Le père Noël doit boycotter Amazon

Amazon détruit les salarié.e.s, la nature, les États, et l’emploi !

Mes bien chers frères et sœurs, je dois vous confesser que j’ai pas mal péché dans le passé avec la séduisante Amazon. Elle m’avait entrainé dans ses filets et emmené sur son site. J’aurais dû me méfier de ces relations tarifées, d’autant qu’elles prévoyaient la livraison à domicile. Mais comme disait l’autre : « que celui qui n’a jamais péché me lance le premier colis ». C’était alors à propos de la « femme adultère » qui risquait la lapidation, Jean l’évangéliste n’ayant pas envisagé qu’un homme puisse être lapidé pour si peu.

Je vais désormais pratiquer l’abstinence, au moins pour cette relation coupable, car trop, c’est trop. Cette multinationale est une pieuvre destructrice aux tentacules planétaires, il faut la mettre au pas, et pour cela combiner les lois, la répression, et le boycott militant.

EXPLOITATION ÉHONTÉE DES SALARIÉ.E.S

C’est peut-être ce qu’on connaît le mieux. Il faut dire que des grèves, et surtout de bons reportages, ont pu marquer les esprits. Merci les journalistes, quoi qu’en disent certains qui confondent la nécessaire critique des médias et la mise au pilori de toute une profession : voir le bon boulot d’Acrimed ou les documentaires de Gilles Balbastre, dont évidemment « les nouveaux chiens de garde », que je vous invite à voir ou revoir, c’est en ligne et gratuit.

Je ne vais pas m’étendre sur cette partie du constat, mais voici quelques sources. La première se trouve dans le magazine Challenges (15 novembre 2017), pas vraiment un repaire de gauchistes : ce magazine a « roulé pour Macron » lors de l’élection présidentielle, selon les termes de certains de ses propres journalistes.

L’article en question, appuyé sur de nombreux témoignages de salarié.e.s (mais aussi de la DRH, qui estime que tout va bien) est édifiant. Il a pour titre « Flicage, accidents du travail : plongée dans l’univers social impitoyable d’Amazon France ».

Une autre source est le livre du journaliste Jean-Baptiste Malet « En Amazonie » (Fayard, 2013). Un bon compte-rendu récent est accessible sur le site Diacritik, et on trouve une intéressante interview de son auteur, ainsi que les résultats d’une longue enquête du New York Times, dans cet article de Marianne (20/08/2015) : « Comment Amazon a réinventé la pénibilité au travail ». 

L’ESSOREUSE AMAZON

Extraits de cet article : « l’enquête du New York Timesrévèle que la loi de la jungle amazonienne n’épargne pas les « cols blancs ». Le quotidien américain a recueilli une centaine de témoignages auprès d’anciens et d’actuels salariés d’Amazon :  semaines de 80 heures, qui se prolongent le soir et les week-end, des réunions où tout le monde se tire dans les pattes et d’où chacun est déjà sorti en pleurs ; le risque en tombant malade ou enceinte de se faire écarter en un rien de temps. Délation, menaces, une gestion brutale et une pression phénoménale exercée sur les cadres. »

« Ceux qui ne rentrent pas dans le moule ou ceux qui fatiguent prennent la porte rapidement, et sont tout aussi rapidement remplacés. Pour le New York Times, c’est cette ronde perpétuelle qui explique le succès d’Amazon : « Les départs massifs d’Amazon ne sont pas une faille du système, comme nous l’ont expliqué beaucoup d’employés actuels ou d’anciens employés, mais plutôt une conclusion logique : des embauches massives de nouveaux travailleurs, qui contribuent à l’essoreuse Amazon puis s’usent et laissent la place aux Amazoniens les plus engagés. »

Quelques autres sources pour ceux et celles qui en demandent plus. D’abord sur France info : Des salariés européens d’Amazon en grève pendant le « Prime Day » .

Ensuite, dans L’Usine Nouvelle, en partant d’une enquête du Guardian : Amazon accusé d’abandonner ses employés blessés – Industrie.

Enfin ceci, particulièrement abject : En Écosse, des employés d’Amazon en sont réduits à dormir sous des tentes pour pouvoir travailler

UNE FIRME CLIMATICIDE

Certes, toute la grande distribution mondialisée est une usine à produire d’énormes émissions de gaz à effet de serre, du fait en particulier 1) de ses modes d’approvisionnement au loin, là où c’est moins cher du fait du dumping social et environnemental, et 2) de ses choix d’implantations de magasins périphériques impliquant un usage massif de la voiture de la part des clients.

Pour Amazon, c’est probablement pire :

1) le premier des deux facteurs précédents est présent, mais Amazon fait encore moins bien sur le plan de l’empreinte carbone de ses approvisionnements selon cette étude de 2017 ;

2) les déplacements motorisés des clients vers les grandes surfaces pour faire des achats souvent très groupés (et sans colis d’emballage additionnel !) sont remplacés dans le commerce en ligne par des livraisons à domicile de colis souvent uniques, en tout cas pour les colis qui ne passent pas par voie postale. Est-ce plus ou moins polluant sur l’ensemble du bilan carbone de ces achats de produits entre commande et réception ? Les diagnostics divergent. Certaines études, dont celles financées par le grand commerce en ligne, prétendent que ce dernier est plus écolo ; d’autres tiennent plus ou moins compte des livraisons qui trouvent porte close (autour de 15/20 %), des retours, des déplacements des clients en points relais, du supplément d’emballages, etc. et alors les résultats deviennent flous et dépendent beaucoup de la configuration spatiale de la clientèle. Sans compter le fait que le e-commerce encourage l’étalement urbain.

3) Selon un rapport de Greenpeace de 2014, Amazon et Twitter font partie des sites Internet les plus polluants sous l’angle de l’électricité qui les alimente : « « Ces groupes, dont le plus notable est Amazon, choisissent d’alimenter leurs infrastructures uniquement avec de l’électricité bon marché, sans considération pour l’impact que leur empreinte électrique croissante a sur la santé et sur l’environnement.» (Source). Constats largement confirmés dans un autre rapport de 2017.

L’ÉVITEMENT DE L’IMPÔT, ÉNORME SCANDALE

Extraits d’une pétition récente d’Avaaz que j’ai signée, comme près de 700.000 personnes à ce jour :

« Les revenus d’Amazon ont atteint presque 200 milliards de dollars l’an dernier mais leur taux d’imposition était proche de zéro dans de nombreux pays. Les géants d’Internet profitent des lacunes fiscales pour empocher les milliards qui devraient financer nos écoles, nos hôpitaux et d’autres services publics. »

Pour en savoir plus, on peut se reporter à « Capital », un magazine qui, en dépit de son titre, n’est pas directement inspiré de l’œuvre de Marx. Un article de janvier 2018 s’intitule « Comment Amazon embrouille le fisc ». Extrait : « L’optimisation fiscale est certes pratiquée par tous les géants du numérique. Mais chez Bezos [le PDG d’Amazon], cela tient de l’obsession. Depuis l’origine, il a organisé son groupe de telle sorte qu’il est très difficile de chiffrer l’étendue réelle de son activité par pays. Et donc de prélever l’impôt. Selon les comptes déposés au Luxembourg pour 2016, Amazon Europe a réalisé 21,6 milliards d’euros de chiffre d’affaires. Mais ce montant n’intègre ni les revenus de sa marketplace, ni ceux du cloud ou de la publicité. Le bénéfice déclaré est, lui, lilliputien : 60 millions d’euros. Et l’impôt final est de 16,5 malheureux millions d’euros. ».

Je vous conseille l’intégralité de cet article, dont voici un autre passage : « On peut avoir la phobie des impôts et chasser les aides publiques. Pour son dernier entrepôt, près d’Amiens, les collectivités locales ont financé à hauteur de 3 millions d’euros une route et un rond-point ». Ces trois millions de cadeaux, c’est presque deux fois ce qu’Amazon France a payé en impôts sur les bénéfices en 2015 !

AMAZON DÉTRUIT BEAUCOUP PLUS D’EMPLOIS QU’ELLE N’EN CRÉE

Certains barons locaux, de droite comme de gauche, sont prêts à dépenser des millions d’euros pour attirer une plateforme Amazon, bien entendu au nom de l’emploi. Le sémillant Arnaud de Montebourg n’avait pas été le dernier, en 2012, à chanter les louanges de cette multinationale symbolisant la révolution numérique voire le « redressement productif » dont il avait la charge. Emmanuel Macron a pris le relais en allant inaugurer, le 3 octobre 2017, le nouvel entrepôt près d’Amiens, suscitant alors la colère des libraires du territoire.

Parlons donc de ces emplois. Je commence par un raisonnement économique ultra simple. Vous avez un certain volume de produits à commercialiser, disons des livres mais cela vaut pour presque tout. D’un côté, vous avez un système peu automatisé, à faible productivité en termes de quantités distribuées et vendues par heure de travail humain, mais en revanche à haute teneur en services divers, conseils, proximité, rencontres avec d’autres clients, contribution à la vie sociale et économique des villes et des quartiers, organisation d’événements, etc. Appelons cela des librairies… De l’autre vous avez des usines de logistique où tout est automatisé, numérisé, sauf quand même qu’il faut du personnel pour aller « piquer » les objets dans les rayons du stockage, personnel dont certains peuvent faire vingt kilomètres par jour pour ce boulot physiquement pénible, déqualifié et mal payé, que beaucoup abandonnent après une période plus ou moins courte. C’est « l’essoreuse Amazon ». Ces emplois eux-mêmes sont menacés à court ou moyen terme par la robotisation.

Je n’ai pas besoin d’un modèle pour vous dire que, pour le même volume de ventes, il faut beaucoup moins d’heures de travail, donc beaucoup moins d’emplois, dans ce type d’usine logistique que dans le modèle de la librairie, même en y ajoutant les heures de transport des biens au domicile des clients. C’est exactement le même raisonnement que celui qui fonctionne pour comparer les emplois de l’agriculture industrielle et chimique et ceux de l’agriculture paysanne, pour un même volume de productions agricoles.

Je cite le Syndicat de la librairie française (SLF) : « À proportions égales, la librairie indépendante représente une activité qui génère deux fois plus d’emplois que dans les grandes surfaces culturelles, trois fois plus que dans la grande distribution et, selon les chiffres de la Fédération du e-commerce et de la vente à distance (FEVAD)*, 18 fois plus que dans le secteur de la vente en ligne ! ». Et selon Jean-Baptiste Mallet (source) : « Pour la seule année 2012, l’Association des librairies étasuniennes (American Booksellers Association) évalue à 42 000 le nombre d’emplois anéantis par Amazon dans le secteur : 10 millions de dollars de chiffre d’affaires pour Amazon représenterait trente-trois suppressions d’emplois dans la librairie de proximité ».

A l’occasion du Salon Livre de Paris, en mars 2018, le SLF a traduit et diffusé en France le rapport de l’institut américain de recherche ILSR (Institute for local self-reliance) « Amazon, cette inexorable machine de guerre qui étrangle la concurrence, dégrade le travail et menace nos centres-villes. » Vous trouverez un résumé en sept pages de cette excellente étude via ce lien.

Argument supplémentaire : en ne payant presque pas d’impôts en France, Amazon prive les pouvoirs publics de recettes et donc de leviers de création d’emplois utiles. Cela correspond à des centaines (voire des milliers ?) d’emplois perdus, mais l’absence de données sur les vrais bénéfices sur les ventes en France ne me permet pas d’aller plus loin.

ALORS, QUE DOIT FAIRE LE PÈRE NOËL ?

Certainement ne plus charger son traineau avec quoi que ce soit venant d’Amazon, car même si certains de ses concurrents ont aussi de sérieux défauts, aucun n’en cumule autant, à une échelle aussi gigantesque, et avec une telle stratégie visant le monopole. Et je n’ai pas évoqué ici d’autres risques, concernant par exemple les données personnelles.

Pour le reste, comme je ne suis pas consultant en cadeaux ni en choix de commerces plus ou moins vertueux ou vicieux, je vais me réfugier derrière le réseau qui est à l’initiative du texte récent : Boycott d’Amazon : aujourd’hui, le 23 novembre, pour Noël et à jamais …

On trouve à la fin de ce texte « quelques idées », concernant essentiellement les livres. Voici juste la première :

« Il y a des plateformes de librairies indépendantes qui font exactement la même chose qu’Amazon. Comme par exemple lalibrairie.com, ou Leslibraires.fr, un véritable réseau de libraires indépendants, qui vous proposeront un très large choix de livres neufs, mais aussi de livres anciens, rares ou d’occasion. ». J’actualise avec ce site, qui me semble le plus exhaustif : librairiesindependantes.com. 

Au fait, on est en décembre, donc, avec un peu d’avance, bonnes fêtes de fin d’année ! Un petit cadeau de ma part : ce billet d’humour (à prendre au second degré) datant de 2010 « Le calamiteux bilan carbone du Père Noël, par Jean Gavé ».

J. Gadrey ; alternatives-économiques.fr