Covid en Seine-Saint-Denis

Et Covid dans les logements insalubres et suroccupés

La Seine-Saint-Denis face au Covid

Moins de télétravail, moins de lits, moins de tests ; avec une surmortalité de 101 %, c’est le département le plus frappé par l’épidémie, après le Haut-Rhin.

Pourquoi ?

BibliObs. Vous travaillez depuis plusieurs années sur l’état sanitaire de la Seine-Saint-Denis : que sait-on de la surmortalité constatée depuis le début de l’épidémie de Covid ?

Audrey Mariette. A première vue, il y a là une énigme. Le Covid frappe principalement les personnes de plus de 65 ans. La Seine-Saint-Denis ayant une population bien plus jeune qu’ailleurs, elle aurait  dû être moins frappée que d’autres départements d’Ile-de-France et que le Grand-Est, les deux principaux clusters du Covid. Or, ce n’est pas le cas.

Selon les chiffres de l’Insee, qui portent sur la période du 1er mars au 6 avril, la mortalité en Seine-Saint-Denis a doublé (+101 %) par rapport à la même période en 2019. Après le Haut- Rhin (+143 %), c’est le département français qui connaît la plus importante surmortalité, suivi par les Hauts-de-Seine (+99 %), le Val-de-Marne (+78 %), les Vosges (+74 %) et Paris (+61 %). Par ailleurs, c’est le département où la surmortalité des moins de 65 ans est la plus élevée (+63 %).

Comment cela s’explique-t-il ?

Audrey Mariette. Même si nous ne pouvons avancer que des hypothèses (qu’il faudra vérifier en réalisant des enquêtes approfondies), certains facteurs se dégagent d’ores et déjà.

Le premier tient à la sociologie du département : 55 % des actifs sont des employés et des ouvriers (contre 47,9 % à l’échelle nationale) ; 61,4 % travaillent dans la construction, le commerce, les transports et les services (contre 53 %).

La Seine-Saint-Denis est également le premier département en termes de population étrangère (23 % de la population du département) et de population immigrée (30 %). Là encore, c’est un facteur aggravant, car les personnes racisées sont surreprésentées dans les emplois de service ou précaires (chauffeurs, livreurs, caissières, femmes de ménage, aides-soignantes) et bon nombre d’entre elles sont exposées à des contacts répétés tout au long de la journée.

Ces classes populaires urbaines ne sont que très peu concernées par le télétravail, voire pas du tout et, pour aller au travail, la plupart d’entre elles utilisent les transports publics, qui sont une source possible de contamination. Selon les données de l’Insee, c’est le cas pour 52,7 % des salariés vivant dans le département, contre 48,7 % dans les Hauts-de-Seine et 48,9 % dans le Val-de-Marne.

Il y a enfin la suroccupation des logements : le nombre d’habitants par mètre carré habitable y est particulièrement élevé (troisième département derrière la Guyane et Paris), plus d’un quart des logements en Seine-Saint-Denis sont suroccupés, ce qui contribue aux contaminations intrafamiliales. Quand l’un des membres de la famille est malade, il lui est impossible de s’isoler dans une pièce.

Autre facteur aggravant : le poids des maladies chroniques au sein de la population du département. La Seine-Saint-Denis occupe le troisième rang des départements français pour le diabète, après La Réunion et La Guadeloupe, le huitième rang pour les maladies respiratoires, le quatorzième rang pour l’hypertension artérielle. La part des adultes souffrant d’obésité y est également très élevée, bien plus qu’à Paris par exemple. Ces pathologies sont, on le sait, des facteurs importants de comorbidité en cas de Covid.

Restrictions budgétaires tous azimuts

Un récent rapport a montré que la Seine-Saint-Denis est devenue un désert médical. Dans quelle mesure cela joue dans la surmortalité face au Covid ?

Laure Pitti. En effet, le département occupe la 89e place en nombre de généralistes pour 100 000 habitants. On comptait 115 médecins généralistes pour 100 000 habitants en Seine-Saint-Denis au 1er janvier 2018, moins que la moyenne hexagonale, avec 153 généralistes pour 100 000 habitants. Les médecins libéraux qui partent à la retraite ne sont pas ou peu remplacés, et la situation est encore plus critique pour les spécialistes : par exemple, il n’y a plus de gynécologue en libéral à Saint-Denis. Dans plusieurs villes du département, des centres de santé, municipaux et parfois associatifs, jouent un rôle important, notamment pour des publics socialement défavorisés, mais cela ne compense pas le recul des généralistes libéraux.

La question du désert médical doit être articulée à la politique hospitalière. Depuis une dizaine d’années, l’Etat a initié ce qu’on appelle « le virage ambulatoire » : des interventions ont lieu sur la journée, le patient rentre chez lui le soir même et sera suivi à domicile, par une infirmière ou un médecin de ville. L’objectif est de réaliser des économies en réduisant la durée de séjour à l’hôpital et le nombre de lits dits de « soins de suite », où jadis l’on pouvait rester après une intervention ou en sortant de réanimation.

En effet, dans une stricte logique comptable, ces soins de suite rapportent moins que des actes chirurgicaux. Ce sont ces restrictions budgétaires tous azimuts que les mobilisations des personnels hospitaliers ont dénoncées depuis plus d’un an. Et ceux de Seine-Saint-Denis n’étaient pas en reste, car, sur ce territoire, ce virage ambulatoire n’a pas les mêmes conséquences qu’ailleurs : on manque de médecins et les logements sont, on vient de le voir, suroccupés. Comme nous l’a dit un chef de service lors de notre enquête : « rentrer à la maison, cela ne signifie pas la même chose pour tout le monde ». A l’hôpital de Saint-Denis, de 2012 à 2016, la moitié des lits de soins de suite ont été supprimés et dans les hôpitaux publics du département, il y avait, en 2017, 97,4 lits d’hospitalisation en médecine pour 100 000 habitants, soit moitié moins qu’à Paris (227,5 lits pour 100 000 habitants). On peut supposer que cette sous-dotation en structures sanitaires publiques n’aura pas facilité la prise en charge des malades du Covid.

Concrètement, un malade du Covid habitant la Seine-Saint-Denis sera-t-il moins bien soigné que s’il habitait Paris ?

Laure Pitti. Sans aller jusque-là, on est dans une situation que des médecins de santé publique qualifient de « perte de chance » : selon l’endroit où vous vivez, selon les moyens économiques que vous avez, vous ne disposerez pas des mêmes chances pour vous soigner.

Dans le cas du Covid, on a beaucoup parlé des tris à l’entrée en réanimation faute de lits en nombre suffisant, mais ce n’est pas le seul élément qui joue. En ce sens, le Covid a un effet loupe : il révèle qu’aux diverses inégalités sociales dont nous venons de parler s’ajoute un cumul d’inégalités devant la mort.

L’étrangeté de la langue médicale

On a aussi entendu dire, ces derniers temps, que les habitants des quartiers populaires ont tendance à n’appeler le médecin ou les urgences qu’au dernier moment – et donc trop tard pour ce qui concerne le Covid.

Laure Pitti. De tels raccourcis sont aberrants ! Oui, il existe, dans les milieux populaires comme ailleurs, ce que Luc Boltanski a appelé dans un article de 1971 une « culture somatique », c’est-à-dire un rapport au corps, aux défaillances du corps, aux symptômes, à la souffrance ou, à l’inverse, à l’endurance. Cette culture somatique varie selon les classes sociales et la manière dont on a été éduqué concernant ce rapport au corps. Dans le monde du travail manuel, celui des ouvriers ou des employées, la force physique et l’endurance constituent un capital que la douleur vient amoindrir, d’où souvent une sous-évaluation de la douleur, une endurance valorisée.

Mais c’est aussi la distance sociale qui joue entre classes populaires et médecins : plusieurs enquêtes l’ont montré, la qualité de la prise en charge (l’ampleur des examens réalisés, par exemple) varie selon les milieux sociaux. Les chances de survie d’un infarctus du myocarde sont deux fois moins élevées en Seine-Saint-Denis que dans les Hauts-de-Seine. Enfin, il faut replacer cette culture somatique et cette qualité de la prise en charge dans un contexte plus large, marqué par la pauvreté et la faiblesse de la couverture sociale.

Car une autre statistique marquante de la Seine-Saint-Denis est la proportion très élevée de personnes bénéficiant de la couverture maladie universelle (en 2014 : 6,3 % contre 3,4 % en Ile-de-France) ou encore de la CMU complémentaire (en 2016 : 14,4 % en Seine-Saint-Denis contre 7,5 % en Ile-de-France). Or une étude récente du Défenseur des droits a montré que la CMU comme l’Aide médicale d’État pour les patients étrangers sans titre de séjour occasionnaient des refus de soin. Qui plus est, nombre de patients n’ont tout simplement pas de couverture et ne peuvent se payer une consultation ; beaucoup n’ont pas de mutuelle et ne peuvent avancer les frais médicaux.

Audrey Mariette. À seulement dire que les patients de quartiers populaires appellent trop tard sans avoir en tête ces enjeux, on en vient à faire porter la responsabilité de la maladie aux malades eux-mêmes ! Et d’autres facteurs peuvent entrer en jeu, comme la question de la langue. Une bonne prise en charge passe par une double compréhension. Il faut que le malade puisse expliquer ses symptômes au médecin et aussi que celui-ci explique clairement ses consignes au malade. Il existe un système d’interprétariat à l’hôpital et dans les autres lieux de soins, mais cela coûte cher et tous les professionnels ne peuvent y avoir recours. Comme le montre notre enquête, même quand le patient maîtrise le français, l’étrangeté de la langue médicale reste entière et les médecins oublient parfois qu’ils parlent eux-mêmes une langue étrangère aux profanes.

Aujourd’hui, est-il possible d’établir les profils sociologiques des malades du Covid en Seine-Saint-Denis et de faire une comparaison avec les autres départements ?

Laure Pitti. Non, pas à ce stade. Les données publiées par Santé Publique France sont assez pauvres en informations. De plus, le nombre de morts du Covid en Ehpad par département n’est pas public. Selon des médecins et des épidémiologistes, c’est d’ailleurs un problème dans le traitement du virus car il faudrait pouvoir collecter ces informations (commune de résidence, catégories  socioprofessionnelles notamment) pour intervenir au plus près du terrain. Il faut espérer qu’elles soient rendues accessibles au plus vite aux chercheurs. Pour le moment, nous ne disposons que des chiffres de l’Insee qui permettent d’évaluer la surmortalité, mais ne distinguent pas ceux qui sont morts du Covid des autres causes de décès.

Audrey Mariette. Cette fragilité des données se retrouve pour les chiffres de dépistage du Covid. Nous connaissons uniquement le nombre de tests du Covid-19 réalisés par les laboratoires de ville dans les départements. Au 9 avril dernier, ils étaient au nombre de 3 811 en Seine-Saint-Denis, ce qui en faisait le vingtième département par nombre de tests pour 10 000 habitants. Un classement pour le moins étonnant, vu le fort impact local de l’épidémie.

Et le pourcentage des tests positifs est d’ailleurs très élevé : 45,8 %, ce qui la classe au quatrième rang des départements français. Si les moyens de dépistage ne sont pas à la hauteur des besoins sanitaires en France, c’est particulièrement vrai dans ce département. On peut y voir un nouvel exemple des inégalités de traitement entre populations.

Audrey Mariette et Laure Pitti sont sociologues à l’université Paris 8 Saint-Denis et au Centre de recherches sociologiques et politiques de Paris. Elles ont mené une enquête sociologique sur la santé dans les territoires populaires de la Seine-Saint-Denis.

Nouvelobs

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Logements insalubres et suroccupés

L’Association des Familles Victimes du Saturnisme (AFVS) alerte sur les risques de santé liés au confinement et demande des mesures immédiates ;

Parmi les 4000000 de mal-logés, la Fondation Abbé Pierre estime que 200000 personnes vivent dans un logement qui est à la fois insalubre et suroccupé. Ces personnes, souvent accompagnées de jeunes enfants, vivent le confinement dans des conditions particulièrement inhumaines et dangereuses pour leur santé et celle de leur famille (risque d’asthme, d’eczéma, d’infections respiratoires, de dépression etc).

La sur-occupation favorise l’humidité, les moisissures et l’effritement des peintures qui, dans les logements anciens,  contiennent du plomb. Elle amplifie ces dégradations elles-mêmes potentialisées par le confinement. Ces conditions de vie augmentent notablement les risques d’aggravation des pathologies et du saturnisme dont les conséquences toxiques sont irréversibles.

Les enfants vivant le confinement dans un tel environnement insalubre sont sur-intoxiqués.

Nous demandons qu’un logement décent soit de toute urgence attribué à ces familles.

Les personnes atteintes du COVID 19 ne peuvent s’isoler dans un logement sur-occupé, ce qui favorise la propagation du coronavirus.

Les enfants contraints de rester confinés avec un proche malade dans des logements insalubres contenant du plomb sont ainsi surexposés au saturnisme et au COVID 19, voire à d’autres pathologies.

Nous demandons que les personnes vivant dans un logement surpeuplé et qui sont atteintes du COVID 19 puissent s’isoler dans des chambres en hôtels, en centres de vacances, en au

berges de jeunesse qui ne reçoivent plus de public, ainsi que dans les hôpitaux et maternités ayant fait l’objet d’une fermeture administrative. Et cela en appliquant toutes les règles de protection pour les occupants comme pour le personnel amené à travailler dans ces établissements.

Rappelons que le ministre du Logement avait, le 10 février 2020, fait part de son intention de réquisitionner des locaux vacants à des fins d’hébergement.

Communiqué de l’AFVS en date du 21 avril