Ces COP (Conference Of the Parties) qui se réunissent tous les ans !
Après la COP 21 à Paris, nous en sommes déjà à la fin de la COP 24 en Pologne. Le résultat a été le même que lors des années précédentes : presque complétement nul ; que des effets d’annonces non suivis d’effets pour ces grands-messes traditionnelles. Faut-il s’en étonner ? N’est-ce pas volontaire de faire croire que l’on s’occupe du problème climatique tout en ne faisant rien.
Un article de Jean-Marc Sérékian paru dans la revue trimestrielle « les Zindigné.e.s » le montre bien.
Extraits
Après la tonitruante et triomphale COP 21 de 2015 à Paris, les Parties éprouvèrent le besoin d’un bref répit. La COP 22 leur offrit en 2016 un discret intermède touristique marocain à Marrakech. En novembre 2017, la conférence des Etats au chevet du climat revenait dans une grande capitale en Europe, à Bonn. Mais l’ambiance était morose, le cœur n’y était plus… Les deux années d’inaction passées pesaient de plus en plus lourd dans les consciences.
Le fameux « Accord de Paris » obtenu au finish était resté lettre morte. Pour les plus pessimistes ou lucides, la cause était perdue ; le sort funeste du climat fut scellé par le fiasco de la COP 15 de Copenhague en 2009… plus aucun espoir n’était possible. Mais, imperturbablement, les COP continuent dans une sorte de routine rituelle conjuratoire… En conséquence, les observateurs et chroniqueurs habitués de ses événements n’attendaient pas grand-chose de sa 23e version et c’est à peine si les négociations ont été couvertes par la presse française.
La COP 23 est passée… Comme attendu, elle a accouché d’une souris et botté en touche avec deux vagues objectifs futurs: un « Dialogue Talanoa » à débuter en janvier 2018 et le rappel du calendrier des nombreuses communications évènementielles prévues. Bref la procrastination crasse des Etats avait encore une fois triomphé. Erigée en mode d’action urgent de la communauté internationale, elle bat désormais la mesure pour remplir et assurer la routine paisible des COP à venir. De son côté, le GIEC, confirmé dans son rôle, continuera à pondre ses rapports savants sur la menace climatique.
Qu’aurions-nous pu espérer ? Jouons un instant les Candide. Peut-être que dans la capitale du Saint Empire germanique du capitalisme européen qui a largement fait ses preuves pour l’ordre financier de l’union en imposant un TINA néolibéral « non négociable » à la Grèce avec le paiement, jusqu’au dernier kopek, de la dette souveraine illégitime, peut-être donc qu’en ce lieu de haute autorité politique, les Etats auraient pu être mis en demeure de concrétiser leur promesses. Fallait-il cette fois-ci y croire ? En tout cas rien n’avait été laissé au hasard. Les conférences étasuniennes invitées en première partie d’ouverture du spectacle avaient d’emblée chauffé les salles (1). L’ambiance sonore était au moins assurée.
Plus sérieusement, pour redonner un peu de crédibilité humanitaire et instiller un minimum de suspense à la 23e édition de ces conférences annuelles, la présidence de l’événement avait été confiée cette fois-ci aux Iles Fiji. Sans conteste, un Etat insulaire aux premières loges du défi climatique…
Enorme déception, la souris du « Dialogue Talanoa », c’est le 1er ministre des Iles Fidji qui l’a sortie : en clair des palabres à l’infini.
Après le piètre résultat de la COP 23, on peut se remémorer la fameuse formule reprise à la tribune par Hugo Chavez lors du fiasco de COP 15, et dire cette fois-ci : « décidément le climat n’est pas une banque, en conséquence les volontés manquent pour le sauver »…
Si les savants les plus lucides estiment que le sort du climat a été scellé à Copenhague en 2009, on peut se demander pourquoi les Etats perpétuent-ils ces conférences devenues scandaleusement inutiles ! Lors de la crise financière de 2007-2008, l’allégeance manifeste des pouvoirs publics envers les banques révéla à la fois les nouveaux Etats-providences de la finance et l’esprit du capitalisme au 21e siècle… Ainsi, les conséquences mortifères désormais évidentes de la financiarisation du monde appellent à la multiplication des rituels compassionnels, aux communions solennelles de bonne conscience de ladite « communauté internationale »…
Après la COP, le « Black Friday »
Mais les télescopages de l’actualité sont parfois très éloquents ; ils nous ramènent à la dure réalité : sans transition, après la triste COP arriva cette année-là la fête du Black Friday. Dans la suite de l’inertie complice des Etats, la folie consumériste des masses. Ainsi, sans coup férir, dans le monde réel, les Etats-Unis reprenaient leur leadership. Phénomène initialement nord-américain, le Black Friday a traversé l’Atlantique. Et, par la caisse de résonnance des Géants du Web, il s’est renforcé d’un Cyber Monday. Décidément, sur l’American way, on n’arrête pas la frénésie contagieuse du commerce. Tambour battant, ces ruées consuméristes largement médiatisées du mode de vie non négociable des Etats-Unis viennent bêtifier la vieille Europe.
Sans vouloir jouer les trouble-fêtes, il devient difficile de se bercer d’illusions avec ces conférences événementielles de mise en scène des Etats. Du côté scientifique, les géochimistes de l’atmosphère les plus pessimistes, comme le célébré Prix Nobel Paul Crutzen, ne jurent plus que par la géo-ingénierie.
Mais encore une fois et sans cette référence savante extrême, la réponse globale ne réside pas dans la connaissance physique approfondie de l’atmosphère, seul un regard lucide sur l’histoire contemporaine et l’état du Monde permet de répondre. La géo-ingénierie de l’atmosphère est le symptôme de l’impasse historique du capitalisme fossile. Inscrites désormais dans les options du GIEC, les techniques de gestion du climat ne relèvent dans leur logique que du soin symptomatique partiel, comme donner du paracétamol pour faire baisser la fièvre. Loin d’être une thérapeutique étiologique s’attaquant à la cause première du mal, les diverses méthodes de géo-ingénierie font l’impasse totale sur tout le reste et, surtout, sur l’essentiel l’effondrement de la biodiversité, l’épuisement des terres, la pollution généralisée des milieux… Bref la géo-ingénierie vise à climatiser le désastre pour laisser le champ libre au capitalisme fossile.
Disons-le encore une fois : contrairement à ce que laissent croire les prophètes d’apocalypses, la catastrophe n’est pas à venir, elle est globale et a largement commencé depuis les deux premières décennies d’après-guerre, comme le suggère aujourd’hui le récent concept de « Great Acceleration (2) ». Issu de la vaste discussion scientifique pour arrêter la date du début de l’Anthropocène ; cette grande accélération a été, dans les années 1950, le moment crucial où les Etats-Unis imposèrent leur modèle au Monde. Avant d’être climatique, la catastrophe était déjà écosystémique et sociale. Pour s’en convaincre dans le pays dudit « Accord de Paris », il suffit de lire ou relire « L’Utopie ou la Mort » de René Dumont. Dès le début des années 1960, les tendances s’affirmaient menaçantes, pour l’aspect atmosphérique, la courbe de Keeling était largement informative (3). La concentration de CO2 augmentait rapidement et de façon préoccupante et, dès cette époque, le style d’écriture catastrophiste de l’écologiste français était on ne peut plus de rigueur. C’était il y a un demi-siècle au moment du premier « choc pétrolier »… Avec cette mémoire du passé, le regard sur le présent est encore plus désespérant.
Un Monde plus que jamais unifié sur le Modèle Etasunien
Changement de siècle et de millénaire ou pas, fondamentalement, il n’y a rien de nouveau sous le soleil : aujourd’hui comme hier tous les Etats s’en foutent du climat… A commencer par ceux qui se sont militairement mis à la botte des Etats-Unis et qui le restent. La plupart des Etats de l’Union Européenne sont dans ce cas en tant que membres de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord… Et, comble de l’absurde, après la chute de l’Empire Soviétique, la situation, loin de s’améliorer, s’est encore aggravée. L’effectif des pays passés sous la coupe du Pentagone a soudain doublé. Frayeur collective soudaine et paradoxale, les élites des pays anciennement satellites de l’ex-Empire se sont mises à avoir une peur panique des fantômes. Contrairement à ce que l’on pouvait espérer, le dispositif militaire de la Guerre Froide a redoublé d’intensité avec la disparition d’un de ses protagonistes. Un mur décrépit, tombé en 1989 à Berlin, fit grand bruit dans la presse, mais, dans le même temps et durablement des milliers de missiles flambant neufs mis en batterie furent érigés pour le remplacer. Le gratin européen de la communauté internationale avait tranché sur ce point : l’aggiornamento atomique d’abord, le climat attendra. Il est vrai que les progrès fulgurants dans le secteur informatique poussaient plutôt les Etats de l’ex-Monde libre à rénover et perfectionner leurs armes de destruction massive. Sur ce point précis, pas d’exception ; tous les états-majors sont d’accord, réchauffement climatique ou pas, c’est donc reparti pour un tour. Les conversions rapides et enthousiastes des anciens farouches communistes en joyeux lurons du capitalisme n’ont en rien changé la donne. La dissuasion atomique est, pour ainsi dire, entrée dans l’ère orwelienne des ennemis fantômes. Pour continuer à incarner le Bien ou « Monde libre », il faut qu’existe un Mal ou une menace potentielle et s’il n’y en a pas il faut l’imaginer car les bombes atomiques performantes d’aujourd’hui ne supporteraient pas d’être véhiculées dans des dispositifs de dissuasions vétustes, datant de la Guerre Froide… Si l’ennemi n’est pas identifié, rien de mieux pour se convaincre de son existence que d’accélérer les recherches de la course aux armements nucléaires. Le Pentagone veut étoffer son dispositif de « dissuasion » pour le rendre plus crédible par des bombes atomiques miniatures. Par une charge explosive diminuée à un dixième de celle d’Hiroshima, les stratèges ont voulu rendre plus facile leur utilisation sur les champs de bataille. Avec cette perspective belliciste concrète, ils n’ont eu aucune difficulté à convaincre le pensionnaire à la Maison Blanche à signer les budgets nécessaires. La France, qui ne veut rester à la traîne, serre les rangs derrière les Etats-Unis en doublant son budget atomique. Désormais 6 milliards d’euros seront consacrés à convaincre un ennemi imaginaire à ne pas s’en prendre à l’Hexagone…
Dans le contexte actuel de crise environnementale, on peut en toute innocence s’interroger sur le bienfondé de cette soudaine peur collective des fantômes. Mais les stratèges du Pentagone ont tranché, le Mal menace de toute part ; la preuve absolue : Donald Trump en est convaincu !
En tant « qu’activité humaine » -selon les éléments de langage du GIEC-, la multiplication des exercices militaires aéronavals pour tenter d’impressionner l’adversaire imaginaire représente au juste combien de tonnes de gaz à effet de serre inutilement largués dans l’atmosphère ?
Qui se souci encore du climat ?
Parmi les Etats, pas grand-monde… On le voit tous les jours, les grandes puissances capables de perfectionner les systèmes d’armement, les missiles, les drones et les robots tueurs, ont d’autres préoccupations pressantes : trouver des clients pour les innovations de leur savants…
Si l’on ne veut pas complétement noircir le tableau noir des négociations opaques et oiseuses sur le climat, subsistent en effet quelques Etats susceptibles d’être au moins intéressés par le résultat des négociations, voire mobilisés pour que le réchauffement ne dépasse pas le seuil fatidique des « 2°C » du basculement climatique dans l’imprévisible. Mais ils sont peu nombreux. Dans la masse des Etats qui émergèrent à la surface de la Terre sous le parrainage militaire des Etats-Unis à la suite du Second conflit mondial, il n’y a que les Etats insulaires, le Bangladesh et les Pays Bas qui sont réellement préoccupés par la menace du dérèglement climatique. Mais, en toute objectivité politique, pour ce très petit groupe, il faut malheureusement faire une précision supplémentaire : pour les Etats insulaires on ne compte que les rares Etats micro-insulaires autonomes directement menacés de disparition par la montée des eaux. La plupart des autres archipels de l’Océan Indien, d’Océanie et du Pacifique sont depuis le début de l’expansion du capitalisme possédés et administrés par les puissances occidentales, Etats-Unis, France et Royaume-Uni en tête, ce qui limite d’autant le nombre d’Etats insulaires autonomes. A la fin du 19e siècle avait commencé, en effet, l’expansionnisme étasunien vers le Levant par la route inverse du Pacifique ; presque tout ce qui en mer n’était ni Français ni Britannique est passé sous la coupe des Etats-Unis. Après le second conflit mondial et la fin de la Guerre du Pacifique, plus aucune île n’avait échappé à une confrontation armée. Paul Valéry pouvait lancer sa célèbre sentence solennelle : « Le temps du monde fini commence ».
Ainsi, avec si peu de micro-Etats insulaires autonomes et la souris accouchée par les îles Fidji, les COP peuvent mouliner à l’infini avec la même efficacité spirituelle que des moulins à prière…
Plus généralement, cette effrayante fatalité d’un Monde possédé est simplement liée à l’unité économique fondamentale du Monde d’après-guerre sous l’autorité politique des Etats-Unis avec la puissance de feu irrésistible du Pétrole. Ainsi, il n’y a qu’une seule loi -celle du capitalisme mondialisé- et, sous cette autorité, tous les Etats sans exceptions, insulaires compris, participent à la marchandisation destructrice de la Terre.
Qui ne se souvient pas du boum économique à l’américaine de la « République Nauru », un micro-Etat de Micronésie ? L’esprit du capitalisme souffla sur cette île comme une tempête tropicale. En deux décennies d’extraction du phosphate, l’îlot se peupla de grosses bagnoles, de gros frigos et d’un mode de vie consumériste à l’américaine. Puis rapidement s’entassèrent les carcasses de voitures, de frigos et les montagnes de déchets autour du cratère minier désaffecté, suivirent les épaves humaines malades de la « malbouffe » : des obèses impotents et des diabétiques jusqu’à l’effondrement. En 20 ans, la Main invisible qui préside aux destinées du Monde avait fait son œuvre civilisatrice sur ce petit îlot. Dopé au phosphate, le « développement durable » de la République Nauru précipita sa chute mais profita encore une fois aux puissances industrielles du pôle occidental.
Ailleurs dans le Monde, la « Grande Accélération » de l’Anthropocène s’est répliquée sur le modèle étasunien. Et, pour parfaire l’unité du Monde, un nouveau pôle asiatique, la Chine, tout aussi avide de minerais et d’énergies fossiles, est venu prêter main forte à la Main Invisible.
Une Terre déjà pléthorique de réfugiés
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Jean-Marc SEREKIAN prépare un nouveau livre qui devrait s’intituler :
« Capitalisme fossile ; de la farce des COP à l’ingénierie du climat »