Doigts dans l’engrenage et rivés en ligne !
Depuis les années 2000, divers études et articles démontrent qu’encadrants de tous bords ont pris conscience et en considération qu’une meilleure prise en charge des enfants est plus profitable à tous, y compris à la société. Les jeunes bénéficient de plus d’attention et de suivi de leurs parents, jouant souvent un rôle plus actif dans leur éducation et vie, quelque soit le temps passé à des activités tournées vers l’extérieur. Par ailleurs, l’Etat et la société mettent continuellement la pression sur les parents et les professionnels éducatifs, voire sur les enfants, pour toujours plus de responsabilisation, de culpabilisation quant-aux résultats, amenant moins de spontanéité !
Ces conscientisations et implications par quête de perfection conduisent à une génération d’enfants plus surveillés mais aussi plus avertis concernant des accoutumances qui pourraient les mener à une détresse sociale. Cependant, la résultante de cette génération sur laquelle on garde toujours un œil produit des jeunes moins enclins au bonheur qui semblent subir une pression permanente à laquelle ils cherchent constamment à échapper ! C’est alors qu’interviennent les échappatoires modernes générant les nouvelles psycho-dépendances avec lesquelles il est très difficile d’en découdre.
En pleine construction de leur identité, en pleine recherche d’autonomie et de liberté, puis pour échapper aux différentes formes de pressions sociales et familiales cristallisant les angoisses, la jeunesse se tourne aisément vers les plus en vogue des occupations, les plus proches et les plus accessibles : les nouvelles technologies, le numérique et Internet envahissant les foyers de tous.
Entre toutes mains se retrouvent téléphones portables, smartphones, tablettes, ordinateurs.
Les objets connectés et numériques sont de même réclamés dès le plus jeune âge. Ils se retrouvent entre les mains de bébés en poussette ou encore sur les genoux des parents sous pression ne sachant que faire pour ne plus les entendre hurler dans les transports en commun ou salles d’attente.
Tant ces TIC (Technologies de l’Information et de la Communication) et Internet accaparent les enfants, ils deviennent tout aussi insidieusement le moyen pour certains parents de les contenir et les confiner à la maison une bonne partie du temps, voire le temps d’une absence.
Les parents eux-mêmes sont souvent rivés en ligne, les individus de tous milieux confondus le sont, renforçant ainsi l’intérêt des jeunes pour le numérique !
Bien sûr, tout est fait pour que les nouvelles technologies et Internet ne manquent pas d’attrait !
Les personnels de l’éducation, institutionnels ou de l’Education Populaire ne se passent plus d’Internet pour engager les jeunes à être productifs, pour construire un savoir commun avec les manuels et outils pédagogiques en ligne, se servent d’Internet pour répondre à des besoins d’informations et de découverte, pour construire des projets de mobilité internationale et les faire devenir cosmopolites. Les cybercentres ont intégré les centres sociaux depuis longtemps pour qui sont privés des TIC à domicile.
La jeunesse se sert également d’Internet pour répondre à des besoins de curiosité, remédier aux vides et à l’ennui. Réseaux sociaux, jeux en ligne, films, vidéos, musique en ligne deviennent une réponse à la solitude humaine, intégrant une société virtuelle de l’échange en toc. Internet et les nouveaux médias sont devenus les tuyaux ‘’culturels’’ des jeunes. Ainsi, tous glissent dans un cercle vicieux d’une vie de peu de consistance, faite d’ennui et de vides à combler.
Beaucoup ont mis le doigt dans l’engrenage dans lequel ils sont pris, ne se connectant plus avec les gens dans la vie réelle mais en ligne, écartés des sources de joie collective, perdant peu à peu les facultés de communiquer avec d’autres, bien que suréquipés d’outils de communication. Penchés sur leurs écrans, cette dernière génération de jeunes semble en effet devenir plus autarcique par rapport au monde qui l’entoure. Rares sont ceux qui ne basculent pas dans le numérique ! L’éloge de la dématérialisation, louée partout par les tenants de l’idéologie dominante, est dans l’air du temps…
Les TIC s’imposent remplaçant peu à peu tous les modes traditionnels de communication. De nos jours, quasiment tous les médias suivent le même chemin de la diffusion en numérique : e-journaux, e-book, e-radios (mêmes rebelles), e-manuels scolaires, e-plaquettes culturelles, e-billets… On ne coupe plus aux TIC du numérique et de l’informatique qui s’insèrent partout.
On fait tout en ligne, on peut envoyer son courrier par mail et par la poste, commander ses courses, gérer ses compte, jouer au poker ou d’autres jeux sans limite de temps. Pour trouver du travail, s’inscrire à la FAC, demander les bourses, … tout passe par la ligne Internet.
Par la masse d’informations, de connaissances et d’échanges, on fait même passer l’idée que la libre expression et la démocratie passent par Internet. C’est d’ailleurs la caisse de résonnance des révolutions, des cyberactions et des propagandes au service des militants, un outil d’émancipation et de participation, de transparence. On parle d’e-révolution ! Ceci est aussi le fruit de l’énergie des contestataires qui alimentent eux-mêmes ce système productiviste qu’ils sont supposés repousser. Or, comme le dit Cédric Biagini, ‘’ Croire que l’information circule et le monde change, par magie, belle naïveté !’’ En effet, si l’information circule, elle ne suffit pas à créer de réelles aspirations politiques. L’information peut elle-même faire peur et amener à fuir la réalité.
On assiste plutôt à une génération qui se désintéresse de la vie politique et d’actions collectives pour le ‘’bien commun’’, qui ne se préoccupe plus d’établir des relations sociales dans le but de trouver des solutions collectives. La sensibilisation et la résistance de Greta Thunberg ne court pas les rues.
Ces nouvelles technologies changent le rapport au monde et les parents s’aperçoivent bien que quelque chose de très important leur échappe peu à peu, notamment la relation parent-enfant. Beaucoup sont rassemblés en ligne et pourtant si solitaires et éloignés d’autrui dans la vie réelle …
Comme avec toute nouvelle technologie utilisée abusivement, une accoutumance s’installe inexorablement, contre laquelle les parents luttent, en vain et dont eux-mêmes sont devenus dépendants ! Le système conduit à cette dépendance !
Par ailleurs, la pression et l’anxiété augmentent avec ces nouvelles technologies toujours plus perfectionnées et ces multiples fenêtres à travers les réseaux sociaux où l’image prédomine. Dans un monde virtuel de l’image, de l’illusoire et du semblant, les enfants finissent par tomber dans l’obsession du paraitre et de l’avoir. Ce qui leur est donné à voir, lire et entendre, leur laisse souvent l’illusion d’un mieux vivre et mieux être ailleurs chez les autres. Ce qui tend à créer des complexes de toutes natures et un manque de confiance en eux. C’est une autre forme de pression des images artificielles et superficielles qui amplifie un malaise déjà naturel chez les adolescents, à un âge de transition. Les selfies, autoportraits photographiques, témoignent souvent de la volonté de toujours un meilleur paraître. Avec le partage en ligne, l’on vit dans une société du spectacle et de l’écran dont les uns et les autres ne savent plus se passer !
Pourtant, les selfies les mettent parfois en danger, dans un contexte numérique où les images peuvent être récupérées et exploitées. Et les parents ne savent plus comment les en préserver. L’éducation à l’image dispensée ne semble pas y remédier.
Également, ce qui les conditionne tant utilise des données et se trouve le meilleur outil de traçabilité qui n’ait jamais existé ! Comme échappatoire au contrôle permanent, on a fait mieux !
Puis, ils sont abreuvés de publicités qui colonisent les imaginaires, les manipulent, créent des besoins, font désirer des choses inutiles, les conditionnent à consommer toujours plus.
Vincent Liegey, ingénieur et fervent critique de la publicité lors d’une conférence en 2019, nous alerte concernant la publicité, ‘’outil de manipulation pensé par des ingénieurs et experts en psychologie sociale, de sciences cognitives qui analysent nos réactions, notamment celle des enfants pour optimiser des messages, nous faire désirer des choses dont on n’a pas besoin, pour capter notre imaginaire, pour capter notre bonheur, pour capter notre bien-être, pour capter le sens que l’on peut donner à nos vies. Ce temps de cerveau disponible capté par le capitalisme, faisant du développement un outil post-colonialiste impérialiste qui a pour objectif d’imposer notre modèle de société qui est le capitalocène et non pas l’anthropogène industrielle, clairement capitaliste, productiviste, consumériste, tecno scientiste, économiciste responsable du changement climatique, toujours dans une logique de gaspillage.’’ Comment revenir à un monde avec connexion locale, riche d’intelligence collective et de discussions, de joie de vivre ? Telle est la question posée.
Aveuglés par les vertus des TIC, influencés de toutes parts, instrumentalisés, les gens interrogent-ils le virtuel qui les abreuve de tant de choses sublimées devant lesquelles ils sont en extase, interrogent-ils l’emprise numérique, les nouvelles sources éventuelles de mal-être, l’obsolescence programmée, la place de ces technologies psycho-dépendantes nécessitant toujours plus d’énergie et de ressources exploitées dans des pays du sud, pillées ? Connaissent-ils les pièges des TIC ?
Toutefois, une enquête parue le 25 septembre 2019 par Axel Leclercq, journaliste qui aime donner la parole à ceux qui croient en l’avenir, à ceux qui résistent au fatalisme, publie une enquête qui donne espoir, indiquant de nouvelles tranchées d’opinion, avec un bond en avant de 30% des gens ‘’lassés des injonctions à la surconsommation’’ : ‘’57% des Français estiment désormais qu’il faut « complètement revoir notre modèle économique et sortir du mythe de la croissance infinie, 88% « considèrent que les entreprises incitent à la surconsommation,60% « pensent qu’il est urgent d’agir pour l’avenir de la planète ’’ . Mais cet espoir donné ne doit pas nous faire oublier l’enlisement de la société actuelle dont il faut réellement sortir ! Dans les années 70/80, je me souviens que l’on nous enseignait ce qu’étaient des moutons de panurge. Hélas, avec son essaim de ravages, le troupeau a déjà suivi la folle course aux programmes informatiques et robots…
Véronique L