Il s’agit de Füsun Üstel
Füsun Üstel, professeure retraitée de science politique à l’université francophone de Galatasaray à Istanbul, risque la prison pour avoir signé une pétition pour la paix en Turquie. Des intellectuels turcs dénoncent l’arbitraire des élites de ce pouvoir de demandent aux autorités françaises et européennes de faire pression sur les autorités de Turquie.
1128 universitaires ont signé la Pétition pour la paix, rendue publique en janvier 2016, qui dénonçait la violation par l’État des droits élémentaires des civils dans les villes kurdes de Turquie : vie, liberté et sécurité [1].
Füsun Üstel a été une des premières à passer devant la justice ; elle est aussi la première à avoir rejeté la disposition légale offerte par le tribunal (connue en turc comme l’HAGB) : lorsque la peine est inférieure à deux ans, un sursis peut être prononcé pour cinq années pendant lesquelles la personne condamnée doit s’abstenir de commettre de nouveaux « crimes ».
La définition d’un tel « crime » dépendant aujourd’hui de la décision arbitraire des élites au pouvoir en Turquie, cette disposition revient à soumettre les accusés à un contrôle disciplinaire, avec une épée de Damoclès au-dessus de leur tête : un simple tweet pourrait être considéré comme un crime, de même que des liens étroits avec des associations ou des journaux critiques du gouvernement.
Cependant, l’avantage de cette disposition c’est que la condamnation ne figure pas au casier judiciaire. Elle ne permet pas de faire appel, mais il reste possible de se tourner vers la Cour constitutionnelle ou la Cour européenne des droits de l’homme. Mais il y a des universitaires pour qui accepter la disposition revient implicitement à accepter le jugement. En avril 2018, Füsun Üstel a rejeté l’offre du tribunal, ce qui lui a valu une peine de 15 mois de prison [2]. Son appel ayant été rejeté le 1ermars, elle devrait être la première universitaire derrière les barreaux pour avoir signé la pétition à la suite des procès contre les universitaires commencés en décembre 2017. Neuf autres universitaires, ayant pareillement refusé la disposition, attendent leur jugement en appel.
Mais ce n’est pas tout. Les procès des Universitaires pour la Paix ont connu un tournant, en décembre 2018, quand un tribunal a condamné Gencay Gürsoy à 27 mois de prison. [3] Jusqu’alors, la plupart des peines étaient de 15 mois. Certains tribunaux avaient même suspendu les procès pour demander au ministère de la Justice l’autorisation de changer le chef d’accusation. Il s’agit de poursuivre, non plus pour propagande terroriste (selon l’article 7/2 de la loi anti-Terreur), mais, conformément à l’article 301 du Code pénal, pour « insulte au peuple turc, à la République de Turquie et aux Institutions et Corps de l’État. Gencay Gürsoy est le premier à avoir reçu une peine de prison de plus de deux ans.
Ce professeur de médecine à la retraite, ancien président de l’Association médicale de Turquie (TTB), fait partie des fondateurs de l’Association pour les droits humains (IHD) et de la Fondation pour les droits humains en Turquie (TIHV). L’accusation a ajouté aux charges habituelles des preuves supplémentaires de son « soutien à un groupe terroriste armé » : des tweets de l’accusé ainsi qu’un entretien qu’il a donné à un média d’information en ligne, où il soulignait la ressemblance entre les procès collectifs et les techniques utilisées dans les camps de concentration. Après avoir rejeté les objections de son avocate, qui n’avait pas été informée des documents ainsi rajoutés au dossier, le tribunal a refusé de réduire la peine, au motif que Gürsoy « n’a pas donné de signes de repentir. »
Ce tribunal et d’autres ont dès lors commencé à imposer des peines de prison d’une durée variable au-delà des 15 mois habituels. Depuis décembre 2018, la sanction a été de 18 mois pour quatre universitaires, entre 22 et 27 mois pour trente autres, 30 mois dans deux cas et 36 mois pour une personne fortement impliquée dans la solidarité lors des procès d’universitaires pour la paix à Istanbul. [4] Tous ces condamnés, jugés « davantage coupables », font appel. Le point fondamental, c’est qu’aujourd’hui en Turquie, les tribunaux distribuent des peines de prison différentes selon les individus pour un même « crime », la signature de la Pétition pour la paix.
(Tableau de la répartition des peines : sursis, prison ferme, jugement repoussé)
Sur les 1128 signataires de la pétition, près de 600 sont en procès pour « propagande pour une organisation terroriste ». Aucun indice ne permet d’espérer un relâchement du contrôle de la justice par le pouvoir, ni un retour à l’État de droit ou au simple bon sens. Les élections prévues le 31 mars visent à renforcer la position hégémonique de l’AKP, puisqu’il n’y aura plus d’autres élections jusqu’en 2023. Après son échec en Syrie, et alors que l’économie est au bord de l’effondrement, il est bien possible que le gouvernement cherche à empêcher toute critique ou dissidence en redoublant la répression – à moins d’être soumis à une pression de la communauté internationale. Dans le passé, celle-ci a prouvé son efficacité lorsque quatre universitaires ont passé un mois en prison pour avoir lu une déclaration de presse concernant la pétition avant d’être relâchés en 2016. [5]
Solidaires des Universitaires pour la paix, nous demandons aux autorités françaises et européennes de faire pression sur les autorités de Turquie pour qu’elles cessent la persécution judiciaire de femmes et d’hommes dont le seul crime est d’avoir signé une pétition.
Signataires :
Des universitaires de Turquie (dont ce texte permet de comprendre leur choix d’anonymat).
Traduit de l’anglais par Eric Fassin ; sur le blog mediapart d’E. Fassin
[1]Nous ne serons pas complices de ce crime
[2]Professors Üstel, Polat Sentenced to 1 Year 3 Months in Prison
[3]Prof. Dr. Gençay Gürsoy Sentenced to 2 Years, 3 Months in Prison
[4]Academics for Peace – Hearing Statistics as of 09.03.2019
[5]Turkish academics freed on first day of trial for ‘terrorist propaganda’
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La CPU solidaire des universitaires turcs poursuivis pour des faits d’opinion
La Conférence des Présidents d’Université française (CPU) vient d’être informée de la situation de Madame Füsun Üstel, Professeure de Sciences politiques à l’Université de Galatasaray, aujourd’hui à la retraite, qui vient d’être condamnée à 15 mois de prison ferme pour avoir signé en 2016 une pétition en faveur de la paix avec 1127 autres universitaires turcs.
La CPU exprime sa totale réprobation contre toute condamnation pour la simple expression d’une opinion. Elle demande à la communauté universitaire européenne de faire pression sur les autorités de Turquie pour arrêter ce type de persécutions pour fait d’opinion. Elle affirme sa pleine solidarité à Madame Füsun Üstel et demande instamment que sa condamnation ne soit pas exécutée.
La CPU est et restera vigilante à la situation de l’ensemble des collègues turcs victimes de poursuites judiciaires et de condamnations, pour ce même chef d’accusation.
cpu.fr