait-il mieux dire polarisées, autour de la lutte Non Tav de la Val di Susa, à ses militants, à ses raisons, à son savoir regarder vers le futur. Si le plus hostile journal télévisé du Piémont a parlé d’au moins 50 000 participants, je crois, sans crainte d’exagérer, que même les organisateurs peuvent confirmer un chiffre semblable dans l’énumération de tous ceux qui se sont sentis attirés magnétiquement par la zone du Festival durant ces quatre merveilleuses journées.
50 000 personnes constituées à 90% de jeunes entre 16 et 30 ans. Des jeunes aux manières sauvages, mais parce qu’ils se sont laissés transporter par l’instinct, par l’amour de la liberté individuelle et collective et par la passion pour un monde différent et autre. Parce qu’ils ont su constituer, massivement et sans aucun problème, une nouvelle communauté humaine faite de gentillesse, de rire, de bonheur, de lutte et de refus du modèle existentiel dominant.
Tandis que les médias et tous les journaux mainstream, y compris le toujours plus soporifique et inutile Manifesto, ont consacré à peine quelques lignes à l’événement, sans jamais en saisir le sens ou bien en le niant par crainte qu’il soit remarqué par des millions d’autres jeunes, italiens ou étrangers, exactement comme ceux qui ont peuplé la manifestation et son campement désordonné, très vaste et très bariolé, ont su dire Non au monde des Grands Projets, du capital financier, des mafias et des camarillas politiques, surtout de celles qui affectent encore d’être « de gauche ».
Mais le Roi est nu, et il sera inutile de se demander encore à « gauche » où sont les jeunes : ils sont ailleurs, sur la frontière des luttes et des changements magmatiques qui se dessinent déjà à l’horizon.
Ce sont des filles et des garçons magnifiques, détenteurs et porteurs d’un nouveau canon esthétique et de nouveaux désirs qui, en sont en même temps courageux, ingénus et mûrs comme tous les autres qui les ont précédés sur le même champ de bataille.
Ce sont des jeunes sauvages comme ceux décrits il y a des décennies par William Burroghs, dont le fantôme, dans un espace off limits pour les forces de l’ordre, veillait sur tout à la bifurcation pour Venaus sur la route du Mont Cenis, assis comme toujours avec son fusil en travers des genoux. A partir de là, la police et les carabiniers ne pouvaient pas passer.
Même après la manifestation, formée par des milliers de personnes, qui avait marché jusqu’à la Val Clarea et le chantier bidon et arnaqueur comme tout le projet, malgré la pluie et les barrages habituels placés sur son parcours.
Stop aux travaux ! On sent déjà dans l’air l’odeur de la victoire alors que dans le même temps les fantômes et les esclaves du Capital, comme des serviteurs trahis et abandonnés, essaient d’avancer encore leurs mesquines et méphitiques raisons sur les écrans télé et sur les pages des journaux destinées à être déchirées par le vent de la révolte et de la joie de vivre.
Ce ne seront pas, de fait, les tweets du ministre Tonnelli qui mettront fin au projet : c’est déjà fait, grâce à une lutte de plus de 20 ans et mobilisation qui croît chaque année davantage, alors que de manière inversement proportionnelle décroissent les raisons et les possibilités de réalisation d’une ligne à grande vitesse mort-née. Comme le gel par la société TELT d’un appel d’offre international pour une valeur de 2,3 milliards d’euros l’a démontré dans les jours suivant la manifestation.
Manifestation dans laquelle la partie musicale du soir n’a constitué qu’un des aspects, durant lequel, que ce soit sur la scène comme dans les interviewes données en coulisse, beaucoup d’artistes se sont ouvertement déclarés aux côtés des luttes, aussi bien No Tav que No Tap[1]. Alors que, pendant la journée, des présentations de livres et d’auteurs accompagnaient des débats, avec des militants italiens et étrangers, sur les transformations du travail, sur la question des migrants, sur la fin du 20e siècle « politique » et sur la fin d’un modèle de présentation par les parties, fin dont on commence seulement depuis peu à saisir l’importance et l’impact sur les luttes réelles et sur leurs formes d’organisation.
Des débats aux cours desquels on a parlé de répression, d’autodéfense et de transformation du Droit. De continuité entre Fascisme et République, défaisant le paradigme institutionnel faussement démocratique et antifasciste.
De la Palestine et de l’indépendantisme catalan et, encore de la magnifique et victorieuse expérience de la ZAD de Notre-Dame des Landes ainsi que des luttes françaises contre la loi travail et des cortèges de tête auxquels ont donné vie des milliers de manifestants de tous pages et appartenances sociales.
On a parlé du Rojava et de l’extraordinaire expérience communautaire de son peuple et on a parlé de l’environnement, de la nature et du coût de réalisation de l’un des innombrables monstres technologico-spéculatif proposés par un mode de production décadent et arrivé désormais à son propre promontoire séculaire. Débats et présentations, excursions et promenades auxquels et auxquelles la participation a toujours été élevée et motivée.
Même si, pour l’heure, nous nous sommes seulement mis à la fenêtre d’un autre monde, on entend déjà dans l’air l’annonce :
Gens de la terre,
Une nouvelle saison a commencé
La créativité et l’imagination triompheront sur le travail mort
Et sur la valeur fétiche extorquée par la force au labeur de millions d’individus
Afin de donner vie à un monde sans barrières ethniques, de classes, de genres et sans frontières tracées par des nations et des empires condamnés à la poussière des siècles, comme tous leurs prédécesseurs
Un monde dans lequel la Vie pourra enfin triompher de la mort, de ses serviteurs et de leurs misérables fétiches.
https://lundi.am/Des-jeunes-gens-sauvages-aux-fenetres-d-un-autre-m
[1] Projet de gazoduc transadriatique destructeur de territoires sur toute la logueur de l’Italie, faisant partie du corridor gazier européen qui doit démarrer dans le Salento et rejoindre la Suisse.
https://350.org/fr/no-tap-letter/ ;
http://notransadriaticpiperline.blogspot.com/