Il y en aura pour tout le monde !
Des familles réduites en esclavage, des étudiant-e-s poussé-es à se prostituer, des familles mises à la rue, au profit des banques… Il existe des dettes privées illégitimes, face auxquelles la désobéissance est notre meilleure arme.
La dette réduit en esclavage des familles entières obligées de travailler, enfants y compris, dans des briqueteries au Pakistan ou des ateliers textiles au Bangladesh ; pousse au suicide des centaines de milliers de paysans en Inde et des femmes au Niger et en Bolivie dont les photos sont placardées sur des affiches par les créanciers. Même s’ils ne meurent pas physiquement, de nombreux emprunteurs meurent socialement. Honteux de ne pas pouvoir payer les dettes, ils quittent leur village, les femmes sont abandonnées par leurs maris, etc. Au Nord aussi, la dette fait des ravages en mettant à la rue des millions de familles qui ne sont plus capables de rembourser leur crédit hypothécaire ; en poussant des étudiant-e-s à se vendre, voire se prostituer, pour rembourser leurs prêts.
Derrière ces dettes, on retrouve la classe capitaliste, en particulier les grandes banques et des institutions du microcrédit soutenues par les gouvernements, les Institutions financières internationales comme la Banque mondiale et par certaines ONG (organisations non gouvernementales).
Comme le souligne le mouvement Strike Debt aux États-Unis, « la dette n’est pas personnelle, elle est politique » car elle agit comme un outil de contrôle politique des individus, principalement ceux issus des classes populaires. Leurs choix de vie se font souvent sous la contrainte du remboursement, comme le choix de la filière d’étude afin de leur assurer plus tard un salaire qui permettra de rembourser leur dette. Les États-Unis ne sont pas une exception. On retrouve cette logique dans de nombreux pays comme au Royaume-Uni, au Canada, en Afrique du Sud ou encore au Chili où de grands mouvements de résistance ont lieu.
La consommation est un autre biais pour instaurer une domination par la dette. Financée en grande partie par le crédit, cette consommation représente une masse de profit phénoménale pour les capitalistes. La publicité s’assure de créer le besoin, le crédit fait le reste, avec des conditions souvent abusives : taux d’intérêt usuraire, frais de dossier et pénalités exorbitantes, avec à la clé le surendettement lorsque survient un « accident de la vie » : chômage, maladie, divorce, etc. Autre fait alarmant, de plus en plus de personnes, notamment en Belgique et en France, sont surendettées alors même qu’elles n’ont signé aucun contrat de crédit. Ces dettes peuvent provenir de factures impayées pour se chauffer, se soigner, se loger, dont le coût ne fait qu’augmenter, alors que, dans le même temps, les salaires et les aides sociales baissent du fait des mesures d’austérité prises par les gouvernements. Ce sont là des effets directs de la crise de 2007 causée par les banques, qui n’en tirent aucune leçon. Rien d’étonnant, puisque les gouvernements ont renoncé à les socialiser.
Tandis qu’en Europe, les banques ont été sauvées avec de l’argent public, creusant au passage une dette publique largement illégitime, et qu’elles bénéficient des taux très avantageux de la Banque centrale européenne (BCE), elles continuent à faire des bénéfices indécents sur le dos des peuples. D’une part, elles prêtent aux États à des taux largement supérieurs à ceux auxquels elles empruntent auprès de la BCE, empochant au passage des intérêts illégitimes que les peuples paient tous les ans. D’autre part, elles commettent des abus en imposant des conditions léonines à leurs usagers, comme les clauses leur permettant de modifier le taux d’intérêt des crédits à taux variables sans aucune justification ou encore les clauses d’indexation sur des devises étrangères, entraînant des conséquences désastreuses pour les emprunteurs en cas de forte fluctuation du taux de change. C’est notamment ce qui s’est passé en Hongrie, en Croatie et en Grèce. Et lorsque le débiteur se retrouve en défaut de paiement, il se retrouve parfois expulsé de son logement que la banque ou l’État vont ensuite récupérer pour une bouchée de pain. Pire, en Espagne et en Grèce, les dettes perdurent : même après avoir été expulsées de leur habitation, les personnes doivent continuer à rembourser leur crédit hypothécaire.
Heureusement, les peuples se défendent. De l’Islande à la Bolivie émergent des mouvements de lutte. Au Maroc, une grande campagne de solidarité avec les victimes du microcrédit a permis de dévoiler les usuriers de la microfinance et de faire acquitter les porte-paroles du mouvement de soutien aux victimes, poursuivies devant les tribunaux marocains pour diffamation par plusieurs institutions de microcrédit. Comme le met en lumière ATTAC-CADTM Maroc dans son audit, dont nous vous livrons un résumé dans ces pages, les institutions de la microfinance qui sont financées par les banques privées et soutenues par l’État marocain ainsi que la Banque mondiale, exploitent la pauvreté en recherchant le profit maximum. Les victimes sont principalement les femmes comme au Bangladesh, où la Grameen Bank, fondée par Muhammad Yunus, est née et haïe ou encore au Bénin où une organisation de femmes membre du réseau CADTM, le CADD (Cercle d’autopromotion pour un développement durable), a bâti une alternative émancipatrice au microcrédit capitaliste en créant son propre système d’épargne et de crédit autogéré par les femmes elles-mêmes.
À côté des dettes publiques illégitimes, il existe donc aussi des dettes individuelles qui ne sont pas légitimes. Les deux étant liées. La dette publique constitue au Sud comme au Nord le prétexte pour s’attaquer aux droits humains, démanteler la protection sociale, détruire l’agriculture paysanne, privatiser les services publics et les ressources naturelles. Autant de facteurs qui expliquent l’augmentation des dettes privées des individus. C’est à ce « système-dette », englobant à la fois les dettes au Sud et au Nord, publiques et privées, que le réseau CADTM s’attaque depuis plus de six ans. Cette évolution dans les sujets traités a logiquement conduit la réseau à changer de nom lors de son Assemblée mondiale en avril 2016. Le CADTM reste le CADTM, mais signifie désormais « Comité pour l’abolition des dettes illégitimes ».
Au sommaire de ce numéro portant un nouveau chantier du CADTM, nous nous sommes attardés sur quatre catégories de dettes illégitimes privées au Sud et au Nord : les dettes étudiantes, hypothécaires, paysannes et les dettes liées au microcrédit. Pour chacune d’entre elles, nous donnons un coup de projecteur sur des mobilisations en cours et celles du passé pour tenter d’en tirer des leçons afin de renforcer les luttes présentes et à venir. L’Histoire nous apprend en effet que des annulations de dettes individuelles sont possibles. Désobéissons ensemble aux créanciers illégitimes, car si nous ne devons rien, nous ne paierons rien !
Cet article fait partie du dernier AVP consacré aux dettes privées illégitimes.
Sommaire
Introduction
Chapitre 1 : Dettes privées dans l’histoire et en Belgique
Briser le cercle vicieux des dettes privées illégitimes
Solon et la crise d’endettement dans la cité athénienne
La financiarisation, le microcrédit et l’architecture changeante de l’accumulation du capital
La médiation de dettes, une solution au surendettement ?
Chapitre 2 : Microcrédit : quand les banques et la finance avancent masquées derrière la lutte contre la pauvreté
Muhammad Yunus : prix Nobel de l’ambiguïté ou du cynisme ?
Femmes africaines unies contre le microcrédit
Microcrédits : quand les pauvres financent les riches
Pourquoi les Institutions de la microfinance s’intéressent-elles autant aux femmes ?
Microcrédit et autogestion en Argentine
Chapitre 3 : Dettes paysannes
Dette et agriculture industrielle : une union sacrée
Dette des ménages, microcrédit et piège de l’endettement
Un défi pour le 21è siècle : articuler luttes paysannes et alternatives agroécologiques !
La PAC et l’endettement des agriculteurs : quelles politiques alternatives ?
Au Mali : le cercle vicieux de l’endettement paysan
Chapitre 4 : Dettes étudiantes
Afrique du Sud, décolonisation, races et politique de classe
Mobilisations étudiantes en Belgique
Luttes & dettes étudiantes au Québec
« Strike debt » : un plan de sauvetage du peuple par le peuple
Être payée pour étudier
Chapitre 5 : Dettes hypothécaires
Espagne : près d’un demi-million d’expulsions, le produit d’une loi franquiste
Grèce : expulsions tous les mercredis
L’Islande n’a pas exproprié ses ménages
Le scandale du crédit en franc suisse
Troisième mémorandum – Le renversement d’un renversement
Conclusion
S’abonner à l’AVP : http://www.cadtm.org/Revue-Les-autres-voix-de-la
AVP n°71 – Les autres voix de la planète, http://www.cadtm.org/Dettes-privees-illegitimes : Dettes privées illégitimes
Etudiant-e-s, paysan-ne-s, ménages, travailleurs-ses
Il y en aura pour tout le monde !
2ème trimestre 2017
La revue du CADTM, Liège 2017, 102 pages, 5 euros