Enquête sur ce logiciel qui rend stupide ; de Franck Frommer ; ed la découverte
En 25 ans d’existence, le célèbre logiciel PowerPoint a servi à imposer une idéologie et de véritables modèles de pensée issus du monde de l’informatique, de la communication et des consultants. Un décryptage informé, documenté et sans équivalent.
Qui est aujourd’hui l’ennemi numéro un de l’armée américaine ? Les Talibans ? Al-Qaida ? L’Iran ? Non, l’ennemi, c’est PowerPoint, comme l’a affirmé, en avril 2010, le général des Marines James N. Mattis, selon lequel » PowerPoint nous rend stupides « .
Apparu en 1987, ce logiciel destiné à fabriquer des présentations visuelles pour soutenir des exposés oraux est devenu en quelques années un outil indispensable de communication dans le monde de l’entreprise. Un outil dont le succès a dépassé les espérances de ses créateurs car, de fait, plus aucun domaine d’activité n’est épargné aujourd’hui par le défilement des slides animé et la succession des » bullet points » : du conseil d’administration aux assemblées municipales, de la publicité aux nouvelles technologies, des ministères à l’école ou à l’hôpital.
Franck Frommer présente la première enquête sur ce logiciel devenu incontournable. L’auteur, qui évolue depuis des années dans la » culture ppt « , a visionné des centaines de présentations et analysé en profondeur la » pensée » PowerPoint, avec ses listes à puces, ses formules creuses et sa culture du visuel à tout prix. Où il apparaît que PowerPoint se révèle une puissante machine de falsification et de manipulation du discours, transformant souvent la prise de parole en un spectacle total où la raison et la rigueur n’ont plus aucune place. Plus grave, ce logiciel a fini par imposer de véritables modèles de pensée issus du monde de l’informatique, de la gestion et de la communication. Des modèles diffusés par des consultants à l’ensemble des activités sociales, distillant une novlangue particulièrement indigente qui n’a pas d’autre effet que de nous rendre … stupides.
7 octobre 2010
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Commentaire de Chem ASSAYAG ; écrit avant le livre
La pensée PowerPoint ; le formidable succès d’un outil qui formate l’univers des cadres en entreprise et leurs interactions.
« Tu n’as pas fait de slides ? » La réflexion est tombée, à la fois étonnée et un peu cassante. Mais je plaide coupable, je pouvais m’y attendre.
Eh bien non, crime de lèse-bureautique, je n’ai pas fait de « slides », j’ai rédigé un document, avec des phrases de plus d’une ligne, de la ponctuation – foire aux points et aux accents circonflexes -, des paragraphes détachés les uns des autres, des propositions principales et subordonnées, des enchaînements logiques, des formulations complexes. En somme j’ai écrit une note, un mémo, quelques pages dans cette langue oubliée qu’est le français, que nous avons tous un jour pratiquée à l’école.
« Tu n’as pas fait de slides ? » Mais c’est vrai comment faisait-on avant ? Comment pouvait-on survivre dans la jungle des présentations et des réunions, sans notre ordinateur et un rétroprojecteur ? Comment pouvait-on exposer une pensée, décrire un marché, évoquer un plan d’affaires, mettre en place une organisation, sans l’aile de Powerpoint ? On ne sait plus très bien, cela s’est dissout dans notre mémoire, comme cette époque où le courrier électronique n’existait pas, où le téléphone portable était le fruit de l’imagination des auteurs de science-fiction, où la photocopieuse était un privilège accessible aux seuls membres de la direction générale. Pourtant on travaillait quand même, les usines produisaient, les cadres encadraient, les directions dirigeaient, le tout sans Powerpoint. Étrange époque.
« Tu n’as pas fait de slides ? » C’est vrai, c’est tellement plus pratique, condenser une présentation, un travail de plusieurs jours ou plusieurs semaines en quelques lignes, en quelques schémas. Avec Powerpoint on précipite, au sens propre et figuré, la pensée, on raccourcit l’horizon de la prise de parole et des réunions. Alors aujourd’hui, plus une réunion sans Powerpoint, plus de document qui ne soit accompagné de son .ppt, la formule magique de nos communications. En très peu de temps, un outil de productivité bureautique a ainsi envahi le champ du travail de tous les cadres ; il est devenu la prothèse indispensable de leur discours et de leurs interactions. Ce changement a été fulgurant, quelques années tout au plus, transformant en profondeur la formulation de l’expression collective et collaborative en entreprise.
« Tu n’as pas fait de slides ? » Impossible désormais de penser sans notre béquille Powerpoint, sans formaliser notre démarche intellectuelle pour Powerpoint. L’outil a formaté sa substance, le contenant Powerpoint nous oblige à penser le contenu différemment. De la même façon que des générations d’écoliers ont appris à penser sur la base d’un schéma « thèse/antithèse/synthèse », des millions de cadres dans le monde ont appris à communiquer entre eux sous forme de « slides », comme une espèce de novlangue managériale. Faire court, percutant, utiliser la bonne police, utiliser les animations – étape qui permet d’afficher sa maîtrise de l’outil -, gommer la complexité. Voilà, ma présentation est impeccable.
« Tu n’as pas fait de slides ? » Oh, il n’y pas de plan machiavélique derrière tout ça, pas de main invisible démoniaque – une espèce de grand complot Microsoft -, seulement un outil qui a connu un succès fulgurant. Néanmoins, cela, lorsqu’on s’y arrête, a quelque chose de dérangeant : une standardisation de nos raisonnements, une vraie forme de pensée unique, un formatage de nos disques durs cérébraux. En fait Powerpoint est un formidable raccourci de notre monde : il favorise la rapidité, une forme d’efficacité factice, une communication lisse où la forme prédomine sur le fond. Un monde où l’image prime : consensuelle en surface, souvent pauvre en profondeur, jolie mais un peu creuse. Powerpoint est finalement à l’image de notre société.
« Tu n’as pas fait de slides ? » Que se passerait-il demain si nous n’avions plus Powerpoint, si nous devions revenir à nos bons vieux mémos – vous savez ces phrases si longues à écrire où un peu de complexité pour le rédacteur et de difficulté pour le lecteur pourraient émerger ?- que ferions-nous ? Serions-nous des managers perdus et anxieux, des animateurs de tables rondes et autres colloques déprimés, des cadres orphelins ? Peut-être pendant quelques semaines, mais j’espère que nous nous en remettrions. En tout cas se poser préalablement la question du choix de nos outils et de leur utilisation, de la façon dont nous élaborons, puis présentons, notre travail, serait sûrement utile.
Bon, là, tout ça, c’est bien joli, mais je retourne à mes « slides ».
http://www.agoravox.fr/actualites/societe/article/la-p
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Télérama s’y met aussi dans la critique
https://www.telerama.fr/monde/powerpoint-laveur-