Le béton menace toujours le triangle de Gonesse
L’Élysée a annoncé hier jeudi 7 novembre l’abandon du projet de mégacentre commercial et de loisirs EuropaCity. Une satisfaction en demi-teinte pour Bernard Loup, opposant historique au projet : cette victoire n’écarte pas tous les projets d’urbanisation de ces terres agricoles au nord de Paris.
Finis, les projets d’allées paysagères bordées de boutiques, de complexes de loisirs et hôteliers, et les 30 millions de visiteurs annoncés par an : le gouvernement a confirmé la rumeur qui montait depuis le mois de septembre et annoncé, hier jeudi 7 novembre, à l’occasion du troisième Conseil de défense écologique, l’abandon définitif du projet de mégacentre commercial EuropaCity, qui était projeté à Gonesse, dans le Val-d’Oise.
Il était porté par la filiale d’immobilier commercial du groupe Auchan, Ceetrus, et le conglomérat chinois Wanda. Il aurait bétonné 80 hectares de terres agricoles parmi les plus fertiles d’Europe, à quelques encablures au nord de Paris. L’opposition à cet immense complexe s’était renforcée et étendue ces derniers temps.
La fin d’un long chemin ? Pas si vite, avertit Bernard Loup, président du Collectif pour le triangle de Gonesse et figure de la lutte contre EuropaCity. Il décrit à Reporterre les nombreuses incertitudes qui pèsent encore sur l’avenir du triangle, espace pour l’instant préservé de l’artificialisation.
Reporterre — Le projet EuropaCity est définitivement abandonné. Que pensez-vous de cette annonce du gouvernement ?
Bernard Loup — On s’attendait à cet abandon, surtout depuis notre rendez-vous du 26 septembre dernier avec la ministre de la Transition écologique, Élisabeth Borne. On ne voyait pas comment le président de la République pouvait tenir des discours sur le réchauffement climatique et dans le même temps valider EuropaCity. Il était donc temps que l’exécutif s’exprime de cette façon.
Maintenant, on va voir ce qu’il compte faire, et en particulier s’il maintient un projet d’urbanisation du triangle de Gonesse. Notre objectif n’était pas simplement de faire échouer EuropaCity, mais aussi l’urbanisation du triangle. Donc, c’est un pas important dans la lutte que l’on mène depuis 2010 mais on attend de voir ce qui vient après. On ne crie pas victoire.
L’Élysée a indiqué que « l’objectif n’est pas de remettre en cause la ligne 17 », soit la future ligne de métro du Grand Paris, qui prévoit une gare sur le triangle de Gonesse…
Si la gare est maintenue, le triangle sera bétonné. On continue donc à se préparer en cas de démarrage du chantier de la gare, et on réagira, même après l’abandon d’EuropaCity. On ne peut pas laisser faire la gare tant qu’on ne sait pas quel est le projet après EuropaCity. Donc, il faut que le gouvernement nous dise s’il souhaite urbaniser, comment, et s’il suspend les travaux de la gare.
Pour définir un nouveau projet pour le triangle de Gonesse, nous souhaitons une période de concertation qui remette le dossier à plat. Il faut que le gouvernement mette tout le monde autour de la table, que l’on parle avec le conseil régional, les élus de Seine-Saint-Denis, etc. pour avoir enfin la discussion qui n’a pas eu lieu quand il a été décidé, il y a des années, d’urbaniser le triangle de Gonesse. Maintenant, les conditions sont réunies pour un vrai débat. Et je suis convaincu que son issue sera très intéressante.
Concernant la gare, vous avez lancé des procédures devant le tribunal administratif de Montreuil afin de vous opposer à sa construction. Le rapporteur public a émis un avis allant dans votre sens. Êtes-vous confiant ?
Effectivement, nous avons eu une audience, mercredi 6 novembre, devant le tribunal administratif, concernant le recours que l’on a fait contre l’autorisation environnementale de la ligne 17 nord. Le rapporteur public a reconnu que l’étude d’impact était insuffisante. Il propose une période de dix mois pour que la société du Grand Paris complète son étude d’impact et il demande la suspension des travaux durant cette période. Mais ce n’est que l’avis du rapporteur public. Ce n’est pas le jugement, que l’on aura dans quinze jours ou trois semaines.
S’il y a une période de suspension de dix mois des travaux de la gare du triangle de Gonesse, cela nous convient, car cela laisse le temps de mener la concertation dont je parlais. Mais, aujourd’hui, le projet de la société du Grand Paris n’a pas changé et leur intention de démarrer le chantier de la gare dès maintenant est toujours réelle. Donc, attendons le jugement. Et tant que les travaux de la gare ne sont pas suspendus, on continue de préparer la résistance à ce chantier.
Où en est-il sur le terrain ?
Pour l’instant, seuls les réseaux — d’eau potable et d’eaux usées — et le réseau électrique, ont été installés. Rien d’irréversible. Mais si demain ils démarrent le chantier, qui s’étend sur vingt hectares, ils vont détruire le sol, et là, ils porteraient une atteinte irréversible.
Vous proposez déjà une alternative à l’urbanisation du triangle de Gonesse, le projet Carma (Coopération pour une ambition agricole, rurale et métropolitaine d’avenir).
Pour le résumer, c’est un projet qui s’organise en quatre pôles. Un pôle de production agricole avec une production de proximité de fruits et légumes ; un pôle de transformation des produits agricoles car on manque d’outils de transformation pour les productions d’Île-de-France ; un pôle que l’on appelle pôle de vie, avec des visites des exploitations et des investissements dans la formation agricole et la recherche ; et enfin un pôle dédié à la récolte des biodéchets des villes pour les retransformer en engrais pour les sols agricoles et éviter le recours aux engrais chimiques.
Ne craignez-vous pas que l’annonce de l’abandon du projet EuropaCity brise la dynamique militante ?
On va réorienter cette dynamique vers la popularisation du projet Carma. On ne va pas du tout se démobiliser. Ce n’est pas encore gagné. Cet abandon est une grosse satisfaction, une grosse étape, mais il y a d’autres étapes devant nous si l’on veut un projet digne du XXIe siècle, parce que les bétonneurs ne vont pas lâcher la gare comme cela, et la gare, on n’en a pas besoin.
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