Avec une carte interactive
1,54 million de mètres cubes de matières et de déchets radioactifs sont répartis un peu partout sur le territoire. À l’approche du débat public sur la gestion de ces substances ultra-dangereuses, Reporterre a réalisé un inventaire minutieux pour s’y retrouver. Voici la carte détaillée des lieux où les déchets radioactifs s’entassent en France.
1,54 million de mètres cubes. Tel est le volume des déchets radioactifs présents en France, d’après le dernier inventaire national dévoilé le 12 juillet dernier par l’Agence nationale de gestion des déchets radioactifs (Andra). Soit 85.000 m3 de plus que lors du précédent inventaire, trois ans auparavant. 58,8 % de ce volume est issu de l’industrie électronucléaire. Se fondant sur cet inventaire, croisé avec le dernier Plan national de gestion des matières et déchets radioactifs (PNGMDR) 2016-2018, Reporterre a dressé la carte des lieux de stockage et d’entreposage en France, en se concentrant sur la filière de production d’électricité et les armes atomiques et en excluant les déchets issus des domaines médical (radiographie, radiothérapie…), de la recherche (carbone 14…) et d’une partie de la défense (matériel de visée…). Bilan : des anciennes mines aux lieux de stockage plus ou moins sauvages en passant par les usines et les centrales, il y a des déchets radioactifs partout.
Inventaire géographique des matières et déchets radioactifs de l’Andra (2018)
https://reporterre.net/IMG/pdf/andra_tous_sites-2.pdf
Plan national de gestion des matières et déchets radioactifs (PNGMDR) 2016-2018
https://reporterre.net/IMG/pdf/pngmdr_2016-2018-3.pdf
Carte en plein écran :
https://reporterre.net/Carte-des-matieres-et-dechets-radioactifs
Risques de fuite et de contamination de l’environnement
Premier problème : ces lieux d’entreposage et de stockage présentent un risque réel pour l’environnement et les riverains. En 1976, la nappe d’eau circulant sous le Centre de stockage de la Manche a été contaminée par du tritium. Les déchets à l’origine de cette contamination ont été retirés mais la contamination de la nappe est toujours significative, même si elle décroît régulièrement. En 2004, des déchets liquides issus du traitement de l’uranium et contenant du plutonium, de l’américium ou du technétium, entreposés dans des bassins près de l’usine Orano de Malvési (Aude), s’étaient répandus alentour après la rupture d’une digue ; trois ans plus tard, l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) découvre la présence de plutonium dans le blé d’un champ voisin, ainsi que d’uranium sur une distance de deux kilomètres en direction de Narbonne. Plus récemment, les associations se sont inquiétées des risques encourus par le site nucléaire pendant les graves inondations dans l’Aude. Piscines, bassins d’entreposage, lieux d’enfouissement… les risques de contamination ou de fuite sont constants.
Des sites d’entreposage et de stockage existants bientôt saturés
Deuxième problème : les capacités de stockage [1] existantes arrivent à saturation. Le Centre de stockage de la Manche de Digulleville – La Hague, où sont enfouis 1,477 million de colis de déchets radioactifs de faible à moyenne activité, est plein et fermé depuis 1994. Le Centre industriel de regroupement, d’entreposage et de stockage (Cires) de Morvilliers (Aube), dimensionné pour accueillir 650.000 m3 de déchets faiblement radioactifs, pourrait arriver à saturation entre 2025 et 2030. Des recherches sont en cours pour accroître ses capacités jusqu’à 900.000 m3, en optimisant les installations. Mais c’est bien peu face aux 2 millions de mètres cubes de déchets très faiblement radioactifs qui nous resteront sur les bras quand l’ensemble des centrales nucléaires en fonctionnement seront démantelées.
En conséquence, l’Andra prospecte, à la recherche de nouveaux sites où installer de futures poubelles. Dans le viseur, une zone de dix kilomètres carrés sur le territoire de la communauté de commune de Soulaines (Aube) où installer un futur lieu de stockage, dont le PNGMDR 2016-2018 annonce d’emblée qu’il ne « pourra pas prendre en charge la totalité des déchets de faible activité à vie longue » (déchets radifères liés à l’extraction de minerais ou graphites issus des premières centrales) qui n’ont pour l’heure aucun débouché. Par ailleurs, un site d’entreposage « Iceda » est en projet au sein du site nucléaire du Bugey (Ain), où transiteraient pendant cinquante ans les déchets à vie longue issus des neuf réacteurs EDF en cours de déconstruction, des déchets métalliques issus des centrales en fonctionnement et des déchets graphites. Ils rejoindraient ensuite les souterrains de l’éventuel centre Cigéo à Bure (Meuse), où l’Andra projette aussi d’enfouir définitivement à 500 mètres sous terre les 15.747 colis vitrifiés contenant les déchets les plus hautement radioactifs, actuellement entreposés à l’usine de retraitement de La Hague.
Des « matières » radioactives qui seraient en réalité des « déchets » ?
Troisième problème : le volume de déchets radioactifs pourrait être largement sous-évalué. En effet, par un tour de passe-passe sémantique, la filière distingue les « déchets », dont aucune utilisation n’est plus possible, des « matières » radioactives potentiellement réutilisables. Sauf que ces perspectives de valorisation sont parfois hautement fantaisistes. Ainsi, tout l’uranium appauvri présent sur le territoire français (290.000 tonnes fin 2013) est considéré comme une matière radioactive, parce qu’il pourrait être réenrichi — opération qui n’est pas réalisée actuellement faute d’être rentable — voire alimenter un futur parc de réacteurs à neutrons rapides de 60 gigawatts pendant 1.000 à 10.000 ans ! Difficile de croire qu’autant d’uranium appauvri sera nécessaire à la filière. Idem, le Mox [2] usé, très dangereux à cause de sa chaleur élevée et de sa teneur en plutonium, est considéré comme une « matière », car il pourrait servir de combustible dans ces réacteurs de quatrième génération. En 2040, on aura assez de plutonium disponible pour en démarrer vingt-cinq… Sauf que la filière des réacteurs à neutrons rapides (Rapsodie, Phénix, Superphénix) n’a pas dépassé le stade des prototypes, voire de la débâcle industrielle. Et que le dernier projet en cours, le réacteur expérimental Astrid lancé en 2006, a vu son ambition décroître autant que ses coûts exploser. Résultat, des conteneurs d’uranium appauvri continuent de s’empiler sur les sites nucléaires du Tricastin (Drôme) et de Bessines-sur-Gartempe (Haute-Vienne), et le Mox est en voie de saturer les piscines de La Hague à tel point qu’EDF étudie la construction d’une nouvelle piscine d’entreposage géante sur le site de la centrale nucléaire de Belleville-sur-Loire. Et ce combustible mixte d’uranium et de plutonium pourrait bien finir au fond de Cigéo — c’est en tout cas ce qu’a indiqué EDF dans un courriel adressé à Reporterre.
Ces points pourraient être abordés lors du débat public de quatre mois sur le prochain Plan national de gestion des matières et déchets radioactifs (PNGMDR), qui devrait débuter en décembre. Cinq grands thèmes de discussion ont été inscrits dans la lettre de mission adressée à la Commission nationale du débat public (CNDP), rédigée par la Direction générale de l’énergie et du climat (DGEC) mais signée par l’ancien ministre de la Transition écologique et solidaire Nicolas Hulot. Le premier est l’évolution à donner aux principes de gestion des déchets de très faible activité avec, en creux, la question du seuil de libération des déchets les moins radioactifs — principe toujours repoussé jusqu’à présent. Le deuxième est lié aux déchets de faible activité à vie longue [3] qui n’ont pour l’heure pas de filière dédiée. Le troisième est la question de l’entreposage des combustibles Mox usés. Le quatrième concerne les matières radioactives en grande quantité dont la réutilisation n’est pas sûre — Mox usé, uranium appauvri, etc. Enfin, la DGEC a l’intention d’interroger les citoyens sur ce qu’ils attendent de la phase pilote du projet d’enfouissement des déchets radioactifs Cigéo. Mais « la DGEC ne peut pas considérer qu’on ne va traiter que les questions qui l’intéressent. Le débat public va porter sur toutes les questions qui intéressent le public », a prévenu la présidente de la CNDP, Chantal Jouanno, lors d’un entretien accordé à Reporterre. Pour elle, le débat public doit aussi permettre d’« expliquer aux gens le système global des matières et déchets radioactifs, comment il fonctionne et quels [en] sont les circuits ».
- Complément d’info : En vidéo, comprendre le circuit de production des déchets nucléaires en cinq minutes
- A la radio : Reporterre a participé à l’émission de « La tête au carré », sur France Inter, autour des déchets nucléaires. Mardi 23 octobre, à 14h15.
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