… et l’agenda néolibéral du gouvernement
Matthieu Montalban, membre de l’association des Économistes atterrés, explique que la réforme des retraites vise à transformer la République sociale en État néolibéral.
Si toutes les catégories de travailleurs vont être affectées par la réforme actuelle des retraites, certains vont être particulièrement touchés négativement, en l’occurrence les fonctionnaires. Avant même de parler de ce cas particulier, on sait que le gouvernement a pour ambition affichée de réduire les prélèvements obligatoires, qui seraient selon lui et les libéraux, un poids insupportable grevant la croissance de l’économie française. Il a commencé à le faire en supprimant l’ISF et en le remplaçant par l’IFI, en transformant le CICE en baisse permanente de cotisations patronales ou encore en supprimant la taxe d’habitation. La réforme des retraites a pour objectif implicite de permettre aussi cette baisse de la fiscalité.
En effet, comme le rappelle fort justement le COR, le cas du régime des fonctionnaires a ceci de particulier qu’il n’existe pas de caisse de retraite des fonctionnaires, puisqu’en réalité, c’est l’Etat, via la loi de finance, qui vote chaque année la pension des fonctionnaires sur le budget de l’Etat. Donc, ce « régime » est par construction équilibré. Mais il est aussi intégralement financé par l’impôt. En effet, les impôts sont les recettes de l’employeur qu’est l’Etat, et sur lesquelles peuvent être prélevées des cotisations patronales ; les cotisations employeurs de l’Etat étant issues du budget de l’Etat, elles proviennent donc des impôts payés par les contribuables, tout comme les traitements des fonctionnaires, sur lesquels sont fictivement prélevées les cotisations « employés ».
Ainsi, c’est un pur jeu d’écriture de faire apparaître sur la feuille de paie des fonctionnaires des cotisations salariales (tout comme c’est un pur jeu d’écriture que de distinguer pour tous les salariés, des cotisations employeurs et employés ; on pourrait tout aussi bien considérer que la cotisation des employés représente l’intégralité de ce qui est versée, ou que c’est la cotisation employeur, c’est une pure convention… même si celui qui paye est au final en dernier recours l’employeur et que celui qui produit cette valeur est l’employé). Comme la retraite des fonctionnaires est (pour le moment) plus avantageuse que celle du privé et qu’en revanche le traitement des fonctionnaires, à qualification équivalente, est moins intéressant que celui du privé et que l’on freine l’embauche de nouveaux fonctionnaires, cela explique que les taux de cotisation employeur soient très élevés.
Ce mode de financement est-il injustifié ? Non, puisque de toute manière, quoiqu’il en soit, macro-économiquement, le traitement et les retraites des fonctionnaires, qui sont la contrepartie du service rendu au public, ne peuvent provenir que des impôts, les fonctionnaires étant payés par les impôts et l’Etat ayant pour recettes des impôts, il n’y a donc pas d’autre possibilité. Admettons que l’on passe à un régime par capitalisation : la partie de l’épargne des fonctionnaires qui seraient affectée pour financer leur retraite viendrait de leur traitement et donc des impôts.
Or, le gouvernement, par conviction et parce qu’il est sous le contrôle des instances maastrichiennes qui veulent réduire la dette et les déficits, cherche en même temps à réduire les impôts et les dépenses publiques. Le traitement et la retraite des fonctionnaires sont un coût important pour les finances publiques. En imposant un régime universel par points moins avantageux, ce gouvernement cherche en fait du même coup à réduire les dépenses publiques et impôts, via la baisse des pensions des fonctionnaires, qui s’ajouterait au non-renouvellement de leur nombre ainsi qu’à la transformation du statut de ces derniers.
Comme dans un régime par points, l’ajustement du niveau des pensions se fait automatiquement en fonction des contraintes macroéconomiques, on pourra aisément réduire les pensions, surtout si on impose de bloquer les cotisations sociales à 14% du PIB et qu’on cherche à réduire les impôts. Ainsi, au final, ce qui est espéré est de juguler ces prélèvements et dépenses pour augmenter à long terme de la part des rémunérations du capital (dont le gouvernement espère un surcroît d’investissement et de croissance). Comme les pensions « universelles » seront moins avantageuses, on incitera ainsi au développement de l’épargne retraite chez les fonctionnaires mais aussi chez les cadres du secteur privé, puisqu’au-delà de 10000 euros mensuels, il n’y a plus de droits à retraite ouverts, ce qui au passage obligera à trouver 3 à 4 milliards annuels pour payer les retraites des cadres d’aujourd’hui puisqu’une partie des cotisations de demain disparaissent. Ainsi, la Légion d’Honneur offerte à Cirelli et l’oubli des quelques conflits d’intérêt de Delevoye avec le monde des assurances sont ce genre d’actes manqués fort révélateurs sur le plan symbolique.
Le gouvernement espère pouvoir jouer sur l’image du fonctionnaire privilégié par un régime spécifique, de parasite veule vivant sur les deniers des forces vives de la Nation. Il est vrai que le régime est spécifique mais comme on l’a dit, les retraites des fonctionnaires sont forcément payées par l’impôt et les conditions de travail dans la Fonction Publique s’étant fortement détériorées en plus du gel durable des postes et de l’indice, cette image de fainéants ne peut plus fonctionner : on a aujourd’hui du mal à recruter des enseignants au CAPES et nombre d’entre eux abandonnent après quelques années complètement rincés.
Pourtant, si l’on veut maintenir des services publics qui fonctionnent bien, encore faut-il attirer des candidats en proposant des conditions salariales suffisamment attractives et la retraite en faisait partie. Blanquer promet aux enseignants d’ouvrir des négociations pour revaloriser les carrières, mais dans le même temps, le chef de l’Etat avait précisé à Rodez que : « si je voulais revaloriser, c’est 10 milliards, on ne peut pas mettre 10 milliards demain, c’est vos impôts ». Comme cela n’est pas possible, il s’agira de modifier les statuts de la Fonction publique en faisant miroiter des primes tout en obligeant à de nouvelles tâches…
Mais plus profondément, cette réforme des retraites à points, dans le discours du gouvernement, vise à favoriser les mobilités professionnelles et les passages du privé au public et vice et versa. Elle est à mettre en relation donc non seulement avec les objectifs de baisse des prélèvements obligatoires, mais aussi avec l’introduction des ruptures conventionnelles dans la Fonction publique (6), pour inciter les fonctionnaire à passer dans le privé et de la substitution massive depuis de nombreuses années des emplois statutaires par des emplois contractuels en CDD ou, plus récemment, en CDI de fonction publique, et plus généralement, un projet de réforme, pour ne pas dire de suppression, du statut de fonctionnaire.
En dégradant ainsi à la fois les niveaux de traitement, pensions incluses, et en poussant à une modification en profondeur des statuts, le gouvernement, en continuité des précédents, détériore également la qualité des services publics et aura de plus en plus de mal à recruter des fonctionnaires compétents… ce qui sera un bon prétexte dans le futur pour privatiser encore un peu plus dans pans de services publics, comme l’école ou l’enseignement supérieur. Le gouvernement ne cherche pas à « sauver le système des retraites », il cherche à transformer la République sociale en Etat néolibéral.
Ainsi, résister à cette réforme des retraites, ce n’est pas seulement s’opposer à la déjà injustifiable baisse des pensions mais c’est également s’opposer à un projet de transition vers un capitalisme plus anglo-saxon et une entreprise néolibérale de destruction du service public.
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